Saad Abssi revient sur le travail interreligieux de Mes-tissages
(la Maison Islamo Chrétienne)
dont la journée du 10 avril lui semble le beau fruit.
Un travail
de défrichage
Mohammed Benali est Président de la mosquée Ennour dont je suis membre du bureau. Je suis Président
de l'Association Mes-tissages et Mohammed fait partie de son bureau avec Michel Jondot et Christine
Fontaine. Pour ma part je crois que c'est cette situation de fraternité totale entre deux musulmans
et deux chrétiens, au jour le jour et depuis de très nombreuses années, qui a été le principal facteur de réussite de cette journée.
Le 10 avril, 800 personnes étaient réunies dans une mosquée, autant de musulmans que de chrétiens.
Mohammed a évoqué la préparation immédiate de cette rencontre du côté des musulmans de Gennevilliers.
Je voudrais décrire tout le terrain qu'il a fallu défricher d'abord, entretenir ensuite,
sur lequel on a réussi à bâtir.
Le travail de défrichage a commencé avec Michel Jondot et moi d'une part, avec Michel
et Mohammed d'autre part. En effet, bien que Mohammed et moi habitions tous les deux
Gennevilliers, nous ne nous connaissions pas au départ. Il était responsable de la
mosquée du port à Gennevilliers et je fréquentais la mosquée d'Asnières où je comptais
de nombreux amis. Nous étions tous les deux désireux de vivre un islam ouvert sur
les autres, en particulier les chrétiens. Michel nous a permis de nous rencontrer.
«Faire société»
Le temps du défrichage a permis de fonder des associations. Nous avons d'abord pris
le temps de vérifier si nous avions vraiment la possibilité de nous associer, c'est-à-dire
de « faire société ». Il fallait pour cela réunir trois conditions : qu'il n'y ait entre nous
aucune volonté de convertir l'autre à sa propre religion, que nous soyons capables de nous parler
en vérité - y compris lorsqu'il s'agit d'aborder «les questions qui fâchent».
Il fallait enfin que nous puissions poser des actions communes au Nom de Dieu
et dans la société qui est la nôtre, la France en l'occurrence, plus précisément
le département des Hauts-de-Seine. Nous nous sommes ainsi «rodés» pendant deux
ou trois ans avant de décider de lancer l'association «Approches92» (en 1990) qui
par la suite est devenue Mes-Tissages et la Maison Islamo Chrétienne.
Depuis la création d'Approches 92, nous n'avons cessé d'entretenir la terre...
Pardonnez-moi d'utiliser ces expressions, mais je suis d'origine paysanne: j'ai planté et entretenu
toute une palmeraie à El Oued! Nous nous sommes alors «implantés» dans une cité
qui était parmi les plus difficiles des Hauts-de-Seine (la Caravelle) pour y collaborer
à la construction d'une société plus juste. Nous y sommes toujours et aujourd'hui notre
travail commun est pleinement reconnu par les habitants qui n'hésitent pas à franchir
le seuil de notre local pour passer un moment ensemble, discuter, tisser, rencontrer des
chrétiens ou trouver quelqu'un qui puisse entendre leurs difficultés et les orienter
vers une solution quand on en a la possibilité. Je tiens, au passage, à dire toute notre
reconnaissance à Monsieur le sous- préfet Larfaoui qui, en son temps, avait bien compris
qu'un lieu neutre, autrement dit «laïque», nous était indispensable pour travailler
concrètement ensemble à la construction d'une société plus humaine et respectueuse des autres.
Nous avons aussi constitué des équipes islamo-chrétiennes, organisé des conférences et
des débats avec le souci de ne jamais esquiver les «questions impertinentes». Nous avons diffusé
des instruments de réflexion (un journal qui, au fil du temps, a pris des formes différentes)
pour élargir et approfondir notre champ d'action. Il nous est arrivé aussi d'organiser des temps
de prière - sous forme de petits groupes ou d'assemblées plus grandes - pour honorer
Celui qui nous unit, dans le respect de l'expression de la foi des uns et des autres.
Le départ
d'un mouvement
Je tenais à faire ce détour pour expliquer d'où est parti le mouvement qui a abouti à
la rencontre du 10 avril, à la mosquée Ennour. Je tiens aussi à rendre hommage à ceux
qui nous ont accompagnés dans cette entreprise et qui sont retournés à Dieu : je pense à Michel
de La Villéon, et à Michel Lepape qui s'étaient engagés à fond avec nous.
Je tiens enfin à dire que, dans cette aventure, Christine Fontaine nous a rejoints en 1998
et que, depuis, elle n'a pas ménagé sa peine. Notre conviction qu'on ne peut pas aller
loin ensemble si on ne se parle pas en vérité, a été l'occasion, il est vrai, de moments
d'incompréhension entre nous, voire de conflits, même si nous n'en sommes jamais venus aux mains!
