Les soucis d'une maman musulmane
Aïcha
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Aïcha est maman d’un garçon de 11 ans (Karim) et d’une fille de 9 ans (Fatiha). « Je dois leur apprendre, dit-elle, ce qui est bien et ce que l’islam interdit. »


Comment s’est passée la rentrée par rapport aux années précédentes ? La réforme des rythmes scolaires s’est-elle mise en place aisément chez les primaires de Villeneuve-la-Garenne ?

Toutes les mamans ont été bousculées. Aujourd’hui, un mois après la rentrée, elles continuent à être en recherche d’un emploi du temps vivable. L’année dernière elles envoyaient leurs enfants faire du sport le mercredi matin ; maintenant ils sont à l’école. Le samedi matin était réservé aux cours d’arabe, maintenant il est consacré aux activités sportives. Tout est sens dessus-dessous. Par ailleurs l’école finit plus tôt qu’avant et l’étude comme la garderie sont payantes. Beaucoup de mères reprennent leurs enfants à 15h45 mais c’est très tôt dans la journée : elles sont bousculées. Autrefois les mamans avaient une plage de liberté pour mener leurs propres activités en début d’après-midi, maintenant elles sont stressées. Mais c’est peut-être une question d’habitude à prendre. En tout cas le changement de rythme des enfants joue sur celui des mamans !

Quant aux activités périscolaires insérées dans le temps scolaire, je ne suis pas au courant. Pourtant ma fille Fatiha est en CM1 mais elle ne m’en a pas parlé. J’ai l’impression que ce n’est pas encore mis en place. Elle m’a dit que quelqu’un de la mairie devait venir leur parler mais je n’ai même pas compris de quoi il s’agissait et je ne dois pas être la seule. Fatiha m’a déclaré : « Moi je veux faire de la musique et du judo ! » Pour ma part, j’ai décidé de laisser mes enfants à la cantine pour pouvoir disposer d’un peu de temps sans avoir le souci de mener et d’aller chercher les enfants à l’école.

Les parents suivent-ils de près ce qui se passe à l’école ou bien baissent-ils les bras parce qu’ils ne se sentent pas compétents ?

Les mères s’occupent davantage que les pères des études de leurs enfants. Les maris sont pris par leur travail. Ce sont les femmes qui s’occupent de l’éducation, de suivre le travail scolaire des enfants et des activités en-dehors de l’école. Elles suivent les résultats. Elles vont aux réunions de parents. Certaines avouent qu’elles n’y comprennent pas grand-chose. Les enseignants insistent pour que les parents viennent. Comme les maris sont partis, ce sont elles qui se dérangent.

Les parents ont-ils de l’ambition pour leurs enfants ?

Ils ambitionnent tous un bel avenir professionnel. J’aimerais que mes enfants réussissent dans leurs vies. Je n’arrête pas de dire à chacun : « Si tu veux un métier intéressant, si tu veux faire autre chose que de ramasser les poubelles ou être femme de ménage, il faut t’accrocher aux études. Si vous voulez faire plaisir à maman, travaillez pour vous et je serai heureuse. » Leur réussite est aussi la mienne ! C’est le cas, me semble-t-il dans la plupart des familles.

Y a-t-il beaucoup de parents qui assurent un enseignement à la maison et ne mettent pas leurs enfants à l’école ?

Très peu. Je connais beaucoup de familles de « la Caravelle » ; seulement deux ont retiré leur fille de l’école ; les garçons sont scolarisés normalement.


Les «ABCD de l’égalité» ont suscité la crainte de parents qui pensaient qu’à l’école on allait dire aux enfants qu’un garçon pouvait devenir une fille et réciproquement. Y a-t-il eu des réactions de parents dans la Caravelle ?

Beaucoup de parents ont été très choqués. Les mères s’en parlaient devant l’école. A Villeneuve, la rumeur a pris. Tout le monde était remonté. Des messages circulaient dans tous les sens pour dire aux parents qu’il fallait retirer leur enfant de l’école une journée pour protester. Beaucoup ont suivi la consigne. Les femmes que je rencontrais étaient vraiment affolées. Elles voulaient faire des pétitions, des manifestations. Mais, par la suite, l’école les a apaisées. Les enseignants leur ont dit qu’il ne s’agissait que d’une rumeur à laquelle il ne fallait pas faire attention. Les parents ont fait confiance aux enseignants et tout s’est calmé.

