Ma respectueuse indifférence
Patrice Leclerc
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« Je vois des croyants, écrit Patrice Leclerc - maire communiste de Gennevilliers -, pour qui la religion est une vraie philosophie de la vie, un moyen de réfléchir et d’agir « en Homme de bonne volonté& », d’autres dont la croyance est comme une bouée dans un monde impensé, voire un refus de penser pour échapper à la rudesse du présent dans l’attente du paradis. »

C’est avec plaisir que je réponds à l’invitation de la « maison islamo- chrétienne » de m’expliquer sur mon indifférence à Dieu. Je le fais avec plaisir car je ne suis pas indifférent à la qualité des femmes et des hommes qui animent cet espace de dialogues et de réflexions. Je ne suis pas indifférent au partage et à l’échange entre « Hommes de bonne volonté » (au choix : Évangile de Luc, chap. 2, verset 14 ou Jules Romains).

J’ai une expérience personnelle qui m’a fait rencontrer de nombreux croyants et toutes les religions du livre. J’ai été baptisé. J’ai fait mes communions comme tous les enfants de ma famille. Catholique convaincu et pratiquant, je me suis construit « mon matérialisme » à partir de l’âge de 20 ans. J’ai aussi fait un an de philosophie islamique à l’Université de Nanterre. Mon expérience militante m’a fait rencontrer ou converger avec des croyants catholiques, musulmans, juifs et plus récemment protestants lors d’actions ou d’initiatives politiques. J’ai du respect envers celles et ceux qui croient, comme envers ceux qui ne croient pas.

Lorsque j’étais croyant, je ne pouvais pas imaginer le monde sans Dieu, je n’imaginais pas qu’on ne puisse ne « pas croire ». Quand quelqu’un me disait ne pas croire en Dieu, je cherchais à le pousser dans ses retranchements : « tu crois forcément en quelque chose de non naturel, de mystique ». J’imaginais pour lui ses croyances. Bref, la non croyance me semblait impossible. Aujourd’hui, je ne me pose pas la question de dieu, je ne me pose pas la question de son existence, je ne pense plus à Dieu. C’est en ce sens que je suis indifférent à la question de l’existence ou non d’un ou plusieurs dieux. Les religions m’intéressent cependant comme système de représentation du monde et de la société, qu’ont des personnes qui m’entourent.

Vous m’interrogez sur mon jugement sur la démarche des croyants ? Naïveté ? Aliénation ?

Cela dépend des pratiques et des conceptions. Je vois des croyants pour qui la religion est une vraie philosophie de la vie, un moyen de réfléchir et d’agir « en Homme de bonne volonté », d’autres dont la croyance est comme une bouée dans un monde impensé, voire un refus de penser pour échapper à la rudesse du présent dans l’attente du paradis. Pour certain-es, c’est le moyen de relever la tête et se tenir droit, d’affirmer la dignité humaine, quand pour d’autres, c’est un objet d’asservissement, de soumission, d’acceptation des inégalités et des dominations. Je vois ces différences de conceptions chez les chrétiens, les musulmans, les juifs. Je serai donc prudent et n’aurai pas un jugement globalisant sur la question de l’aliénation. La pratique religieuse peut être à la fois « l’expression de la vraie détresse et la protestation contre cette vraie détresse. La religion est le soupir de la créature opprimée, le coeur d’un monde sans coeur, tout comme elle est l’esprit d’une situation sans spiritualité » (K. Marx).

Pour ce qui est de la notion de naïveté, il est vrai qu’il m’arrive souvent de polémiquer avec mes amis croyants sur ce thème. Naïveté ou prétention ? Car comment peut-on penser qu’un être aussi grand, aussi parfait, aussi « sans besoin », qui se suffit en lui-même, etc… trouve important ce qu’il y a dans notre assiette ? Écoute aux portes des confessionnaux ? Comment ne peut-on pas avoir une lecture plus contemporaine, plus adaptée des intentions du Livre, des livres ?

La société a-t-elle des raisons de se méfier des croyants ? Lesquelles ?