Grâce à Dieu, nous avons toujours pu dépasser l'incompréhension et nous pouvons témoigner
aujourd'hui d'une fraternité qui dépasse parfois celle que nous avons avec nos coreligionnaires. «Grâce à Dieu»
n'est pas un mot en l'air ! Aujourd'hui nous ne prendrions pas une seule décision si tous les quatre
n'étions pas vraiment d'accord car notre accord nous paraît être à la source de tout.
Le temps de la construction qu'on pourrait aussi appeler celui de «la diffusion» a débuté depuis
que nous, musulmans, nous sommes engagés dans la construction d'une grande mosquée à Gennevilliers.
Je parle bien de notre travail commun, à au moins nous quatre, membres du bureau de Mes-tissages.
Car non seulement Mohammed et moi avec les musulmans de Gennevilliers avons voulu cette mosquée,
mais Michel, Christine et par eux un grand nombre de chrétiens, ont suivi pas à pas notre projet,
nos difficultés et nos joies. On pourrait dire que c'est ensemble - musulmans et chrétiens - que
nous avons construit cette mosquée ! Je tiens à saluer aussi le travail avec la municipalité
qui nous a fourni le terrain et sans cesse soutenus.
Le travail
d'aujourd'hui
Aujourd'hui, l'association «Mes-tissages» (la Maison Islamo Chrétienne), édite une revue
trimestrielle tirée à 1000 exemplaires (dont 850 abonnés). Elle dispose d'un site
internet qui reçoit 200 visites par jour. Elle emploie, à la Caravelle,
5 personnes dont 4 ne trouveraient aucun emploi; cette équipe nous permet
de recevoir en moyenne une bonne centaine d'adultes par mois et environ 80 enfants.
Des femmes de «Mes-tissages» exposaient leurs oeuvres le 10 avril et elles étaient
profondément heureuses que leur travail soit honoré et apprécié.
Pour préparer cette journée, Mes-tissages a eu la joie de collaborer avec deux autres associations
et de pouvoir ainsi profiter de leurs propres expériences. Des membres d'Alethe et de
la Fontaine aux Religions pendant plusieurs mois ont participé, avec nous, à de nombreux temps
de travail. Toutes les décisions ont été prises en commun. Nous avons été vraiment solidaires
les uns des autres, alors qu'au départ nous ne nous connaissions pas tous. Nous sommes heureux
de cette occasion que nous avons eue de collaborer ainsi.
En tant que président de Mes-Tissages, je tiens absolument à remercier Michel et Christine:
sans eux cette journée n'aurait pas pu avoir lieu. Ils ont contacté les radios, trouvé
des subventions, fait appel à leurs relations pour trouver les animateurs et intervenants.
Je suis témoin, par exemple, des heures que Christine a passées pour faire
la maquette des affiches et des tracts afin que chaque association en soit satisfaite!
Merci aussi à Noëlle Herrenschmidt et aux Editions de La Martinière qui nous ont autorisées
à utiliser la couverture de leur livre (Corps et Ames, Itinéraires spirituels en France)
pour faire la publicité de cette journée.
Lieu de prière
et de rencontre
La mosquée est ouverte à tous les sens du mot : elle l'a montré! Nous avons fait la preuve
que le lieu où les musulmans prient quotidiennement peut être aussi le lieu de la rencontre
des autres et celui de l'hospitalité. Je tiens à remercier les chrétiens qui nous ont montré
l'exemple. Ils nous soutiennent financièrement avec une persévérance qui devrait faire réfléchir
nos institutions républicaines dont l'aide se réduit d'année en année. Merci en particulier aux
Soeurs Bénédictines de Vanves qui nous ont ouvert leur chapelle pour une célébration islamo-chrétienne
lors de la mort des moines de Thibirine. Combien de fois ne nous ont-elles pas accueillis pour nos rencontres!
Merci à la paroisse de Malakoff qui nous a accueillis dans son lieu de culte voici un an, lorsqu'au
dernier moment nous n'avons pas pu ouvrir comme prévu la mosquée parce que les travaux avaient pris du retard.
Il faut se rendre compte que lorsque nous, en tant que musulmans, entrions dans les lieux de
culte des chrétiens et lorsque nous y prenions la parole, nous avancions vers cette journée
d'hospitalité du 10 avril. Je tiens à remercier tous ceux qui, jour après jour, travaillent à
ce que musulmans et chrétiens puissent se rencontrer en toute vérité!
Je ne puis terminer sans évoquer une rencontre que les chrétiens avaient organisée pour eux-mêmes autour de
Soeur Lucie Pruvost, à l'évêché de Nanterre. Michel m'y avait invité en me demandant de ne pas
me manifester. Cette religieuse, spécialiste en droit musulman, a fait la preuve que les chrétiens
sont capables de comprendre notre Prophète et de l'honorer. Cette ouverture méritait qu'à notre
tour nous nous ouvrions sur les chrétiens pour mieux les comprendre.
La mosquée est ouverte mais la diffusion ne fait que commencer! Nous avons besoin du soutien et du travail de
tous - musulmans et chrétiens - pour tenir le cap! Nous comptons sur vous vraiment!
Saad Abssi
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