Un athée face aux religions
Patrice Leclerc
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Patrice LECLERC,
un athée, soucieux de justice sociale, se situe face aux croyants.
Il est conseiller général communiste des Hauts de Seine
et conseiller municipal de Gennevilliers.



Un point de vue personnel

Lorsque j'ai accepté d'intervenir sur ce sujet, je me suis interrogé : « pourquoi moi ?». Je ne suis pas un intellectuel ayant travaillé sur le sujet. Ce n'est pas un sujet que je discute régulièrement. Je vous livre mon point de vue, très personnel, à partir d'une pratique politique et sociale. Je vous prie d'excuser mes éventuelles maladresses. Permettez-moi, en préalable, de remercier Michel Jondot et Saad Abssi, d'avoir eu la gentillesse de m'inviter à votre après-midi de réflexion.

Je me sens aux côtés des soeurs de la communauté du Sacré-Coeur, dans ma ville, qui luttent pour le logement social et agissent avec les sans papiers. Proche des soeurs de cette autre communauté, Saint Vincent de Paul, qui agissent dans le quartier du Luth, dans des associations d'aide aux malades de l'alcoolisme, qui créent du lien social dans le quartier. Proche du mulsuman Saad Abssi qui fait l'écrivain public dans les locaux du Secours catholique, avec qui j'agis pour la défense des droits des travailleurs. Proche de Mohamed Benali qui avec Michel Le Pape et le rabbin a organisé des initiatives contre la guerre du Golfe et évité de donner un sens religieux à une guerre politique.

Croire ou ne pas croire

Étant l'athée de service aujourd'hui, je précise que j'interviens en mon nom propre, comme un athée singulier, d'autres auraient un autre avis. Je me garderai bien de faire une thèse sur l'existence ou non de Dieu. Au delà de la difficulté de la définition de «dieu», chacun conviendra que s'il y avait des preuves de son existence, l'objet de bien des débats serait simplifié. Pour compliquer le tout, il n'y a pas non plus de preuve de la non existence de Dieu ! Symptomatiquement, on ne peut donc qu'invoquer le verbe « croire »: on croit que Dieu existe ou l'on ne croit pas que Dieu existe.

Je voudrais aussi contester d'entrée l'affirmation politique selon laquelle la France a des racines chrétiennes. L'identité française d'aujourd'hui est redevable d'une diversité d'apports; les auteurs grecs et latins, les philosophes et poètes, l'humanisme de la Renaissance, les arts et la pensée des lumières. Ils ont suffisamment influencé notre peuple pour que les racines de notre pays soient bien plus complexes et multiples que l'apport d'une religion. Cette affirmation tient de l'utilisation politicienne du fait religieux.

Ceci dit, contrairement à la France, j'ai des racines chrétiennes puisque je « suis tombé dedans étant petit » avec le baptême. J'ai été un catholique pratiquant jusqu'à l'âge de 16 ans. Lorsque j'étais croyant, je ne pouvais pas imaginer le monde sans dieu; je n'imaginais pas qu'on puisse ne «pas croire». Quand quelqu'un me disait ne pas croire en dieu, je cherchais à le pousser dans ses retranchements : « tu crois forcément en quelque chose de non naturel, de mystique, etc » J'imaginais pour lui ses croyances. Bref, la non croyance me semblait impossible.

Athéisme militant ou indifférence religieuse?

Aujourd'hui, je ne me pose pas la question de dieu, je ne me pose pas la question de son existence, je ne pense plus à dieu. Je ne me pose pas en «pour» ou «contre» la religion. Je vis un athéisme qui n'est pas la négation, l'image inversée de la religion. Ce n'est pas un athéisme qui milite pour nier la religion ni pour lui prouver qu'elle se trompe. En fait, plutôt que par le terme athée, je me définis comme matérialiste. La notion de dieu ne dit pas un réel qui puisse être expérimenté objectivement, analysé concrètement, démontré logiquement.

Je suis plutôt, si j'ose dire, indifférent à dieu. Je suis en adéquation avec une enquête publiée par le Conseil Pontifical de la Culture en 2004 qui affirmait que « l'athéisme ne progresse plus dans le monde »; il est remplacé par l'indifférence religieuse.

Une synthèse de cette étude notait : « De l'athéisme militant et organisé en d'autres temps, on est passé à une situation d'indifférence pratique, de perte d'importance sur la question de Dieu, et d'abandon de la pratique religieuse, dans le monde occidental surtout. Ce 'nouveau visage de la non croyance' place l'Eglise devant le défi pastoral suivant : comment annoncer l'Evangile aux nouveaux non-croyants ?»

Cette étude semble prendre un peu à contre-pied ce sentiment d'omniprésence du fait religieux dans ce XXIe siècle où la une de l'actualité est plus souvent portée par la religion, les religions, le fait religieux, voire les sectes ou le mysticisme.

