Musulmans et chrétiens face aux injustices
par Mustapha Cherif
Les causes des problèmes que vivent les chrétiens en Orient sont politiques.
Pour la première fois dans l'histoire, s'est tenu du 10 au 23 octobre 2010, au Vatican, un Synode,
congrès mondial des prélats, sur la situation des chrétiens d'Orient. La présence chrétienne en Orient,
qui partage tant de valeurs avec les musulmans, est une nécessité autant chrétienne qu'islamique. A la veille de cette rencontre, nombre d'observateurs étaient inquiets, de peur que l'Islam, dernier Message révélé, et les musulmans, témoins de la foi en Dieu Un, ne soient mis au banc des accusés, alors que les causes des problèmes que vivent les chrétiens en Orient sont politiques: la politique des deux poids, deux mesures, la colonisation en Palestine, l'invasion de l'Irak, la faiblesse des pouvoirs et l'instabilité.
Les causes de la situation difficile que vivent les chrétiens en Orient sont politiques et non religieuses.
Le rapport du 18 octobre du Synode, après le débat général au sujet de la relation avec les musulmans, a apaisé les craintes.
Il traduit un souci de dialogue, d'objectivité et d'équilibre. Il stipule que la Déclaration Nostra aetate du Concile Vatican
II pose le fondement des rapports de l'Église catholique avec les musulmans. Il rappelle qu'au début de son pontificat,
le pape Benoît XVI déclara: «Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire
à un choix passager. C'est en effet une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir.»
Le dialogue est capital
Il précise: «Le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux entretient des rencontres de dialogue d'importance capitale.»
Comme je l'avais suggéré au pape, il recommande: «La création de commissions locales de dialogue interreligieux.» Il insiste
sur le fait qu'«il est nécessaire de donner la première place au dialogue de vie, qui offre l'exemple d'un témoignage silencieux éloquent...
Seuls les chrétiens qui offrent un témoignage de foi authentique, sont qualifiés pour un dialogue interreligieux crédible.
Nous avons besoin d'éduquer nos fidèles au dialogue. Les chrétiens orientaux peuvent aider ceux de l'Occident à entrer
plus profondément dans une rencontre constructive avec l'Islam».
Il insiste à juste titre sur le fait que «les raisons de tisser des rapports entre chrétiens et musulmans sont multiples.
Tous sont concitoyens, partagent la même langue et la même culture, ainsi que les joies et les souffrances. En outre, les chrétiens
ont la mission de vivre comme témoins du Christ dans leurs sociétés.
Dès sa naissance, l'Islam trouva des racines communes avec le Christianisme et le Judaïsme. La littérature arabo-chrétienne
doit être mise davantage en valeur, et être utilisée comme ressource dans le dialogue avec les musulmans».
Les chrétiens en Orient demandent à être respectés dans leur foi, sans être soupçonnés, a priori, de prosélytisme.
Le rapport montre les liens qui unissent chrétiens et musulmans: «Notre proximité avec les Musulmans est consolidée par quatorze
siècles de vie commune, comportant des difficultés et aussi beaucoup de points positifs. Pour un dialogue fructueux, chrétiens
et musulmans doivent mieux se connaître. Musulmans et chrétiens partagent l'essentiel des cinq piliers de l'Islam.
De nombreuses initiatives illustrent la possibilité de rencontre et de travail fondé sur les valeurs communes (paix, solidarité, non-violence).
Plusieurs exemples d'initiatives réussies ont été mentionnés, en matière de dialogue et de travail commun entre chrétiens et musulmans...
De là, l'importance primordiale du dialogue de vie, ou dialogue de voisinage, hiwar aljiwar.»
Le rapport souligne que durant ce synode: «Le dialogue avec les musulmans a été souvent évoqué, recommandé et encouragé...
Nous sommes tous habitants de la même terre, de la même maison de Dieu. Il a été même affirmé: pas de paix sans dialogue avec
les musulmans.» Un point intéressant: il est précisé que «les Églises Orientales sont les plus qualifiées à promouvoir le dialogue
interreligieux avec l'Islam. C'est un devoir qui leur incombe de par la nature de leur histoire, de leur présence et de leur mission.
Le contact avec les musulmans peut rendre les chrétiens plus attachés à leur foi, l'approfondir et la purifier. La sainteté de vie est réciproquement
appréciée de part et d'autre». L'approfondissement de la foi est mis en avant comme valeur commune.
Le synode souligne un point central que nous partageons: «Nous avons le devoir d'éduquer nos fidèles au dialogue interreligieux,
et à l'acceptation de la diversité religieuse, au respect et à l'estime réciproques...Avant de nous disputer sur ce qui nous sépare,
retrouvons-nous sur ce qui nous unit, surtout en ce qui concerne la dignité humaine, et la construction d'un monde meilleur. Il faut
éviter toute action provocatrice, offensive, humiliante, et toute attitude anti-islamique.»
Certes, il s'inquiète du fait que «l'annonce islamique (Al da'waa) est de plus en plus active en Occident.
Nous devons nous dire notre différente vision de la vérité. Nous avons à traiter sereinement et objectivement les sujets
qui concernent l'identité de l'homme, la justice, les valeurs de la vie sociale digne, et la réciprocité».
Mais il tente de discerner entre les différents courants au sein du monde musulman: «Nous devons prendre en considération aussi
que les musulmans ont différents courants d'enseignement et d'action.» Les synodaux ont reconnu que la majorité des musulmans
est tolérante et constatent que le musulman n'est pas une menace.
