Parole de chrétienne
Marie-Paule Llaurence
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Marie-Paule a une longue expérience d’aumônière de prison à la maison d’arrêt de Fresnes, dans la division des femmes. Elle écrit : « Plus d’une fois, en rentrant dans la cellule, j’ai eu l’impression que Dieu m’y avait devancée… »

J’ai été aumônier à la Maison d’Arrêt des Femmes de Fresnes pendant 6 ans, mission reçue à porter avec d’autres, prêtres, collègues, autres intervenants ….. mission délicate et forte à la fois, mission riche au milieu des pauvres, mission vécue dans l’humilité et la confiance, mission d’écouter sans juger, mission d’accompagner sans imposer, mission de respecter le dit et le non-dit, le rythme de chacun, et de m’abandonner à l’Esprit pour tout ce qui me dépasse.

Un univers de souffrances

La prison est un univers de violences, de souffrances, où Jésus défiguré rejoint le coeur des pauvres.

Nous y rencontrons des personnes désespérées, déstructurées, dont les vies ont été parfois très bousculées…. chemin de croix interminable parfois depuis la petite enfance.

L’on y rencontre aussi des personnes anéanties et découragées par le cauchemar brutal qu’elles n’ont pas vu venir ou par la parole de trop, le geste de trop, le fragment de seconde de trop qui a tout fait basculer. Ecouter, tout écouter, même l’incroyable, « l’inimaginable »….. comme le disait M., jeune femme infanticide lors de son procès tant elle a ellemême du mal à se l’avouer ….

Cette personne devant moi qui a commis l’irréparable n’a quasiment jamais voulu cela…. N’a jamais pensé qu’elle pourrait commettre un tel acte… A tout ce que j’entends je ne peux que me dire : « que dirait le Seigneur devant elle ? ». Le livre de la Sagesse 11,23-24 me donne la réponse :

« Pourtant, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes oeuvres ; si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé. »

C’est la personne que Dieu a créée que je viens voir…

Elle est unique, elle ne peut se réduire à ce qu’elle a commis. L’aumônier ne vient que parce qu’il y est invité. …. Plus d’une fois, en rentrant dans la cellule, j’ai eu l’impression que Dieu m’y avait devancée… une bible, une croix, une image pieuse sur une table, une étagère…

Comment faire renaître dans le coeur de cette maman anéantie l’espérance là où il y a le désespoir, la joie là où il y a la tristesse, la vie là où il y a la mort... ?

Comment faire retentir la joyeuse annonce que le Christ n’est pas une idée ou un souvenir du passé, mais cette Présence qui est avec nous, ici, dans cet espace de 8m2 ? Rien n’est imposé …. Simplement être là, écouter, être attentif au désir de la personne…

S’il y a demande, ensemble nous prions. Il peut même arriver, après des jours, des mois, des années, ….lorsque le temps que nous décrit l’ecclésiaste a accompli son oeuvre….. que nous ayons envie de rêver, d’ imaginer qu’avec l’aide du Seigneur, « rien n’est impossible », que tout peut renaître…

Un univers de conversions

De cette mission confiée et vécue dans l’humilité, la fidélité, sur les pas du Christ …

J’ai beaucoup reçu. Elle m’a permis d’être témoin de ce que l’Esprit fait ressentir au plus profond des coeurs… et des chemins de renaissance qui bousculent nos propres vies.

« Vous vous rendez compte, ce que j’ai fait…. Comment… puis je me pardonner, – « de cet acte que j’ai commis et que je n’ai jamais voulu – je vais devoir vivre AVEC » …. Croyez-vous que Dieu va me pardonner ….« parce que moi, je ne pourrai jamais me pardonner... »

Comment ne pas être bouleversée par les cris de douleur devant la conscience du mal commis, les appels à l’aide pour comprendre le pouvoir du Mal , pour parvenir un jour peut-être au Pardon souhaité, donné ou reçu.

Dans la solitude de la cellule, l’on assiste à la présence du Ressuscité qui apaise, réconforte, restaure :

- « la prison m’a aidée à me trouver, je veux devenir celle que Dieu a mise au monde… »
- « Il faut accepter, …. Il faut tout donner, tout remettre au Seigneur… »


Oui, J’ai beaucoup reçu de ce Dieu fidèle, qui m’a accompagnée sans relâche, …. En Lui, dès le début, j’ai tout remis, mon ignorance des lieux, des actes, des procédures, des règles, mes rencontres…. Au fil des jours, au coeur de ce puits de douleurs, j’ai vu un Dieu qui souffre avec nous, qui relève, qui insuffle une force de vie inattendue dans les moments les plus désespérés.

Combien de fois suis-je sortie d’une cellule en craignant de ne pas revoir la personne anéantie de chagrins, de remords, d’angoisses de toutes sortes…. Et … quel émerveillement, quelques jours plus tard, de voir renaître l’espoir, la vie…

Quel émerveillement de vivre aussi le baptême de F., africaine, qui n’avait pu être baptisée plus tôt par manque de moyens dans son pays… ici, elle sait que Dieu l’accueille dans la simplicité, la vérité et l’authenticité. Et il entend son vrai désir de suivre désormais sa voie.

Cette parole retentit en moi :
(Cf. Corinthiens 4, 7…. Mais ce trésor, nous le portons en nous comme dans les poteries sans valeur : ainsi on voit bien que cette puissance extraordinaire ne vient pas de nous mais de Dieu…)

Richesses de la différence

L’aumônerie, c’est une équipe : des prêtres, d’autres aumôniers, des intervenants, des témoins, des invités de célébration, des chanteurs, instrumentistes, animateurs, une équipe … en lien avec d’autres intervenants : le Secours Catholique, la Croix Rouge….

Et en lien aussi avec les autres aumôneries.
Il m’a donné la joie de rencontres et partages très fraternels et oh combien enrichissants avec ces derniers.
Quel bonheur que de pouvoir célébrer ensemble avec nos frères protestants, orthodoxes, l’unité des chrétiens !
Quelle richesse de partager nos expériences et richesses spirituelles avec nos frères musulmans.
Quels signes d’Espérance que de pouvoir s’inviter mutuellement à divers temps forts, admirer de part et d’autre ce qui fait nos identités, et apprécier ensemble la richesse de nos différences.

Notre Dieu de miséricorde est notre guide dans toutes ces rencontres. A son image, nous nous efforçons de vivre ces temps avec l’amour qu’il nous manifeste, le respect les uns pour les autres. Ces mots sont une force pour tous car ils abattent toutes les barrières, construisent des ponts et de l’harmonie entre tous.

J’éprouve beaucoup de gratitude envers Dieu, envers ceux qui m’ont confié cette mission, envers tous les frères détenus ou non, rencontrés au cours de ces années.

« Ne vous occupez pas des prisonniers si vous ne consentez pas à être leurs sujets et leurs élèves. Ceux que nous appelons des misérables, ce sont eux qui doivent nous évangéliser et convertir. Après Dieu, c’est à eux que je dois le plus » Saint Vincent de Paul.

Marie-Paule Llaurens

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