On s'étripe ici ou là, dans le monde, au nom de dieu. Le président d'un des plus grand pays appelle à la guerre des civilisations, à la lutte du bien contre le mal. On s'interroge ici pour inscrire une référence chrétienne dans la constitution européenne. La lutte des classes en banlieue semble remplacée par la lutte pour ou contre le fondamentalisme religieux. Le Président de la République française affirme à Riyad que « Dieu est dans le coeur de chaque homme ».

L'instituteur ou le curé?

Pour être dans l'actualité, je trouve choquants les propos de Nicolas Sarkozy au Latran où il affirme : « Dans la transmission des valeurs et l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s'il est important qu'il s'en approche, parce qu'il manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance. » Cela veut dire qu'une éducation n'est complète qu'avec l'apport d'une religion. Si l'on suit Nicolas Sarkozy, il faut donc rendre le catéchisme du mercredi, qu'il soit catholique, juif, mulsuman ou protestant obligatoire, puisque seule la religion peut apprendre le bien et le mal !!

Je dois le dire tout de go, tout en respectant les croyants dans leur diversité, la mise en avant du fait religieux sur toutes les questions, sa manipulation pour cacher les intentions et actes politiques, m'agace et m'inquiète : la question religieuse ne peut être la même que la question sociale; elle ne doit pas la cacher au risque de l'escamoter. C'est là que mon indifférence à dieu, ne va pas forcément de paire avec une indifférence aux religions. Pour autant je ne me classe pas «  face aux religions ». Je prends position sur les actes et les faits.

Laïcité rime avec liberté

Je suis pour la liberté individuelle et collective de pratiquer ou non une religion. La société doit donc organiser cette liberté. Cela passe pour moi par une conception de la laïcité qui rime avec liberté. Liberté de croire, liberté de ne pas croire. Liberté « dans une concurrence libre et non faussée » (pour reprendre une formule libérale) entre les religions, entre les religions et les athées.

Permettez moi de prendre des exemples concrets, liés à mes pratiques sociales et politiques à Gennevilliers. Quand une grande partie de la population est de confession musulmane, il me semble normal de soutenir les efforts de la communauté pour se construire par elle-même un lieu de culte décent. Il me semble évident qu'il faut, comme élu de la République, lever les obstacles qui bureaucratiquement empêcheraient cette initiative privée. Il me semble normal que les musulmans puissent être enterrés à Gennevilliers dans le carré musulman et que donc la Ville doit réserver un espace à cette fin au même titre qu'elle le fait pour les catholiques et les juifs.

Je fais partie des élus et des citoyens qui se sont prononcés contre la loi sur le port du voile et pour autant une société de femmes voilées n'est pas du tout mon projet de société. Je pense que ce combat n'est pas du domaine législatif, mais politique. La liberté de la pratique religieuse doit s'accompagner du débat politique, voire du combat politique sur la liberté de la femme, son émancipation, son égalité avec l'homme. Je combats toutes les religions qui imposent, qui obligent, qui oppriment.

Ainsi, je différencie d'une part, la situation d'une jeune femme de notre ville qui porte le voile après avoir fait un voeu pour la guérison d'un être cher - c'est de l'ordre privé et du sentiment individuel - et d'autre part, ce que connaissent des femmes de nos quartiers où la pression sociale religieuse s'exerce sur des jeunes filles qui se font traiter de « putes » si elles ne se cachent pas du regard des hommes. Cette pression est pour moi inacceptable.

Troisième exemple. Dans notre ville, il y a une demande autour de la viande hallal dans la restauration scolaire. Je ne suis pas pour répondre positivement à cette demande, car cela installerait le fait religieux au sein des établissements scolaires; cela engagerait des fonds publics dans le financement de la religion. Par contre, je suis pour que, par respect de la pratique individuelle de la religion, nous proposions des repas de substitution à la viande pour celles et ceux qui le souhaitent.

Sphère privée et domaine public

Je concède qu'il est difficile de faire la différence entre ce qui doit être de la sphère privée et ce qui est du domaine public. C'est à partir de cette difficulté que le Pape Benoît XVI insistait en 2006, (audience accordée aux membres du 56e congrès national de l'union des juristes catholiques italiens ) sur le fait qu'une « saine laïcité  » demande à l'Etat « de ne pas considérer la religion comme un simple sentiment individuel qui pourrait se confiner au seul domaine privé ». Il invitait à « élaborer un concept de laïcité qui, d'une part reconnaît Dieu et sa loi morale, le Christ et son Eglise, et la place qui leur est due dans la vie humaine, individuelle et sociale, et qui, d'autre part, affirme et respecte la légitime autonomie de la réalité terrestre ».

Je perçois de nombreuses dérives possibles à partir des propos du Pape comme :
- L'Eglise espagnole qui prend parti pour la droite pendant les élections.
- Une concurrence qui n'est plus libre entre les religions : pourquoi la laïcité reconnaîtrait le Christ et son Eglise, sans reconnaître Mahomet et ses Mosquées, les Protestants et leurs temples, les juifs et leurs synagogues, etc.
- Je perçois également, dans ces propos, le risque de réinstauration d'une Eglise officielle.

