« Je crois en un seul Dieu, le Père Tout-Puissant
» ; « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique
et apostolique ». Comment comprendre
cette unité qui fait partie du Credo des catholiques
? Comment comprendre ce rapport entre
l’unité de Dieu et celle de l’Église ? Creuser cette
question est une façon de travailler à la paix !
Voici l’un des derniers textes de Michel, qu’il
avait écrit précisément en vue de ce dossier.
La violence des religions monothéistes
On reproche beaucoup à l’Église catholique de prétendre imposer sa
morale au monde entier. Quand une femme ou un homme acculé
à divorcer tente de refaire sa vie, on l’excommunie. N’est-ce pas lui
faire violence ? On peut comprendre que, par souci de défendre la vie, la
hiérarchie catholique interdise à ses membres d’interrompre une grossesse
mais pourquoi s’oppose-t-elle aux lois des différents pays qui ne partagent
pas ses manières de voir ni ses convictions ! On a vu des foules se réclamer
de la morale catholique pour s’opposer, en France, aux lois définissant une
nouvelle éthique. A ses yeux, la morale qu’elle défend est « universelle » :
« catholique », en effet, est la signification de ce mot-là.
Cette forme de violence morale succède à une forme de violence politique
que la hiérarchie catholique a exercée dans le passé. Il n’est pas si loin le temps
où elle s’opposait au pouvoir civil et condamnait les mouvements démocratiques.
Pendant des siècles le Pape exerçait son pouvoir sur les princes :
le « spirituel » prétendait dominer le « temporel ». En même temps, elle
n’hésitait pas à recourir à la manière forte pour imposer ses dogmes lorsqu’ils
étaient contestés. On gardera longtemps en mémoire les journées sanglantes
qui commencèrent le 24 août 1572, jour de la St Barthélemy, faisant des
dizaines de milliers de morts : la catholicité, l’universalité, était rompue et
cela justifiait la violence pour tenter de la sauvegarder.
De nos jours, si l’islam a mauvaise presse en Europe c’est non seulement à
cause d’une présence étrangère qui dérange les manières de vivre dans les
différents pays mais c’est surtout à cause des actes terroristes et des prétentions
de l’islam au Proche-Orient. En Irak et en Syrie, Al-Bagdadi, le 29 juin
2014, s’autoproclamait « Calife ». Avec des groupes musulmans engagés dans
une guerre qu’ils considéraient comme sainte (djihad), Al-Bagdadi prétendait
instaurer un Etat islamique. Une guerre aux dimensions internationales
s’ensuivit qui n’est pas achevée : la terreur se répand dans tous les pays. Tous
ces « djihadistes » sont convaincus qu’agissant comme ils le font, ils se soumettent
à la volonté de Dieu.
Les événements qui se déroulent aujourd’hui au Proche-Orient donnent à
réfléchir. Ils avaient commencé avec la guerre du Liban de 1975 à 1990. La
même année l’Irak de Saddam Hussein envahissait le Koweït avant d’être
lui-même envahi, quelques années plus tard, par une coalition occidentale
menée par Le Président des Etats-Unis, George W. Bush. Toute cette histoire,
loin d’être terminée, est un affrontement entre religions monothéistes.
La guerre du Liban était un affrontement entre religions monothéistes à l’intérieur
de ses frontières, entre chrétiens, musulmans et Druzes et manipulée
de l’extérieur par Israël, le peuple juif. La guerre menée contre l’Irak, pays
musulman, était considérée comme une « croisade », aux dires du Président
des Etats-Unis, à l’instar des siècles où chrétiens et musulmans s’affrontaient
à propos du tombeau de Jésus à Jérusalem.
Qu’est-ce donc que le monothéisme ?
Le monothéisme, dont se réclament les Juifs, les chrétiens et les musulmans
est né en Palestine au retour de l’Exil du peuple juif à Babylone, au milieu
du 5ème siècle avant Jésus-Christ.
Il avait été préparé et accompagné par la prédication des prophètes qui tentaient
de détruire le culte des idoles ; il était formulé en des termes qui sontla profession de foi des Juifs encore aujourd’hui et que Jésus avait reprise :
« Ecoute, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, et tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et de toute ton âme, de tout ton esprit
et de toute ta force » (Marc 12,29). Les disciples, en agissant au nom de
Jésus, se réclamèrent eux aussi de cet « unique Seigneur » que leur maître
appelait « Père ».
