Le plaisir, la loi, l'amour
Mohammed Benali
"Convoitise ou désir..." Page d'accueil Nouveautés Contact

Parce que Dieu nous aime, parce qu’il désire notre bonheur, il nous a donné des lois qui limitent nos convoitises mais nous permettent de vivre ensemble dans la justice.

Les convoitises et la loi

Le rôle de la loi, que ce soit dans la religion ou dans l’Etat, est d’éviter qu’on sombre dans le chaos. L’être humain a toujours tendance à dépasser les limites. La loi instaure des lignes à ne pas dépasser. Mais il ne faut pas croire que la loi, en islam, interdit le plaisir. L’islam n’a pas imposé la loi pour supprimer le plaisir qui reste légitime. Il ne s’agit pas de supprimer ou d’interdire mais de limiter. La liberté de l’être humain risque de dépasser certaines lignes rouges et de freiner la liberté des autres. Dans toutes les sociétés on trouve des brebis galeuses qui ne respectent ni foi ni loi. Elles cherchent le plaisir à tout prix en méprisant le respect d’autrui. Je crois que la loi, qu’elle soit religieuse ou civile, permet que les membres de la société vivent en paix grâce aux limites qu’elle impose à la convoitise humaine.

J’insiste pour dire que, si la loi limite les convoitises, les musulmans ne considèrent pas qu’elle interdise le plaisir. Prenons l’exemple de la morale familiale, la loi ne se contente pas de favoriser les naissances ; elle permet avant tout le plaisir entre les époux. Bien sûr, à l’intérieur de certaines limites afin de faire naître le respect entre l’homme et la femme. Entre autres interdits l’islam condamne l’adultère. Cela ne veut pas dire que l’époux infidèle est rejeté de la communauté. C’est un péché qui nécessite le repentir et le retour à Dieu.

En tout cas, je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui diraient que la rencontre sexuelle entre l’homme et la femme n’a pas d’autre but que la procréation. Le premier but est le plaisir. C’est Dieu qui a fait le corps humain  ; ce corps, œuvre de Dieu, conduit au plaisir. Dieu ne peut pas, d’un côté, créer un corps capable de jouissance et, d’un autre côté, le condamner.

Mais, dans ce domaine comme dans tous les autres, il y a des limites et céder à la convoitise c’est franchir les limites.

A l’heure actuelle, nous vivons dans une société de consommation. Pour pouvoir vendre, on enveloppe la marchandise de façon à attirer le client de façon mensongère. L’amour de l’argent pousse l’être humain à utiliser son intelligence pour accéder à un bonheur artificiel. On utilise des méthodes perverses pour exciter la convoitise et promettre des plaisirs illusoires. La société est menacée : le système actuel crée des écarts entre les citoyens. Les lois de la société ne suffisent pas à poser des limites en ce domaine ; elles créent des situations d’injustice : elles font des riches et des pauvres. En s’appuyant sur les lois de Dieu, celles de la Sharia ou celles de l’Evangile, les croyants peuvent s’efforcer de gérer des relations plus humaines.


Plutôt que l’amour, le désir de justice

On m’a cité, un jour, une phrase de St Augustin : « La mesure de l’amour c’est d’aimer sans mesure ». Pour ma part je ne vais pas jusque-là. Il y a des mesures dans tous les domaines. On a besoin de mesures et de lois. Le problème est de savoir où mettre des limites : il faut discuter entre nous pour arriver à un accord qui nous permette de vivre ensemble.

Est-ce qu’on peut mettre des mesures à la façon d’aimer autrui ? Je le pense. Par exemple on peut aimer ses enfants mais un père ne peut avoir des rapports avec sa fille ni une mère avec son fils ou encore entre frères et sœurs. C’est ce qu’on appelle l’inceste. L’inceste existe partout dans le monde. Si on ne met pas de limite à l’amour on voudra toujours aller plus loin.

