«Votre liberté de croyant, c'est aussi ma liberté de ne pas croire.»
Telle est la conviction de cet élu local qui dit sa fierté de voir,
avec la construction de la mosquée, s'enrichir le patrimoine culturel de sa ville.
Il s'interroge néanmoins sur les retombées d'un islam
qui s'affirmerait de façon trop ostentatoire ou se replierait sur son identité.
Des regards différents
mais un même engagement
Les chrétiens et les musulmans qui ont préparé l'initiative de cette construction m'ont demandé de dire franchement comment je ressens
la situation, comment je pense qu'elle est ressentie maintenant que l'édifice est achevé. Je m'en tiendrai là, et prenez
ma franchise pour une marque de respect.
Je veux préciser que je ne suis pas là comme porte parole de la municipalité. Je m'exprime en mon nom. Il y a dans la majorité
municipale des élus qui croient en Dieu, musulmans ou chrétiens, des athées, peut-être des juifs, des bouddhistes ou des
protestants cachés. Le critère de la croyance n'est pas un critère qui nous différencie sur les choix politiques.
Je suis personnellement un matérialiste qui ne se pose même pas la question de l'existence ou non de Dieu. C'est
avec ces yeux-là que je participe aux rencontres avec les chrétiens et les musulmans, surtout parce que je respecte et apprécie
l'engagement social de Saad, Mohamed, Michel, Christine mais aussi d'autres personnes de ces deux communautés.
Un vrai monument
pour notre ville
Alors à mon avis qu'est-ce que change la présence de ce bâtiment ? C'est d'abord très positif. Je ressens une fierté dans
la communauté musulmane. Fierté d'avoir un lieu de culte décent, fierté d'avoir réussi à construire cette belle Mosquée.
Fierté qui va au-delà des musulmans. Cette Mosquée est belle, ses responsables sont accueillants, elle est faite et construite
avec des matériaux innovants en terme de développement durable : c'est un vrai monument pour notre ville. Les gens ont envie de
la visiter. C'est un plus architectural, patrimonial.
Un lieu digne et décent pour les musulmans gennevillois est la réparation d'une forme d'injustice.
C'est aussi un sentiment de force, une concrétisation du mot « communauté » au sens positif de gens qui partagent quelque chose en
commun, et non au sens de renfermement sur soi qu'implique le mot « communautarisme ». Les musulmans de Gennevilliers, sont
divers, pluriels, comme les catholiques, mais peuvent aujourd'hui vivre ensemble des moments rythmant leur vie: entrées et sorties de prière, grandes fêtes.
A contrario, il y a des effets plus contrastés.
Cette belle Mosquée fait une démonstration publique de présence religieuse, comme bâtiment, et au moment où la religion catholique
a des bâtiments mais moins de fidèles, elle rend visible la présence de croyants dans la ville.
Pour celles et ceux qui ont combattu la calotte, c'est le sentiment d'un retour en arrière. Après des siècles de combat qui ont
fait reculer la religion dans la sphère publique, cette présence, le retour du religieux, apparaît comme un camouflé.
Cela peut-être, pour les catholiques, vécu comme une concurrence, une autre hégémonie religieuse. J'habite à côté de la Mosquée
et elle rythme un peu ma vie par la fréquentation de la rue qui change en fonction des heures de prière.
Les ressentis sont, de mon point de vue, contrastés et contradictoires. Les mêmes qui ont envie de visiter la Mosquée, peuvent
aussi la ressentir comme menaçante parce qu'elle concurrence leur religion, ou affirme trop une présence religieuse dans l'espace public.
Je termine pour être sur le sujet du vivre ensemble.
Y a-t-il des choses qui me gênent avec les croyants ? En règle général non, car ce n'est pas mon critère
de choix ou de questionnement. Je respecte les croyants comme les non-croyants.
Par franchise, je le dis, je peux me sentir au mieux interloqué, au pire un peu agressé, quand par exemple cela fait plusieurs
année que je fais la bise à une jeune femme et que du jour au lendemain, sous un prétexte religieux, elle me serre la main.
Je me demande toujours ce que j'ai d'impur pour reprendre une notion religieuse. Qu'ai-je fait de mal ?
«La laïcité c'est la liberté pour tous.»
Sur le même plan, je suis contre une loi interdisant le port du voile, même si le port du voile ne fait vraiment pas partie
de mon projet de société. C'est pour moi à la fois une question de liberté individuelle et de débat politique ou de combat
politique sur l'émancipation des femmes. Ce débat m'apparaît d'autant plus nécessaire que le port du voile devient visiblement
important. Cela me fait penser au village natal de mon papa où celui qui n'allait pas à la messe était au ban de la société
du village. Une forme de pression sociale s'exerce ainsi que je ne peux accepter sans réagir.
Pour moi la laïcité, c'est la liberté pour tous. Je l'ai déjà dit ici : votre liberté de croyant, c'est aussi ma
liberté de ne pas croire. Et cette liberté ne peut s'exprimer pleinement que si nous vivons pleinement ensemble,
si nous avons des actions communes, des projets communs qui transcendent nos croyances pour faire société.
Patrice Leclerc
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