Au temps de Jésus, le monde juif rencontrait le monde grec. A l’époque
où les Juifs se réclamaient tous d’un seul Seigneur, les philosophes Platon
et Aristote affirmaient l’existence d’un Être absolu transcendant le monde,
cause première de tout ce qui existe. Ces deux approches de la transcendance
se sont rencontrées. La prédication de Mohammed, au 7ème siècle, semble
en être une conséquence. Il parle, lui aussi, au nom d’un Dieu unique, cause
ultime de l’univers.
L’Irak où se déroulent aujourd’hui les affrontements violents entre religions
monothéistes est le lieu d’où partit Abraham jusqu’à la terre de Canaan.
Est-ce un hasard si pareille rencontre se situe en cet endroit ? Juifs, chrétiens
et musulmans, en effet, se réclament d’Abraham, le patriarche, leur
ancêtre commun. La référence à un patriarche s’accompagne de l’existence
d’un clan dont l’ancêtre protège l’unité. Sous des formes diverses, chacune
des religions monothéistes s’efforce de protéger sa propre unité en affirmant
celle de son Seigneur. L’islam considère qu’il forme une seule « maison »
(« Dar el islam ») dans laquelle les musulmans ont mission d’affirmer l’unité
de Dieu. Les Juifs ont traversé les siècles, dispersés au milieu de cultures les
plus diverses en réussissant à ne pas se laisser altérer. L’Église s’affirme « une
et sainte ». L’unicité de Dieu s’accompagne de l’unité des familles humaines
qui croient en lui.
On peut se demander si, en protégeant l’unité, le monothéisme n’est pas
générateur de violence. L’islam, dès sa naissance, a tenté de s’étendre dans
le monde entier en désirant soumettre tous les humains à l’autorité d’une
même loi, la Sharia : l’islam signifie soumission. Ce qui n’est pas dans « la
maison de l’islam » (Dar el islam) s’appelle « Maison de la guerre » (Dar el
harb). En s’affirmant « une et sainte », l’Église, elle aussi, a voulu imposer
sa morale et ses dogmes « à toutes les créatures » quitte à faire des bûchers
et des autodafés et à accompagner les nations dans leurs entreprises colonisatrices.
Innocent pendant des siècles, dès son entrée dans l’histoire, Israël,
aujourd’hui, ne peut vivre pacifiquement avec ses voisins. Le Général de
Gaulle parlait, à son propos, d’un « peuple arrogant et dominateur ».
En réalité, les différentes familles monothéistes risquent d’oublier quelle
sorte d’unité elles ont à protéger. Si elles sombrent dans la violence chacuneprétend agir au nom de quelqu’un qui appelle à la paix : « Recherche la paix
et poursuis-la », dit le psaume 33. Les musulmans ne manquent jamais de
dire que le mot islam signifie paix (islam/salam) ; « Je vous laisse ma paix »
disait Jésus à sa dernière heure. A chacune des religions de s’interroger.
La vocation chrétienne
Le monothéisme des chrétiens ne se rattache pas directement à Jésus. Il s’est
affirmé au second siècle pour faire face au gnosticisme qui avait sur le monde,
sur la vie et sur la religion une vision dualiste : le Bien s’oppose au mal, un
Dieu bon s’oppose à un Dieu mauvais, le Nouveau Testament s’oppose à
l’ancien, le Dieu de Jésus s’oppose au Dieu du Pentateuque, le créateur toutpuissant
qui a fait le ciel et la terre avec tout le mal qu’elle contient.
La jeune Église a voulu sauver le Seigneur auquel Jésus se référait et affirmer,
dans le même mouvement, l’unité entre le Dieu créateur dont parle l’Ancien
Testament et Jésus qu’elle vénérait comme son Seigneur. Ainsi naissait « le
symbole des apôtres : « Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, créateur
du ciel et de la terre, et en Jésus-Christ son Fils unique. »
En l’associant à la puissance créatrice, on faisait de Jésus « Le pantocrator »,
c’est-à-dire « Celui qui domine l’univers ». Certes, en affirmant le lien de
Jésus au créateur, on préparait la formulation du mystère de la Trinité qui
chante l’amour à l’intérieur de Dieu. Mais, en parlant de « domination », on
courait le risque d’oublier le message de Jésus qui révélait que la grandeur de
son Père était inséparable de l’extrême faiblesse qui s’est révélée aux heures
de sa Passion.
