" L'école et les enfants de l'immigration "
Luc-André Leproux
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Il s’agit d’un livre écrit par un directeur de recherche du CNRS : Abdelmalek SAYAD. Il contient les articles qu’il a rédigés de 1977 à 1997, portant un regard critique sur les initiatives de l’Education Nationale pour faire face à l’éducation des « Enfants de l’immigration ». Luc-André Leproux en a fait pour nous la lecture.


Diversité des titres.

La France se colore, que cela plaise on non. Le prénom de Mohammed est de plus en plus fréquent dans l’annuaire téléphonique, mais ce n’est pas d’aujourd’hui que le calendrier des saints n’est pas sans concurrence. En tout cas un beau sujet de réflexion et d’édition.

Sous le titre concis « L’ECOLE ET LES ENFANTS DE L’IMMIGRATION », les éditions du Seuil viennent de publier les « essais critiques », comme indiqué en couverture, d’Abdelmalek SAYAD. Il s’agit en fait d’une somme de contributions s’échelonnant sur une vingtaine d’années (1977-1997) et constituant le corpus d’une pensée, très fouillée et renouvelée dont les archives sont déposées à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à la Porte Dorée. La succession des dates n’exclut pas les redites, non pas redondances mais nécessité de recadrages. En outre, depuis la disparition de l’auteur, une nouvelle vingtaine d’années s’est écoulée qui imposent une réflexion. Au préalable il convient d’énumérer les titres des chapitres de ce livre : un parcours scolaire ; la scolarisation des enfants d’immigrés dans l’école française ; pourquoi les cours en langues nationales pour les jeunes immigrés ; commentaires sur la politique au Ministère de l’Education Nationale en faveur de l’intégration scolaire des enfants d’immigrés ; ce que parler de l’école et de l’immigration veut dire ; contribution au rapport de M. Jacques Berque sur la scolarisation des enfants de l’immigration ; l’école à l’épreuve de l’immigration ; les enfants de la seconde génération à l’Université ; des finalités et des illusions de l’école ; illettrisme et pensée de l’école. Le tout encadré par une note des éditeurs et par une préface et une postface des maîtres d’œuvre de ce travail, Benoît Falaize et Smaïn Laacher.

La pensée qui est d’une remarquable cohérence repose sur deux piliers, l’ÉCOLE ET L’IMMIGRATION et l’articulation est L’ENFANT. Celui-ci étant issu d’une famille puis inscrit dans un établissement scolaire subit la confrontation entre ces deux pôles sociologiques. Et donc les problèmes intrinsèques de l’un et de l’autre.

Ainsi, pour L’ÉCOLE le modèle hérité de la Troisième République, laïque, gratuite et obligatoire. Ce qui implique une neutralité strictement égalitaire, donc un rejet de toute discrimination, sous entendu négative. Mais alors mettant en cause, même si le mot n’est pas prononcé, une discrimination positive, c’est-à-dire la spécificité d’une catégorie d’écoliers, en l’occurrence les écoliers issus de l’immigration. Doit-on, en effet, mettre en valeur le rattachement de ces écoliers à leur culture d’origine, à leur langue d’origine ? Des expériences concrètes sont décrites : ELCO, Enseignement des Langues et Cultures d’Origine. Et plus largement, CEFISEM, Centre de Formation et d’Information pour la Scolarisation des Enfants de Migrants.


1974 : un tournant décisif

Du côté de L’IMMIGRATION, il y a également des contrastes qui ont une origine historique. La distinction essentielle est celle entre immigration de travail (le travailleur retourne chez lui, dans son pays d’origine) et immigration définitive (c’est alors toute une famille qui s’installe dans notre pays). Le tournant décisif a été en 1974 quand il y eut un arrêt de l’immigration de travailleurs étrangers suivi de l’ouverture au regroupement familial. Cette mesure, d’ordre économique pour le premier terme et d’ordre sociale pour le second terme, entrainera les décalages des enfants de l’immigration, première génération, deuxième génération, troisième génération. Curieusement deux chapitres sont consacrés l’un à l’entrée à l’Université, l’autre à l’illettrisme.

Le cas de l'Algérie

Le cas de L’ALGÉRIE est particulièrement complexe. Et l’auteur y attache d’autant plus d’importance qu’il est lui-même d’origine algérienne, issu de l’Ecole Normale d’Instituteurs de la Bouzarea d’Alger. Les problèmes spécifiques s’additionnent aux problèmes déjà évoqués. Ainsi, l’héritage colonial de la situation postcoloniale, notamment la marginalisation quasi-totale des ruraux (le bled) par contraste avec les villes où, autre handicap, les élèves de souche européenne ont l’avantage sur les élèves de souche autochtone. Autres contrastes : pour les subsahariens la rupture ne peut qu’être complète avec les multiples dialectes ; à l’opposé pour les immigrés espagnols ou même portugais, la langue d’origine a un rayonnement international. Pour l’Algérie, il y a d’abord le clivage entre l’arabe et le kabyle (tamazight) et pour l’arabe lui-même son usage dans un vaste ensemble de 300 millions de locuteurs à quoi s’ajoute le rôle de langue religieuse (théologique) pour l’islam.

Au-delà de la recension

Au-delà de la recension d’un livre et en raison de la disparition de son auteur, toute réflexion doit être précédée d’un examen des novations ayant suivi, et elles sont de taille. On pense bien sûr au Printemps arabe où se joue un nouvel acte du scénario engagé depuis la décolonisation, en particulier le choc de la modernité qui ébranle l’islam, d’où une pathologique ayant annexé l’adjectif islamiste. Vaste sujet qui s’élargit aux dimensions universelles des relations avec le Tiers-monde lui-même en pleine évolution avec les pays émergents. Ce n’est pas le lieu de dresser une fresque mais elle pèse sur les enfants de l’immigration à l’école. Ainsi, comme on dit, de l’importation du conflit israélo-palestinien. De proche en proche, on touche aux antagonismes régionaux, internationaux. Et tout cela se rattache, bien sûr, au concept de l’identité, l’identité française pour la principale. Certes on n’en est plus à « nos ancêtres les Gaulois » enseignés aux petits Africains. Mais on voudrait conclure, en harmonie avec la formule terminant le livre : « un éternel dehors dans le dedans », par une formule plus personnelle : « ils sont chez eux, chez nous. » Leurs grands-pères ont donné leur sang et leurs pères ont donné leur sueur pour la France, ce qui justifie d’être optimiste pour les enfants de l’immigration actuellement à l’école.

Luc-André Leproux


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