« L'Islam, tolérant ou intolérant »
Mustapha Chérif
Éditions Odile Jacob, Paris. 291 pages
« J'ai été profondément touché par votre lettre et votre livre, qui m'a appris beaucoup de choses.
Sachez que cette rencontre se veut un signe fort de mon attachement au dialogue interreligieux ».
Par ces quelques mots, le 11 novembre 2006, Benoît XVI accueillait, au Vatican, Mustapha Chérif,
un intellectuel algérien, professeur de philosophie à l'Université d'Alger.
Pour la première fois de l'histoire, un pape recevait dans l'intimité un musulman pour un dialogue islamo-chrétien
qui devrait demeurer un bel exemple d'écoute mutuelle.
Ce livre dont parle Benoît XVI, nous l'avons lu, nous aussi.
Son contenu rejoint celui de l'entretien du Vatican tel que M.Chérif le rapporte dans la presse.
Il s'agit de libérer l'islam des fausses images dont l'affublent quelques exaltés qu'on appelle terroristes.
Mustapha Chérif se fait la voix de la majorité musulmane silencieuse, celle qui réprouve la violence.
Il veut aussi apporter sa contribution à l'équilibre du monde.
Le coeur de l'ouvrage repose sur le rapport de la raison et de la foi.
La modernité, depuis le siècle des lumières, a séparé en Occident raison et foi.
Cette dernière est refoulée dans la vie privée. Par voie de conséquence, la raison, détachée de ce qui donne du sens à la vie,
se réduit à la raison économique. Le monde est emporté dans une logique infernale ;
les lois du marché qui commandent toute l'existence sont aux mains d'un Occident
qui prétend écarter de l'histoire toute dimension religieuse.
Depuis au moins la seconde guerre mondiale jusqu'aux drames actuels du Moyen et du Proche-Orient, les résultats sont catastrophiques.
La raison économique étend son emprise aux dimensions de la planète ;
cette mondialisation crée des écarts économiques de plus en plus infranchissables et de plus en plus injustes.
L'idéologie des droits de l'homme, importée de l'Occident s'avère un leurre.
« Ainsi, malgré les progrès scientifiques multiples et largement positifs accomplis par l'Occident,
en dépit du fait que nombre d'individus, de groupes et de populations veulent passer à l'Ouest
et sans jamais rejeter toute la responsabilité sur l'autre, notre devoir d'amitié
et notre souci d'objectivité nous obligent à dire que les orientations du système dominant
apparaissent aux peuples musulmans comme injustes, inhumaines, contre nature et non-conformes à leurs aspirations et à leurs valeurs ».
Par réaction, quelques courants minoritaires, dans les pays musulmans du Sud, durcissent le lien :
la foi se confond avec la raison et prétend imposer la religion comme norme sociale.
Il s'agit de quelques exaltés qui ne sont en rien représentatifs de l'islam.
C'est pourquoi l'auteur s'insurge contre les thèses occidentales qui prétendent rendre compte
des conflits mondiaux d'aujourd'hui en parlant de « choc des civilisations ».
Un long chapitre reprend les thèses devenues fameuses de Samuel Huntington.
Il les expose avec clarté pour les réfuter de manière impitoyable.
Il conclut :
« La propagande du choc des civilisations, fruit de la logique d'une guerre sans nom,
fondée sur la haine, est donc un alibi, un leurre inventé par des gens
qui cherchent à détourner l'attention des enjeux politiques et économiques et qui manipulent les contradictions de l'heure ».
La raison d'un côté, qui déclenche un mécanisme impitoyable, la religion de l'autre refoulée hors de l'histoire,
dans la vie privée, tel est le drame de la mondialisation.
Qu'il faille distinguer foi et raison est une évidence tout comme, de manière homologue,
il convient de distinguer religion et politique.
Mais les séparer est une fermeture et toute fermeture est dangereuse.
L'actualité le montre : l'oubli du spirituel conduit à la désorientation et à la déshumanisation.
« La situation nous oblige à revoir les liaisons entre les différentes dimensions de la vie ».
Ce livre manifeste à l'évidence l'appartenance de l'auteur à la foi et à la culture musulmane.
Ce témoignage s'exprime pourtant dans le langage de l'Occident.
Nulle part Mustapha Chérif ne fait appel à des concepts arabes intraduisibles dans la langue d'un français.
Mieux encore : il s'appuie sur les penseurs français de la modernité plutôt que sur les théologiens traditionnels de l'islam.
Ses références ont pour nom Gérard Granel, Jacques Berque, Jacques Derrida et la préface porte la signature du philosophe Jean-Luc Nancy.
Ce livre d'un homme du Sud témoigne d'une ouverture sur l'autre.
