Convoitise ou désir ? La question pourrait sembler trop philosophique. En réalité, elle rejoint les tisserandes de La Caravelle dont Fatima se fait l’écho.
À l’écoute du Coran
Les musulmanes sont comme les autres femmes : elles ne refusent pas le plaisir.
Bien sûr, il y a des interdits en islam. Par une chaude journée de Ramadan on ne doit pas boire le moindre verre d’eau. Le reste du temps on ne peut goûter à l’alcool mais ce n’est pas un problème. Si je désobéissais, je n’éprouverais aucun plaisir à faire le contraire de ce que Dieu demande.
La société ne comprend pas que nous refusions de vivre comme la plupart des autres personnes. D’une part, il faut bien comprendre que ce qui est écrit dans le Coran ne peut pas être discuté. D’autre part, il faut comprendre aussi que c’est pour notre bien que Dieu nous avertit sur ce qu’il ne faut pas faire. Par exemple, il est dangereux de boire de l’alcool parce que cela fait perdre la tête et peut provoquer des accidents. Dès qu’on commence, on est sur une mauvaise pente et on risque de sombrer dans l’alcoolisme.
Ou, encore, si une femme commence à tromper son mari, on ne sait pas où cela peut mener. L’homme avec qui elle passe seulement une nuit va lui faire un cadeau ou, peut-être, lui donner de l’argent. Cela risquera de l’inciter à trouver d’autres aventures pour s’enrichir et elle en viendra à vivre comme une prostituée.
Plus généralement, les musulmans et les musulmanes qui ne respectent pas ce que demande le Coran vont sombrer dans l’athéisme.
À propos des plaisirs
Mais ce qui est haram, pour nous musulmanes, ne nous empêche pas de connaître le plaisir. Le Coran ne nous interdit pas de savourer de la joie. Même pendant le Ramadan, dès la rupture du jeûne, bien des plaisirs sont permis. On aurait tort de croire que nous devons vivre dans l’austérité. La vie nous procure bien des raisons de nous réjouir : sexualité, émotions, réussite matérielle… J’ai du plaisir à voir ma fille grandir ou mon fils écouter mes conseils ; je suis heureuse dans mon travail.
Parlons, par exemple, du plaisir charnel. Le Coran ne l’interdit pas. Cela suppose, bien sûr, un accord entre les partenaires. On nous critique à propos du voile. Si Dieu a interdit à la femme d’exhiber son corps, c’est parce qu’il veut que la femme soit respectée. Se voiler c’est se protéger en se gardant d’être violée. Se voiler, c’est refuser d’être sous la dépendance des regards masculins et affirmer que notre corps nous appartient.
Mais, dans la société d’aujourd’hui, les tentations sont nombreuses. Je connais beaucoup de musulmanes qui ont quitté le voile parce qu’elles ont voulu être comme tout le monde. Elles dépensent du temps et de l’argent pour bien s’habiller et porter des minijupes et elles n’hésitent pas à aller dans les boîtes de nuit pour danser.
Les influences de la société d’aujourd’hui touchent beaucoup les jeunes. Ils vivent entre deux univers. Nombreux sont ceux qui vivent en couples sans être mariés et qui se séparent au bout de quelques mois : la pression est trop forte. Dès que les jeunes volent de leurs propres ailes on ne peut pas les retenir.
Quand les enfants
grandissent
Cela commence dès le collège. On a beau inculquer des principes à la maison, cela ne sert à rien quand les enfants grandissent. Les adolescents regardent des films pornographiques sur leurs portables. Les filles s’envoient des photos, des images et des textos. Ils sont à cheval entre deux mondes. Beaucoup de jeunes, pendant le Ramadan, vont prier à la mosquée mais, le soir, ils sortent en claquant la porte pour aller faire n’importe quoi sans que les parents puissent les retenir ou les suivre.
On ne peut pas parler du plaisir sans réfléchir à son contraire : la souffrance. Même si le plaisir est bon et permis par le Coran, il n’empêche que les musulmanes comme les autres font l’expérience de la souffrance. Quand on voit des pays en guerre, on se pose des questions. Mon fils m’a dit un jour : « Pourquoi Dieu a-t-il créé l’homme en sachant qu’il ferait le mal ? » Il est impossible de répondre. Quand on connaît soi-même la souffrance, on doit dire : « Dieu m’envoie cette épreuve pour tester ma foi ; je dois la supporter. »
Dieu veut
notre bonheur
On sait que Dieu veut le bonheur de l’homme. Si on souffre on peut se dire que cela passera et qu’on verra des jours meilleurs. Mais il arrive des handicaps qui ne laissent aucun espoir de guérison. On s’incline alors devant le mystère. Pour supporter sa propre souffrance on doit se dire « il y a pire que moi » et continuer à croire que Dieu veut la vie. C’est pourquoi dans nos prières – nos dawas comme on dit – il faut demander la guérison. Voici quelques jours, entre les femmes de l’atelier de tissage, on faisait une fête. N., une femme de notre groupe, a voulu nous rejoindre bien qu’elle soit épuisée. Elle souffre d’un cancer du pancréas qui arrive à sa dernière phase. Elle s’est forcée à danser malgré sa grande fatigue. Je me disais : « Elle sait qu’elle n’en a pas pour longtemps et pourtant elle est là parmi nous, souriante. » Elle n’en a plus pour longtemps et pourtant elle tient à la vie. Elle croit au miracle parce qu’elle croit fermement que Dieu veut notre plaisir et notre bonheur.
Fatima Tayab