J’aime ma femme et mes enfants. Si l’un d’eux courait un danger, s’il risquait de se noyer par exemple, bien sûr je ferais tout pour le sauver, quitte à en mourir ; cependant, selon moi, il faut alors parler d’instinct et non d’amour. Pourquoi ne court-on pas ces mêmes risques à l’égard d’autres personnes ? Certes un lieutenant-colonel de gendarmerie a pris la place d’un otage pour lui sauver la vie, mais c’est un acte exceptionnel. Rares sont ceux qui agiraient comme lui ! La loi n’oblige pas à poser des actes de bravoure comme celui-là et, s’il ne s’était pas comporté comme il l’a fait, nul n’aurait eu de reproches à lui faire. Certaines personnes sont au-dessus de la morale humaine. Mais on ne peut pas demander à tout le monde d’être héroïque.

Dans un cas comme celui-là je parle de courage et de bravoure plutôt que d’amour. L’amour naît d’une relation intérieure. Bravoure et courage peuvent être spontanés, par exemple devant une injustice. Face à la situation d’injustice dont une femme était victime, cet officier de gendarmerie a pris des risques pour la sauver mais on ne peut pas dire qu’il l’aimait puisqu’il ne la connaissait pas. L’amour est d’abord un sentiment.

Les chrétiens disent que l’amour consiste à désirer le bonheur de l’autre plutôt que le sien propre, mais je ne suis pas vraiment d’accord. Je parlerais plutôt de courage et de désir de justice. Quelqu’un de courageux et qui refuse l’injustice peut s’insurger devant des situations humaines inadmissibles. Il peut se sacrifier sans pour autant éprouver quelque sentiment que ce soit à l’égard de la personne qu’il sauve.

Quand on voit des Français, des Européens, des Américains qui vont en Palestine et qui risquent leur vie pour exprimer leur solidarité avec un peuple opprimé, quand on voit qu’ils abandonnent le confort dont ils jouissent chez eux pour dire leur révolte devant une injustice, je me dis qu’il n’y a pas seulement l’amour qui sauve le monde. Ils ne sont pas forcément motivés par l’amour pour le peuple palestinien mais plutôt par un désir de justice. On peut penser aussi à tous ceux qui abandonnent une situation enviable pour s’engager dans une ONG et aller en Afrique pour procurer de l’eau à des populations démunies ou nourrir des enfants. Ils sont motivés par un refus de l’injustice, sans pour autant avoir de sentiments particuliers vis-à-vis de ceux qu’ils rejoignent.


Le désir que Dieu a de nous

En ce qui concerne ma relation avec Dieu ce n’est pas la soumission ou l’obéissance d’abord qui m’habitent mais essentiellement l’amour. Quand on aime quelqu’un, on suit ses préceptes. S’il en était autrement on ne pourrait pas parler d’amour. L’amour que nous portons à Dieu est différent de celui qui nous lie à des personnes humaines : en nous créant, Dieu a ouvert un chemin. Je marche dans l’amour sur le chemin qu’il a ouvert. J’ai confiance en lui, je l’aime, je sais qu’Il m’a créé. Il est proche de moi. J’ai des sentiments à l’égard de mon Créateur. Je sais qu’il pardonne : il est miséricorde.

Si Dieu nous donne des préceptes c’est parce qu’Il nous désire et qu’Il désire être désiré. Il faut des interdits pour que, dans une famille, existent de bonnes relations entre le père et la mère, d’une part, et l’enfant d’autre part : « Il ne faut pas faire ceci mais cela… » Mais ces interdits sont posés parce qu’il y a de l’amour entre eux. Les parents ont des désirs à l’égard de leurs enfants : qu’ils soient dans le droit chemin, qu’ils réussissent dans les études. Je compare les relations entre Dieu et l’être humain à la relation entre les parents et leurs enfants.