« Ouverture » : tel est le mot clé de l'ouvrage tout entier. Au milieu du Xème siècle,
un calife décréta ce qu'on appelle « la fermeture des portes de l'ijtihad » :
c'était interdire que le croyant s'interroge sur le sens du texte. Celui-ci était aux mains des spécialistes.
Mustapha refuse la fermeture pour remonter aux origines du Coran.
Il ne s'agit pas d'un retour au passé mais d'une redécouverte du jaillissement initial de la Parole de Dieu,
d'un retour à la source qu'on voit surgir lorsqu'on libère le Livre des carcans dans lesquels on l'a enfermé.
Ce mouvement permet de découvrir que le Coran est ouverture.
Qu'on ait le Coran, autrement dit la Parole de Dieu, sous les yeux et sur les lèvres,
fait apparaître que Dieu n'est pas enfermé en lui-même mais qu'il s'ouvre et se diffuse dans sa création qui est multiple.
Certes, la pluralité est appelée à se tourner vers son Créateur pour retrouver son unité mais,
dans l'entredeux, chaque élément doit composer avec l'autre qui, par définition, est différent.
L'homme est le premier à devoir vivre cette ouverture sur l'autre plutôt que de se refermer sur le semblable.
L'auteur dégage du Livre dix dimensions pour maintenir cette ouverture sur l'autre.
Retenons-en trois. Deux encouragent les croyants au dialogue, la dernière rejoint le problème des conversions.
D'une part, considérer l'Islam comme acte d'ouverture sur l'autre suppose qu'on sache entendre que le Coran présente la vie comme une épreuve :
l'autre est là. Vivre consiste à accepter sa différence et à lui faire place.
Cela ne va pas de soi mais la vie religieuse passe par là.
Le Coran invite aussi à être humble devant la vérité dont nul n'a le monopole.
La vie est un mystère ; Dieu y est à la fois présence et absence.
La connaissance mutuelle permet, en nous tournant vers l'autre, de faire usage de notre raison pour,
en l'écoutant et en lui parlant, mieux assumer la distance qui nous sépare de la vérité.
Enfin l'ouverture de l'Islam va avec la liberté.
Celle-ci est une source spirituelle.
Dire que Dieu est Dieu et qu'il n'est pas d'autre Dieu que Lui conduit à l'ouverture.
La Profession de foi permet de devenir ouvert soi-même et, par le fait même,
d'être disponible à autrui en respectant la liberté qui le conduit là où je ne suis pas.
Ces lignes, sans doute, sont à méditer par tous ceux qui réduisent l'autre en le rendant semblable à eux.
Convertir autrui consiste à le tourner vers soi alors que le message coranique, en sa source,
invite à se détourner de soi pour faire place à l'autre.
« J'ai été profondément touché par votre lettre et votre livre, qui m'a appris beaucoup de choses.
Sachez que cette rencontre se veut un signe fort de mon attachement au dialogue interreligieux ».
Par ces quelques mots, le 11 novembre 2006, Benoît XVI accueillait, au Vatican, Mustapha Chérif,
un intellectuel algérien, professeur de philosophie à l'Université d'Alger.
Pour la première fois de l'histoire, un pape recevait dans l'intimité un musulman pour un dialogue islamo-chrétien
qui devrait demeurer un bel exemple d'écoute mutuelle.
Ce livre dont parle Benoît XVI, nous l'avons lu, nous aussi.
Son contenu rejoint celui de l'entretien du Vatican tel que M.Chérif le rapporte dans la presse.
Il s'agit de libérer l'islam des fausses images dont l'affublent quelques exaltés qu'on appelle terroristes.
Mustapha Chérif se fait la voix de la majorité musulmane silencieuse, celle qui réprouve la violence.
Il veut aussi apporter sa contribution à l'équilibre du monde.
Le coeur de l'ouvrage repose sur le rapport de la raison et de la foi.
La modernité, depuis le siècle des lumières, a séparé en Occident raison et foi.
Cette dernière est refoulée dans la vie privée. Par voie de conséquence, la raison, détachée de ce qui donne du sens à la vie,
se réduit à la raison économique. Le monde est emporté dans une logique infernale ;
les lois du marché qui commandent toute l'existence sont aux mains d'un Occident
qui prétend écarter de l'histoire toute dimension religieuse.
Depuis au moins la seconde guerre mondiale jusqu'aux drames actuels du Moyen et du Proche-Orient, les résultats sont catastrophiques.
La raison économique étend son emprise aux dimensions de la planète ;
cette mondialisation crée des écarts économiques de plus en plus infranchissables et de plus en plus injustes.
L'idéologie des droits de l'homme, importée de l'Occident s'avère un leurre.