L’apparition de la hiérarchie est une des conséquences de ce concept de « domination
». « Au nom de Jésus », on a voulu reproduire, entre les croyants,
les rapports de maîtrise entre le créateur et le monde. C’est alors que les responsables
des communautés qui s’étaient constituées autour de l’Eucharistie
devinrent les « évêques » ; ceux-ci deviendraient bientôt les « Seigneurs »
qui administreraient la société et dont « les prêtres » seraient les auxiliaires.
Tout un système de gouvernement se mettait alors en place reposant sur des
rapports de pouvoir à la place des rapports de fraternité prévalant jusqu’alors.
A partir de ce tournant, la culture occidentale s’est développée. L’Église a su
s’imposer à la place de l’Empire romain ; des dogmes se sont mis en place
que la hiérarchie a imposés, au nom d’une vérité dont elle s’affirmait dépositaire.
Une morale s’affirmant universelle s’est élaborée et, au fil des siècles
l’Église a veillé à ce qu’elle soit respectée. Son pouvoir, en se réclamant deJésus, avait réussi à s’imposer aux grands de ce monde : empereurs, princes
ou rois. Elle tentait de maintenir, fût-ce au prix de violents conflits, une
unité sans faille, persuadée qu’elle agissait ainsi au nom de Jésus. N’avait-il
pas dit : « Qu’ils soient UN » ?
Le monde s’est émancipé. Il refuse cet exercice de pouvoir qui se réclame
de Dieu. L’Église est acculée à s’interroger. « Qu’ils soient Un ! » Comment
comprendre ?
L’unité attachée au Dieu d’Abraham, chez les disciples de Jésus, n’est pas à
conserver mais à promouvoir. Elle n’est pas enfermée dans un enclos, comme
les brebis dans un bercail ; elle suppose une sortie pour atteindre l’autre non
pour l’assimiler en le rendant semblable mais en respectant sa différence,
en acceptant qu’il soit l’autre. Si l’un rejoint l’autre, dans la cohérence chrétienne,
ce n’est pas pour l’assujettir mais pour devenir son frère, ce n’est pas
pour l’intégrer mais, comme disent les Juifs et les chrétiens, pour entrer
en « alliance » avec lui. C’est alors qu’on peut comprendre que le Dieu Un
devient le Tout-Autre tant il est vrai que l’Un ne va jamais sans l’Autre.
Dans ces conditions on voit que promouvoir l’unité est un beau mystère.
C’est une entrée dans la Trinité. Entrer en relation avec autrui, ne pas se
dérober à ce que le théologien Guy Lafon appelle « l’entretien », sortir de soi
pour faire alliance avec quiconque, quitte à y laisser sa propre vie, c’est vivre
du lien qui unit le Fils à son Père, dans un « entretien infini ». C’est entrer
dans la vie de Dieu, dans le mouvement qui tourne l’un vers l’autre le Père
vers le Fils. Ce mouvement s’avère le mouvement de celui que Jésus appelle
Esprit et qui nous est donné.
L’Église est sortie de sa vocation chaque fois qu’elle a cherché à s’imposer ou
à imposer ses dogmes et sa morale. Il lui est demandé ainsi qu’à ceux qui
se réclament d’elle, de ne jamais céder à la tentation de l’exclusion. Elle est
appelée à sortir d’elle-même, à se laisser prendre par l’Esprit, l’autre nom de
l’amour, qui est à la fois le lien du Fils à son Père et le lien à tous nos frères
en humanité. Quand elle se nourrit de cet amour, alors seulement elle peut
dire qu’elle est universelle en prenant à la lettre le mot Univers, c’est-à-dire en
étant tourné « vers – l’un ». Elle est une marche, une démarche vers les autres
en tant qu’ils sont autres, au nom de l’Autre que nous appelons Seigneur.
L’unité dont Jésus parle est celle du Royaume de Dieu où, nous l’espérons,
tous seront réconciliés. Cette unité-là ne sera jamais atteinte mais toujours
à désirer. Telle est l’Espérance chrétienne !
Michel Jondot