Est affirmé que «la liberté religieuse est à la base des rapports sains entre musulmans et chrétiens. Elle devrait être
un thème principal dans le dialogue interreligieux. On souhaiterait que le principe coranique «pas de contrainte dans la religion»
soit réellement mis en pratique.» Ce sujet est en effet fondamental pour tous. Des synodaux ont aussi parlé des «contraintes,
des limites à la liberté, des actes de violence et de l'exploitation des travailleurs émigrés dans quelques pays.»
Mais, à juste titre, ils ont mis l'accent sur ce qui unit et pacifie plutôt que ce qui sépare. Le rapport va jusqu'à affirmer avec
hardiesse que «musulmans et chrétiens partagent l'essentiel des cinq piliers de l'Islam».
Par le dialogue, les chrétiens s'enracineront mieux dans leurs sociétés, et ne céderont pas à la tentation du
repli sur soi. Nous avons les uns et les autres à sortir de la logique de défense des droits de nos seuls coreligionnaires,
pour nous engager pour le bien de tous, d'autant que parler «d'amour» ou de «paix» en oubliant la justice restera
toujours inachevé. Ce synode permet de relancer l'espérance entre musulmans et chrétiens, afin de vivre partout en Orient
comme en Occident, une expérience de la diversité vécue dans la proximité, la sérénité et le respect réciproque.
Des positions très courageuses
Lors de la clôture du synode, en présence du pape, une position politique officielle, juste et courageuse du Vatican
fut exprimée sous forme d'un «Appel à la communauté internationale». Le Synode des évêques pour le Moyen-Orient demande
à la communauté internationale de mettre fin à l'occupation israélienne de différents territoires arabes: «Les citoyens
des pays du Moyen-Orient interpellent la communauté internationale, en particulier l'ONU, pour qu'elle travaille
sincèrement à une solution de paix juste et définitive dans la région, et cela par l'application des résolutions
du Conseil de sécurité et la prise des mesures juridiques nécessaires pour mettre fin à l'occupation des différents territoires arabes par Israël.»
Les évêques, en majorité du Moyen-Orient, sont clairs, mettre fin aux colonies:
«Le peuple palestinien pourra avoir une patrie indépendante et souveraine et y vivre dans la dignité et la stabilité.»
De son côté, Israël «pourra jouir de la paix et de la sécurité au-dedans des frontières internationalement reconnues».
Au sujet de la Ville Sainte: «Jérusalem pourra obtenir le statut juste qui respectera son caractère particulier,
sa sainteté et son patrimoine religieux, pour chacune des trois religions, juive, chrétienne et musulmane», les prélats
disent: «espérant que la solution des deux Etats devienne une réalité et ne reste pas un simple rêve».
Le synode fait référence à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies qui avait condamné, en novembre 1967,
l'«acquisition de territoire par la guerre» et demandé le «retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés» à
l'issue de la guerre des Six-Jours. Cette résolution a été suivie de plusieurs autres dans le même esprit. Sur le fond,
l'archevêque de Newton (Etats-Unis), synodal, a précisé que le synode considère qu'«Israël ne peut pas s'appuyer sur le
terme de ´´Terre promise´´ figurant dans la Bible pour «justifier le retour des juifs en Israël et l'expatriation des Palestiniens.»
En outre, le président de la commission pour le message du Synode pour le Moyen-Orient, lors d'une conférence de presse, a confirmé:
«On ne peut pas se baser sur le thème de la Terre promise pour justifier le retour des juifs en Israël et l'expatriation des Palestiniens.»
Dans le message de clôture, les évêques et patriarches orientaux affirment qu«'il n'est pas permis de recourir à des positions bibliques
et théologiques pour en faire un instrument pour justifier les injustices...Pour nous, chrétiens, on ne peut plus parler de «Terre promise au
peuple juif», terme qui figure dans l'Ancien Testament, car cette ´´promesse´´ a été «abolie par la présence du Christ». Après la venue
du Jésus, nous parlons de «Terre promise» comme étant le royaume de Dieu, qui couvre la Terre entière, et est un «royaume de paix,
d'amour, d'égalité (et) de justice...»
Il n'y a plus de peuple préféré, de peuple choisi, tous les hommes et toutes les femmes de tous les pays sont devenus
le peuple choisi». A été mis en avant deux problèmes de fond au sujet de la solution préconisée par la communauté
internationale et le Vatican d'instituer un Etat juif et un Etat palestinien pour résoudre le conflit au Proche-Orient.
Dans le cadre d'un Etat «juif», le synode s'inquiète du risque d'exclusion «d'un million et demi de citoyens israéliens qui
ne sont pas juifs mais arabes musulmans et chrétiens». Pour les synodaux, il vaudrait mieux parler d'«un Etat à majorité juive».
Le président de la commission a défendu le droit au retour des déplacés palestiniens: «Quand on va créer deux Etats, il va falloir résoudre ce problème.»
C'est une position équitable, qui mérite d'être saluée, tout à l'honneur des chrétiens d'Orient et du Vatican. Les musulmans
ont besoin d'une Eglise juste, forte, crédible, comme alliée, capable de faire reculer les injustices de notre temps, la xénophobie,
les dérives de l'Occident consumériste et matérialiste.
Tout comme les chrétiens ont besoin de musulmans forts et ouverts sur le monde pour faire reculer le nihilisme,
la perte de valeurs et contribuer ensemble à l'émergence d'une nouvelle civilisation. Ce synode redonne de l'espoir au vivre-ensemble dans le respect mutuel.
Mustapha Cherif, Journal l'Expréssion 28 Octobre 2010 - Page : 15