La réforme dans une commune du Morvan
Michel Rey
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Dans ce village de province, la réforme peut se mettre en place sereinement grâce à l’énergie de son maire, Michel Rey. Mais des questions sérieuses sont posées.


La situation de Montcenis

Montcenis est une commune de Saône-et-Loire, géographiquement très proche du Creusot. Ce n’est pas une « cité dortoir » mais un bourg qui a gardé son caractère. 2 200 personnes y résident, dont un certain nombre de jeunes mais également des personnes âgées. Il reste quelques vieilles familles monticinoises mais nous sommes très touchés par le mouvement général des populations : la rotation due à la recherche de travail. Nous ne sommes plus à l’époque de la civilisation pastorale où chaque famille, de génération en génération, cultivait la même terre. Beaucoup de jeunes partent à Auxerre, Dijon ou Paris, quand ce n’est pas à l’étranger. Malgré cet exode rural, la population ne diminue pas. Suffisamment de personnes travaillent sur le secteur y compris sur la commune qui comporte deux menuiseries, et plusieurs entreprises d’artisanat. Nous nous maintenons aussi au prix de quelques réalisations en matière d’habitat : la construction de petits HLM.

Cependant la population est beaucoup plus déstructurée qu’il y a vingt ans : le divorce est devenu monnaie courante. Ce phénomène contribue à la sous-population de nos HLM. Des logements (F3, F4) ne sont destinés qu’à une personne en permanence : le couple s’est séparé, les enfants viennent chez l’un ou chez l’autre mais il faut garder de la place pour les accueillir. Nous avons une densité par logement très faible. Par ailleurs, quand deux petits salaires sont disjoints, les revenus ne permettent plus de faire face aux dépenses : l’aide sociale de la commune est beaucoup plus sollicitée que par le passé.

Les écoles et collèges à Montcenis

Montcenis possède une école maternelle que fréquentent environ 50 enfants, une école primaire dont l’effectif est de 80 enfants et deux collèges, l’un public et l’autre privé, qui accueillent chacun environ 300 jeunes. Les lycéens vont au Creusot.

La commune de Montcenis est constituée de deux ensembles : le bourg et une autre partie agglomérée au Creusot qui est plus proche des écoles de la ville que de celles de Montcenis. Nous donnons des dérogations pour que ces enfants fréquentent les écoles proches de leur domicile. De ce fait, nous perdons une quarantaine de sujets. En revanche, une dizaine d’enfants des communes rurales voisines (St Symphorien, Marmagne, Charmoy, Les Bizots) fréquentent nos écoles.

Le collège public (Les Epontots) se situe loin du bourg, le collège privé est au centre du village. Les habitants de Montcenis choisissent le collège du centre qui est plus pratique d’accès, sauf quelques personnes qui, par principe, ne veulent pas envoyer leurs enfants au collège privé. On accueille au collège public des Epontot non seulement les adolescents de Montcenis mais de communes voisines. Le collège privé au centre du village est de création récente ; il a amené sur la commune beaucoup de jeunes du Creusot, du Breuil et d’autres villages avoisinants. Contrairement à ce que beaucoup sont tentés de penser, ce collège n’est pas destiné à former une élite intellectuelle : il accueille le tout-venant en particulier un certain nombre de « cas à problèmes  » dont l’enseignement public ne veut plus.


Une réforme dont on parle depuis 20 ans

Nous avons mis sur pied la réforme des rythmes scolaires et elle sera effective dès la rentrée 2014. Cependant, il y a 20 ans on parlait déjà de l’aménagement d’un mi-temps par l’Education Nationale et d’un mi-temps d’activités diverses à la charge des communes. J’avais eu le souci de prévoir bien avant cette rentrée 2014.

En ce qui concerne les locaux nécessaires, nous avions depuis très longtemps deux bâtiments scolaires pour le primaire à Montcenis. Nous avons vendu l’un des deux et nous avons rapatrié tout l’effectif scolaire dans le même ensemble. Je prévoyais qu’un jour nous serions amenés à nous impliquer dans l’éducation des enfants  ; nous avons récupéré, sur un énorme entresol, une capacité en locaux : ils vont nous servir aujourd’hui pour aménager nos temps scolaires.