Je remarque aussi que la liberté de religion est relativement bien respectée dans les états laïcs (hormis l'expérience des pays socialistes). C'est moins vrai pour les pays théocratiques. Je remarque au passage, que Mustapha Chérif a fait la démonstration que ni le Coran ni la religion musulmane ne demandent la prise du pouvoir étatique. Il dit que ce qui est fait dans les états islamiques ne correspond pas au Texte. Je dis presque la même chose sur les pays socialistes : ils ont fait des choses qui ne correspondent pas à mon idéal communiste. Nous avons la même défense, et donc le même problème : dans la réalité, la mise en pratique de nos idéaux n'a pas fonctionné; elle est détournée. Il nous faudrait expliquer cela !

L'hégémonie religieuse est un danger

Quand une religion est au pouvoir, elle a souvent tendance à l'hégémonie. C'est pourquoi je suis inquiet par les propos du président de la République qui dénigre de plus en plus les principes laïques définis par la loi de 1905. Permettez-moi de citer les propos de l'historien Jean-Paul Scot paru dans l'Humanité de ce samedi sous le titre « La religion serait-elle devenue la garante de l'ordre social ?». Il montre comment les propos de Nicolas Sarkozy portent atteinte au principe de laïcicté.

Jean-Paul Scot : «Dès son discours d'investiture, le 15 janvier 2007, le candidat Sarkozy disait vouloir « moderniser la laïcité ». « La laïcité à laquelle je crois, c'est le respect de toutes les religions, ce n'est pas le combat contre la religion. » Trois remarques. Premièrement, l'hostilité à la religion a toujours été un courant minoritaire parmi les laïques car les pères de la laïcité l'ont fondée sur les principes de la liberté de conscience et de l'égalité de droit et de dignité de toutes les options religieuses ou philosophiques, agnostiques ou athées. Deuxièmement, Jaurès et Buisson, les pères de la loi de 1905, ont affirmé que l'État laïque devait être neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés et dégagé de toute emprise religieuse et théologique. Le général de Gaulle lui-même déclara aux évêques en 1958 : « Vous dites que la France est catholique, mais la République est laïque. » Et, troisièmement, même si, aujourd'hui, Sarkozy dit que la « laïcité, c'est le respect de toutes les croyances », il déclare aussi vouloir « prendre en compte les attentes des grandes religions » car « la vie spirituelle constitue le support d'engagements humains que la République ne peut pas offrir, elle qui ignore le bien ou le mal. La religion peut apporter cette distinction ». La République n'aurait donc pas de principes communs à tous les citoyens ! La religion serait donc le fondement de la morale et la garantie de l'ordre social ! En instrumentalisant les religions à des fins politiques, Sarkozy remet en cause non seulement la laïcité, mais aussi la Constitution et la République. »

Je vous soumets ce questionnement : les religions, notamment chrétienne et musulmane, n'ont-elle pas vocation à vouloir s'étendre, à faire du prosélytisme, à vouloir régir les façons d'être et de faire société ? N'ont-t-elles pas vocation à vouloir en permanence convertir le maximum de personnes ?

Ce but rend donc forcément conflictuel le rapport religion/athée et place le rapport sphère privé/sphère publique dans un équilibre fragile. Les rapports entre athées et religions passent forcément par le conflit. Je remarque que depuis 1905, en France, ce conflit ne passe plus par des rapports de violence, de terreur, d'oppression. C'est un apport de la laïcité que d'avoir pacifié les rapports entre croyant et non croyant. Ce nécessaire conflit (en fait très politique car il pose des questions de société, de sens, d'organisation de la vie des hommes et des femmes) peut être constructif et pas forcément destructeur.

Les religions ont des choses à dire

Un conflit peut s'organiser par le débat public, sur les droits des femmes, l'avortement, la peine de mort, le divorce, le mariage homosexuel : autant de sujets sur lesquels les religions ont des choses à dire, en apport au débat. Je vois une limite à ce débat, ou plutôt une difficulté : le problème de la sacralisation d'une opinion, d'une parole. Car forcément, si l'on affirme une opinion au nom de dieu, celle-ci ne peut plus se discuter soit parce que l'on reconnaît l'autorité de dieu, soit parce qu'on ne la reconnaît pas du tout.

Pour conclure, je crois au dialogue, au débat, au conflit constructif avec les religieux, les croyants, les religions. Notre capacité à débattre ensemble fait sens; elle fait société. Il faut savoir poser ce débat  : il demande aux personnes croyantes, et surtout aux représentants d'autorités religieuses, de venir sur le terrain des non-croyants. Ils ont à affirmer une opinion dans le débat public, à partir d'une démonstration et non seulement d'une révélation. Il leur faut accepter la délibération et le choix public. Il leur faut accepter que les hommes et les femmes soient gouvernés par des hommes et des femmes et non par un droit divin.

Patrice LECLERC



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