Personnellement, je suis complètement pour l’égalité entre les hommes et les femmes ; je trouve bien qu’on éduque les enfants en ce sens. La plupart des familles sont comme moi. Les femmes devraient avoir les mêmes perspectives d’emploi et le même salaire que les hommes. Bien sûr, il faut accepter que physiquement nous, les femmes, ayons moins de force que les hommes et donc que certains travaux ne nous soient pas accessibles, sauf exception. Moi j’aurais bien aimé appartenir à l’armée mais je n’en ai pas la capacité physique ; je suis heureuse de voir que des femmes peuvent y faire carrière. Je trouve valorisant de montrer aux hommes que nous sommes aussi capables qu’eux. Depuis des siècles les femmes ont été inférieures aux hommes, il est vraiment temps que ça change. Nous sommes fières de voir une femme conduire un autobus, fières qu’une femme dirige le gouvernement en Allemagne, etc. Si l’école apprend à nos filles à ne pas se laisser dominer et aux garçons à ne pas jouer aux plus forts nous trouvons cela très bien. S’il s’agit ne leur enseigner qu’on peut changer de sexe, évidemment nous ne sommes pas du tout d’accord.

Tu évoquais des cours d’arabe pour les enfants. Les familles sont-elles nombreuses à inscire leurs enfants à ces cours ? Pourquoi le font-elles ?

Presque toutes les familles désirent que leurs enfants parlent arabe ; les parents veulent qu’ils parlent la langue maternelle. J’ai moi-même inscrit mes deux enfants aux cours d’arabe de Mes-tissages. Certaines familles préfèrent que leurs enfants fréquentent la mosquée où on leur apprend l’arabe et de nombreuses sourates du Coran. D’autres comme moi préfèrent un enseignement plus large. Au Maroc, mes parents ne savent pas parler français, les enfants sont obligés de parler arabe avec eux sinon ils ne pourront jamais créer de relations vraies avec leurs grands-parents. A la maison, mes enfants ne parlent que français. Si je leur parle arabe, ils me comprennent mais ils ont du mal à me répondre en arabe. Cette année, au Maroc, Fatiha a commencé à parler arabe. Karim, le garçon, a plus de mal. Il me répond  : « Je suis français ; je ne veux pas apprendre l’arabe ! » C’est, je crois, la même chose dans toutes les familles. Nous inscrivons nos enfants aux cours d’arabe aussi pour des raisons religieuses : nous désirons qu’ils connaissent quelques sourates courtes du Coran pour pouvoir faire la prière. Cela fait partie de notre culture, des points de repères de toute famille musulmane.


Comment se fait l’éducation religieuse dans les familles musulmanes ?

Cela commence par la Fatiha que l’on prononce à l’oreille du nouveau-né. Karim a 11 ans et Fatiha 9 ans et demi. Ils commencent à nous poser des questions. En effet, on parle des religions à l’école. En CM1, ils ont des cours d’histoire où on leur parle du christianisme, de l’islam, du judaïsme. Fatiha est curieuse : « Pourquoi des chrétiens, pourquoi des religions différentes ? » Elle pose des questions et son père se charge de lui répondre. Auparavant nous ne parlions pas de religion à nos enfants. Nous nous contentions de signaler ce qui est interdit (par exemple manger du porc à la cantine). Maintenant on commence à parler sérieusement et il arrive que nous ne sachions pas répondre à ce que les enfants demandent ; nous les envoyons alors faire une recherche eux-mêmes sur internet et c’est eux qui nous apprennent ce qu’ils ont trouvé.

Depuis toujours nos enfants nous voient faire la prière, faire le Ramadan et fêter les deux Aïd. Nous leur parlons à ces occasions. Dans quelques jours, nous célébrerons la fête du Mouton, l’Aïd el Khébir. Nous leur avons expliqué l’histoire d’Abraham et de son fils. Ils sont curieux parce qu’ils sont en recherche de leur identité musulmane. Quand nous faisons la prière, ils sont à côté de nous pour nous imiter, sans qu’on le leur demande. Pour le Ramadan, les années précédentes, nous leur demandions de jeûner pendant un temps limité, jusqu’à midi, ensuite jusqu’à 13 heures. Cette année, bien que le Ramadan soit en juillet et août, Karim a tenu à le faire totalement et Fatiha a repoussé le plus possible l’heure du déjeuner. Karim était très fier d’avoir tenu jusqu’au bout ; pour lui cela signifiait qu’il était devenu grand. Moi, je l’ai laissé faire mais j’ai eu peur pour sa santé.