Pas plus que d’autres personnes. La société doit se méfier des personnes qui refusent de penser. La société doit se méfier d’elle-même car c’est elle qui produit l’obscurantisme, « les âmes errantes » (Tobie Nathan), lorsqu’elle s’attaque à la dignité humaine en marchandisant toute chose, y compris le corps humain. « Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque autre chose, à titre équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’a pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. » (Kant). Reconnaître à l’être humain une dignité, c’est poser qu’il est « sans prix » contrairement à une pub infamante « parce que je le vaux bien » (L’Oréal). Non, une femme ne vaut pas un produit marketing !

Là encore, les croyants peuvent être des alliés pour lutter contre l’argent roi, pour le respect de l’être humain. Je les rencontre dans les associations, les syndicats, les partis politiques, ils s’organisent dans leur église, leur mosquée, leur synagogue pour faire vivre la solidarité, la générosité. D’autres croyants peuvent être des adversaires, car ils adorent toujours le veau d’or, ils vont à la messe, à la mosquée, à la synagogue et tirent leur richesse de la misère et l’exploitation d’autres êtres humains. Ils font partie de cette bourgeoisie qui « a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petitebourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste » (K.Marx).

Mais alors, le mécréant que je suis a-t-il des convictions personnelles face aux problèmes de l’existence : la vie et la mort, les injustices, la société ?

Pour moi, la mort n’existe pas. Il n’y a que la vie qui existe. La mort n’est que l’absence de vie. C’est un fait naturel qui permet l’évolution. J’ai peur de la mort des autres, pas de la mienne. C’est l’absence de l’autre qui fait souffrir.

Je plaisante souvent avec le Père Hervé Rouxel à Gennevilliers, en soulevant une injustice : si j’ai raison sur l’absence de Dieu et d’un au-delà après la mort, je ne pourrai pas lui faire remarquer. Si c’est lui qui a raison, il pourra me charrier  

J’essaye de mettre en pratique cette devise : « sois avec autrui comme tu aimerais que l’on soit avec toi ». Sûrement des restes de mon catéchisme. Surtout, une leçon que je tire de la tragédie communiste du siècle dernier. Sans démocratie, sans liberté de penser, sans réelle égalité et égale liberté dans la diversité de pensée et de conviction, il ne peut y avoir d’émancipation durable. C’est cette volonté d’être utile aux autres qui donne un sens à chaque action, chaque décision qu’elle soit personnelle ou dans le cadre municipal. Cette recherche d’utilité n’est pas apolitique, elle est portée par une vision sur la société à construire. Car il ne peut pas y avoir d’émancipation humaine et de développement durable, respectueux de la nature et des hommes, sans remise en cause du système capitaliste qui écrase le monde.

Je ne néglige aucun geste de solidarité, de compassion, mais au fond, il faut remettre la société humaine sur ses pieds. Jamais le monde n’aura produit autant de richesses, jamais les inégalités n’auront été aussi grandes. Tout cela pour une simple raison : les richesses sont mal réparties, mal partagées. Elles sont accaparées par quelques-uns. Il faut construire un monde des communs, une société qui agit contre toutes les dominations. Permettez-moi une nouvelle citation de Karl Marx pour donner à comprendre que la société pour laquelle j’agis avec d’autres, n’est pas un mythe, une douce illusion, mais qu’elle existe déjà en germe dans les contradictions du monde présent, ancrée dans le réel. Elle est donc possible.

« Notre devise sera donc : réforme de la conscience, non par des dogmes, mais par l’analyse de la conscience mystique, obscure à elle-même, qu’elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. On verra alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement. On s’apercevra qu’il ne s’agit pas de tirer un grand trait suspensif entre le passé et l’avenir, mais d’accomplir les idées du passé. On verra enfin que l’humanité ne commence pas une oeuvre nouvelle, mais qu’elle réalise son oeuvre ancienne avec conscience. »

La réponse aux problèmes du monde est politique. Il y a besoin de toutes les forces populaires, unies dans leur diversité de croyance ou de noncroyance pour reconstruire une pensée politique d’émancipation humaine, pour démarchandiser le monde et partager des communs, pour donner une réalité au droit au logement, à la santé, à l’Éducation, au travail, au bonheur… Pour ce faire, il n’y a pas d’autre chemin que le pari de l’intelligence collective, et de la démonstration par l’exemple.

Patrice Leclerc


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