Lors de l’entrée de Simone Veil au Panthéon, on a interviewé une dame qui, elle aussi, était une rescapée des camps de concentration. Elle disait qu’après ce qu’elle avait vécu, elle ne pouvait plus croire en Dieu. Si Dieu nous aimait, disait-elle, il n’aurait pas permis les horreurs qu’elle a connues. En réalité, Dieu nous a donné des valeurs à respecter. Les musulmans croient que la traversée de la vie est une traversée d’épreuves. On est, dans cette vie, pour « passer des examens ». Quand un maître les fait passer à ses élèves, il souhaite que ceux-ci réussissent. Mais il ne peut pas intervenir, pendant l’examen, pour leur donner des réponses. Ensuite seulement, il récompense ceux qui ont su faire face avec succès aux différentes épreuves. Ce n’est qu’un exemple, bien sûr. Mais Dieu nous a donné une intelligence. Il nous a donné les moyens de réfléchir et de penser. Il nous a donné de quoi faire face à la vie. Il nous a donné des sortes de notices : « Voilà ce qu’il faut faire, voilà ce qu’il faut éviter. » Dieu désire qu’on réussisse les examens, que les criminels échouent dans leurs projets. Il désire aussi qu’on fasse régner la justice dans le monde : c’est le rôle qu’il nous assigne.

On peut se demander pourquoi tant de gens font le malheur des autres plutôt que le bonheur. Mais il faut reconnaître que, selon le Coran et la Bible, cette folie est inhérente à l’humanité. Adam avait deux fils. Le premier acte de l’un a été de tuer son frère. Il convoitait sa place et, par le fait même, il méprisait le désir que Dieu avait de lui. Quand Dieu a créé l’homme, il a dit « Je vais créer un lieutenant sur terre ». Les anges ont protesté : « Comment vas-tu créer un être qui va répandre le sang et créer le désordre dans l’univers ! » Dieu a répliqué aux anges : « Je sais ce que vous ne savez pas. » Il a dit encore aux anges que l’homme aurait la capacité d’apprendre et il a appris à Adam les mots pour désigner les choses. Adam a alors étonné les anges par sa capacité d’apprendre. Dieu n’a pas seulement pris le risque de voir l’homme commettre le mal ; il lui a donné la capacité de faire le bien. Il nous a demandé de combattre le mal. Il récompensera ceux qui veulent lutter contre l’injustice. Nous avons tous à mener un combat ; la vie ne peut pas comporter uniquement du bonheur. Dans ce bas-monde on trouve des justes et des injustes. Ce constat doit nous pousser à travailler.

On parle de l’enfer. On pourrait se demander comment il se fait que ce Dieu miséricordieux condamne définitivement au feu éternel ces êtres humains qu’il a désirés par amour ? Comment a-t-il pu désirer créer l’enfer ? J’en reviens aux parents qui punissent leurs enfants parce qu’ils les aiment. Je prétends que dans l’Au-delà, un jour tous les hommes et toutes les femmes seront au paradis, après un passage de punition.

Dieu nous parle de l’enfer pour nous mettre en garde et pour que nous restions dans le droit chemin. L’être humain est un être difficile à comprendre. Chacun méritera sans doute des reproches et des corrections. Mais grâce à l’amour de Dieu qui désire le bonheur de tous, viendra le jour où tous nous entrerons dans le paradis. C’est du moins ce que je crois. Personne n’a les clefs du paradis et de l’enfer ; on essaie d’être fidèle mais tout le monde commet des péchés. Seuls les anges ne commettent pas de fautes. Les anges adorent Dieu. L’être humain a été créé autrement, susceptible d’être infidèle. Si les pécheurs avaient des odeurs, la puanteur serait telle qu’on ne pourrait se tenir les uns près des autres. En réalité, avec notre petite intelligence, on essaie de faire des schémas sur l’au-delà : on imagine ce qui va se passer mais c’est de l’imaginaire !

Mohammed Benali


Retour au dossier "Convoitise ou désir" / Retour page d'accueil