Fatiha, récemment, m’a posé la question : « Pourquoi tu ne portes pas le voile ? » Elle avait une copine à l’école qui lui a dit : « Une femme qui ne porte pas le voile va en enfer. » C’est sa mère qui le lui avait enseigné. Ma fille m’a dit : « J’ai peur pour toi ! » Maintenant ce sont les enfants qui contraignent religieusement les parents. A La Caravelle je vois des jeunes filles qui, dès l’âge de 12 ans, veulent porter le voile. Ce ne sont pas les parents qui l’imposent.

A La Caravelle, des mamans peuvent ou non se voiler. En revanche, parmi les adolescentes et les jeunes filles, il y a une quasi unanimité non seulement pour porter le voile mais pour faire pression sur les parents. Il me semble parfois que le port du voile est devenu un effet de groupe chez les jeunes, une sorte de mode comme de porter le jean il y a quelques années.


Quand arrive la puberté, les garçons et les filles se mettent souvent à « draguer ». Comment est vécue la mixité dans le milieu scolaire ? Les parents s’en méfient-ils ?

Les parents acceptent la mixité à l’école sans difficultés. Cependant, certains cours d’éducation sexuelle peuvent faire problème. On montre aux jeunes comment faire attention pour que les filles ne soient pas enceintes. Elles ramènent chez elles les préservatifs ou la pilule qu’on leur distribue à l’école. Certaines femmes ont du mal quand elles trouvent des préservatifs dans le cartable de leurs enfants. Je me souviens d’une mère, vraiment très gentille, qui a été profondément choquée ; il a fallu que sa fille lui explique que quelqu’un est venu à l’école et leur a distribué ces préservatifs mais que ça ne veut pas dire qu’elle les utilise.

Après, un travail se fait à la maison pour dire que chez nous, musulmans, il n’est pas normal d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. Dans ma famille, c’est davantage moi que mon mari qui parle de ces sujets aux enfants. Je ne veux pas qu’il y ait une barrière entre mon fils et moi mais c’est parfois difficile parce qu’il a un peu honte d’aborder ces questions. J’essaye de lui apprendre à avoir de la pudeur sur ces sujets : je préfère qu’on en parle à deux plutôt que de l’entendre en parler sans respect, par exemple à table devant sa petite sœur. Pour moi ce n’est pas un sujet banal où dont on peut se moquer. Du côté de ma fille de 9 ans, je lui dis qu’elle a le droit d’avoir des « amoureux » mais qu’il ne faut pas forcément qu’elle s’attache. Je lui dis qu’elle est encore petite et qu’il faut qu’elle profite de sa vie sans être trop triste si son amoureux la laisse. Je lui dirai, quand elle aura l’âge, qu’elle ne doit pas rester seule dans une pièce où il y a un ou plusieurs garçons parce que ça peut être dangereux pour elle. C’est la religion qui le demande. Moi qui suis adulte, je n’ai aucun problème à rester seule dans une pièce où il y a un homme. Pour des jeunes, je trouve que ce n’est pas pareil ; la religion a raison d’interdire d’être dans la même pièce parce que leur sexualité n’est pas encore bien posée. Il y a toujours la tentation et des jeunes ne mesurent pas forcément les conséquences de leurs actes.

Mais je sais bien qu’on a beau essayer d’expliquer, la fille comme le garçon feront ce qu’ils veulent. L’essentiel pour moi est de leur parler de ce qui est bien et de ce qui est interdit. L’âge de l’adolescence est difficile. Ils laisseront peut-être tout ce que je leur dis. Mais mon mari et moi, nous devons leur dire ce qu’on n’a pas le droit de faire dans notre religion. Ensuite ce sera à eux de voir s’ils vont ou non le pratiquer.

Nous avons à leur inculquer les bases de notre religion : il faut que je dise à mon fils et à ma fille qu’il ne faut pas avoir de relations sexuelles avant le mariage. Je sais que les temps ont changé. Même chez nous, au Maroc, il est devenu normal d’avoir un copain ou une copine. Les gens vivent à l’européenne. Je suis choquée quand je vais au Maroc parce que, dans mon temps, il fallait se cacher lorsqu’on avait un copain. Maintenant tout le monde le sait ; les jeunes présentent à leur famille leur copain ou leur copine.

Karim rentre au collège. Vous vouliez l’inscrire dans une école privée. Y a-t-il beaucoup de parents qui veulent mettre leurs enfants dans le privé. Pourquoi ?