J’ai toujours été très sensible à la valorisation du travail manuel. Par exemple, j’embauche tous les ans des jeunes pendant les vacances pour exécuter des travaux matériels lourds pour la commune. Cette année je fais construire par quatre jeunes (16 et 17 ans) un mur d’enceinte en aggloméré. Je les initie au travail manuel et je leur apprends à respecter ceux qui font un « sale boulot ». Je les paie au SMIG. Dans ce même esprit, il y a une vingtaine d’années, j’avais aménagé une salle dite « de technologie ». J’avais essayé de faire mordre les enseignants dans la démarche de « valorisation du travail manuel ». Je n’y étais pas parvenu à l’époque. Quand on parlait, dans les écoles, de « projet pédagogique » cela ne pouvait être que du dessin, de la danse ou du théâtre ! Maintenant, avec cette réforme, je vais essayer de promouvoir des activités manuelles.

En quoi consiste cette réforme ?

Cette réforme concerne le primaire et la maternelle. Elle est à la charge des municipalités. Il s’agit d’assurer un meilleur équilibre du temps scolaire et péri scolaire sur la semaine et sur la journée. En ce qui concerne les activités proposées hors du temps proprement scolaire, il est dit que « les élèves pourront accéder sur le temps périscolaire à des activités sportives, culturelles, artistiques qui développeront leur curiosité intellectuelle, leur permettront de se découvrir des compétences et des centres d’intérêt nouveaux et renforceront le plaisir d’apprendre et d’être à l’école. » (Cf. le site de l’Education Nationale).

Je dois dire que je n’ai jamais vu une réforme qui me semble bonne dans le principe et qui ait été aussi mal préparée par l’Education Nationale. Par exemple, les enseignants y sont hostiles principalement parce qu’ils jugent ne pas avoir été suffisamment consultés. Ils refusent de participer. Autrement, la municipalité les aurait associés et rétribués pour l’apport de leur savoir. Autre conséquence : il nous est interdit d’accéder aux locaux scolaires pour les activités périscolaires, sous peine d’une révolution chez les professeurs des écoles. Ce sont leurs syndicats qui demandent de ne pas ouvrir les bâtiments scolaires. Si j’oblige les enseignants à le faire, nous risquons des grèves ou des plaintes sans fin pour dégradation de locaux. Heureusement, dans notre commune, nous avions prévus des locaux adaptés. Mais ce n’est évidemment pas le cas partout.

Concrètement, alors que les enfants venaient à l’école 4 jours par semaine (lundi, mardi, jeudi, vendredi), ils viendront désormais 4 jours et demi : le mercredi matin est ajouté. Mais la durée d’enseignement proprement dite sera raccourcie : Ils seront en classe de 9 h. à 12 h. (les 5 jours) et de 14 h. à 16 h. (sauf le mercredi après-midi). Les élèves termineront chaque jour plus tôt que par le passé et c’est en cette fin de journée que nous aurons à les prendre en charge. Trois heures par semaine seront désormais consacrées aux activités périscolaires. Dans un premier temps, il nous a été demandé que ce temps soit réparti sur 4 jours ; ce qui portait la durée des activités à ¾ d’heure par jour… un délai très court pour que les enfants s’installent et aient le temps de réaliser quelque chose. Le 7 mai dernier, nous avons été autorisés à répartir ce temps sur trois jours plutôt que quatre. Il nous a fallu changer notre organisation pour ne faire que trois soirs (trois fois une heure). Mais cela nous permet de mieux nous installer dans le temps.

Quant aux activités à proposer, pour ma part, je continue à promouvoir « le travail manuel ». J’ai trouvé un animateur qui travaille du bois et du carton. J’ai trouvé des volontaires pour initier les enfants à l’apiculture et à la vie des abeilles, avec comme souci la nature, les fleurs sauvages. Nous avons également recruté une couturière, une brodeuse, un animateur de sport chinois, un autre de relaxation active et un professeur de chant. Nous proposons huit activités entre lesquelles les enfants choisiront.

Je précise que ces activités concernent les élèves depuis la maternelle jusqu’à la pré-adolescence. Pour les 50 enfants de maternelle, nous avons agrandi l’école pour offrir un espace au périscolaire. Mais pour le primaire, 80 enfants de 6 à 11 ans devront se côtoyer dans un même lieu. Il nous faut cependant faire des groupes différents selon les âges et permettre un choix aux participants. Nous avons dû organiser des niveaux et des choix en trois périodes annuelles. Mais cette histoire de niveaux est superbement ignorée par le législateur. La mise sur pieds de cette opération est d’une complication extrême.


Du côté des parents

Malgré la grande difficulté à mettre en place cette réforme, j’ai tenté d’associer au maximum les parents. Je n’ai reçu qu’un seul courrier d’une mère de famille qui me reprochait de ne pas l’avoir fait suffisamment. La population dans sa grande majorité ne perçoit pas la difficulté. Les jeunes parents –qui résident dans les bâtiments HLM – demandent avant tout qu’on garde les enfants. La finalité de la réforme les laisse un peu indifférents. Je peux le comprendre : quand on est parent célibataire ou en couple dont les deux membres travaillent, la présence de l’enfant qui sort à 16h. pose un réel problème. Les parents sont satisfaits puisque, après l’école et les activités périscolaires, nous organisons une garderie.

La commune prend en charge la totalité des frais occasionnés par cette réforme (gestion des bâtiments, salaires des animateurs) ; ceci a sûrement beaucoup contribué à ce que les parents ne protestent pas. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les communes : certaines sont contraintes de demander une participation financière aux familles. A Montcenis, nous avons géré de telle sorte que nous avons un excédent de fonctionnement et une capacité d’autofinancement. Nous l’affections jusque là à l’investissement. Maintenant nous allons puiser dans cette réserve pour les besoins scolaires. Nous serons contraints d’entreprendre moins de travaux d’aménagement ou de rénovation de bâtiments anciens.

En conclusion

Je ne critique pas l’idée de sortir les enfants du cadre scolaire habituel en leur procurant d’autres connaissances qu’intellectuelles et d’autres modes d’expression. En particulier, je suis favorable à la valorisation du travail manuel. Mais il me semble difficile de valoriser des activités pour lesquelles les enseignants eux-mêmes nous refusent l’utilisation de leurs locaux. Il est à craindre que seulement ce qui se passe à l’école soit reconnu comme sérieux par les élèves, les parents et les enseignants ; le reste étant assimilé à un moment de détente ou de loisir qui, pour être obligatoire, n’en est pas pour autant important.

A Montcenis nous avons bénéficié de conditions favorables à cet aménagement des temps scolaires : des locaux disponibles et le budget nécessaire. La population, dans sa grande majorité, me fait confiance puisqu’aux dernières élections municipales, ma liste l’a emporté à 70%. Elle a donc un a priori de bienveillance vis-à-vis de ce que la municipalité propose. Malgré cela, la mise en place de la réforme nous a demandé de déployer une énergie hors du commun tant les directives étaient imprécises. Je comprends que de nombreuses communes aient tendance à baisser les bras d’autant plus que les syndicats d’enseignants poussent leurs membres à ne pas s’impliquer dans cette entreprise.

Cette réforme est mise en place pour la rentrée 2014, nous avons fait le maximum pour que les enfants puissent s’épanouir dans ce nouveau cadre. Cependant de nombreux points demeurent encore obscurs. Comment permettre un programme permettant la progression des élèves d’une part, faire cohabiter des jeunes de 6 à 11 ans d’autre part ? Comment proposer aux participants de choisir les activités qui les intéressent et équilibrer le nombre d’enfants dans chaque groupe ? Et surtout ces activités périscolaires seront-elles perçues comme différentes mais aussi importantes que le travail intellectuel à l’école ? Permettront-elles que soient revalorisés, dans l’esprit des enfants, des métiers comme celui de menuisier ou de plombier ? Autant de questions pour lesquelles nous n’avons pas aujourd’hui de réponses mais dont dépendent la réussite ou l’échec de cette réforme…

Propos recueillis de Michel Rey
Maire de Montcenis (Saône et Loire)


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