Oui une grande proportion de familles veut mettre leurs enfants dans l’enseignement privé, mais très peu dans une école musulmane. La plupart choisissent des écoles catholiques. Nous n’avons pas eu de place pour notre fils et beaucoup sont comme nous ; mais si les places n’étaient pas si limitées, les familles seraient beaucoup plus nombreuses à le faire. Nous croyons que, dans le privé, les enfants sont mieux encadrés. En fait, comme moi, la grande majorité des familles est très satisfaite de l’enseignement dans les collèges et lycées publics. Les enseignants font très bien leur travail ; ils donnent des devoirs, ils parlent avec les jeunes. Mon fils, par exemple, rentre vraiment très content, il est passionné par les cours. Mais j’ai peur de la fréquentation, surtout à l’adolescence, quand les jeunes traînent dehors et vont rejoindre les copains qu’ils ont connus en classe. Je refuse, actuellement, que mon fils aille chez des copains parce que je ne sais pas qui ils sont et que sur Villeneuve il y a des risques. J’aimerais que mon fils puisse se faire des copains dont je sois « sûre » et qu’il puisse aller chez eux plutôt que de rester à la maison devant sa tablette ou son ordinateur. Mais nous habitons une « zone sensible » et nous avons peur pour nos enfants de la drogue, du racket, du harcèlement que l’on peut trouver au collège ou au lycée publics. Les parents éduquent leurs enfants dans un certain sens mais la majorité du temps se passe à l’école. Ils y apprennent beaucoup de choses, non par les enseignants, mais par des bandes de jeunes.


Tu connais La Caravelle depuis plus de dix ans et tu y as rencontré beaucoup d’enfants. Que sont-ils devenus 10 ans après ?

La plupart des filles se sont mariées. Beaucoup de filles se marient très jeunes, vers 18 ans. Pour moi, c’est un peu trop tôt mais c’est la coutume. Souvent, elles ont des enfants très vite après leur mariage. Les jeunes se marient avec quelqu’un de leur religion : je n’en connais pas qui se soient mariés avec des non-musulmans. Plusieurs jeunes-filles se sont mariées avec des convertis à l’islam.

Certaines poursuivent leurs études ou travaillent après leur mariage, même si elles ont déjà des enfants. D’autres restent à la maison. Très rares sont les jeunes-femmes qui ne sont pas voilées. Celles qui ont un emploi enlèvent le voile pour travailler et le remettent ensuite.

A La Caravelle y a-t-il beaucoup de couples non mariés ? Si oui est-ce choquant pour l’environnement ?

Je n’en connais qu’un et ils ont des enfants mais peut-être y en a-t-il d’autres. Oui c’est choquant. Mais maintenant surtout il y a une nouvelle mode : on se marie religieusement sans passer à la mairie. Les futurs conjoints prononcent la Fatiha devant témoin et ils sont mariés selon l’islam. Comme le divorce est permis, on peut toujours ensuite se séparer. Un homme vit avec une femme trois ou quatre mois, la laisse et va faire la même chose avec une autre. Pour moi, c’est l’adultère hallal (autorisé) ! Actuellement la plupart des imams refusent de marier par Fatiha si l’on n’est pas d’abord marié à la mairie mais des couples trouvent quand même des moyens de le faire.

Des adolescents se font parfois prendre dans des courants djihadistes. Sentez-vous cela à la Caravelle ?

Je n’en connais aucun à la Caravelle. On en entend parler mais ce sont des jeunes qui habitent ailleurs et que nous ne connaissons pas.

Les jeunes sont-ils politisés ?

Je ne sais pas. Ils savent que, pour le travail, il y a de la discrimination. Beaucoup de jeunes, même parmi ceux qui ont fait des études supérieures, sont au chômage et cela génère une grande inquiétude. Ceux qui touchent le RSA après de longues études ne sont pas fiers d’être « assistés » pour pouvoir vivre.

Par ailleurs, au moment de Gaza, des jeunes ont mis le drapeau de la Palestine à leur fenêtre. Mais je n’en connais aucun qui appartienne vraiment à un parti politique. Ils sont tous très marqués par les assassinats qui sont commis par les membres de l’Etat islamique. Mon fils, par exemple, a été très choqué de voir à la télévision quelqu’un qui a été décapité ; il m’a dit : « Maman, il faut arrêter ça, l’arrêter ! C’est vrai que ce sont des musulmans qui font ça ? » Il a fallu que son père lui explique que ce n’est pas cela l’islam et que ce sont des terroristes qui se servent de l’islam pour commettre des atrocités. Quand on voit des actes aussi terribles, nos enfants et nous-mêmes sommes encore plus touchés que les non-musulmans. Heureusement, en islam, des personnalités commencent à dénoncer fortement ces actes terroristes dans les media. Nous n’avons rien à voir avec ces terroristes fous ! Nous ne voulons pas que nous-mêmes ou nos enfants soyons en quoi que ce soit associés à ces actes insensés !

Aïcha


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