« Ainsi, malgré les progrès scientifiques multiples et largement positifs accomplis par l'Occident,
en dépit du fait que nombre d'individus, de groupes et de populations veulent passer à l'Ouest
et sans jamais rejeter toute la responsabilité sur l'autre, notre devoir d'amitié
et notre souci d'objectivité nous obligent à dire que les orientations du système dominant
apparaissent aux peuples musulmans comme injustes, inhumaines, contre nature et non-conformes à leurs aspirations et à leurs valeurs ».
Par réaction, quelques courants minoritaires, dans les pays musulmans du Sud, durcissent le lien :
la foi se confond avec la raison et prétend imposer la religion comme norme sociale.
Il s'agit de quelques exaltés qui ne sont en rien représentatifs de l'islam.
C'est pourquoi l'auteur s'insurge contre les thèses occidentales qui prétendent rendre compte
des conflits mondiaux d'aujourd'hui en parlant de « choc des civilisations ».
Un long chapitre reprend les thèses devenues fameuses de Samuel Huntington.
Il les expose avec clarté pour les réfuter de manière impitoyable.
Il conclut :
« La propagande du choc des civilisations, fruit de la logique d'une guerre sans nom,
fondée sur la haine, est donc un alibi, un leurre inventé par des gens
qui cherchent à détourner l'attention des enjeux politiques et économiques et qui manipulent les contradictions de l'heure ».
La raison d'un côté, qui déclenche un mécanisme impitoyable, la religion de l'autre refoulée hors de l'histoire,
dans la vie privée, tel est le drame de la mondialisation.
Qu'il faille distinguer foi et raison est une évidence tout comme, de manière homologue,
il convient de distinguer religion et politique.
Mais les séparer est une fermeture et toute fermeture est dangereuse.
L'actualité le montre : l'oubli du spirituel conduit à la désorientation et à la déshumanisation.
« La situation nous oblige à revoir les liaisons entre les différentes dimensions de la vie ».
Ce livre manifeste à l'évidence l'appartenance de l'auteur à la foi et à la culture musulmane.
Ce témoignage s'exprime pourtant dans le langage de l'Occident.
Nulle part Mustapha Chérif ne fait appel à des concepts arabes intraduisibles dans la langue d'un français.
Mieux encore : il s'appuie sur les penseurs français de la modernité plutôt que sur les théologiens traditionnels de l'islam.
Ses références ont pour nom Gérard Granel, Jacques Berque, Jacques Derrida et la préface porte la signature du philosophe Jean-Luc Nancy.
Ce livre d'un homme du Sud témoigne d'une ouverture sur l'autre.
« Ouverture » : tel est le mot clé de l'ouvrage tout entier. Au milieu du Xème siècle,
un calife décréta ce qu'on appelle « la fermeture des portes de l'ijtihad » :
c'était interdire que le croyant s'interroge sur le sens du texte. Celui-ci était aux mains des spécialistes.
Mustapha refuse la fermeture pour remonter aux origines du Coran.
Il ne s'agit pas d'un retour au passé mais d'une redécouverte du jaillissement initial de la Parole de Dieu,
d'un retour à la source qu'on voit surgir lorsqu'on libère le Livre des carcans dans lesquels on l'a enfermé.
Ce mouvement permet de découvrir que le Coran est ouverture.
Qu'on ait le Coran, autrement dit la Parole de Dieu, sous les yeux et sur les lèvres,
fait apparaître que Dieu n'est pas enfermé en lui-même mais qu'il s'ouvre et se diffuse dans sa création qui est multiple.
Certes, la pluralité est appelée à se tourner vers son Créateur pour retrouver son unité mais,
dans l'entredeux, chaque élément doit composer avec l'autre qui, par définition, est différent.
L'homme est le premier à devoir vivre cette ouverture sur l'autre plutôt que de se refermer sur le semblable.
L'auteur dégage du Livre dix dimensions pour maintenir cette ouverture sur l'autre.
Retenons-en trois. Deux encouragent les croyants au dialogue, la dernière rejoint le problème des conversions.
D'une part, considérer l'Islam comme acte d'ouverture sur l'autre suppose qu'on sache entendre que le Coran présente la vie comme une épreuve :
l'autre est là. Vivre consiste à accepter sa différence et à lui faire place.
Cela ne va pas de soi mais la vie religieuse passe par là.
Le Coran invite aussi à être humble devant la vérité dont nul n'a le monopole.
La vie est un mystère ; Dieu y est à la fois présence et absence.
La connaissance mutuelle permet, en nous tournant vers l'autre, de faire usage de notre raison pour,
en l'écoutant et en lui parlant, mieux assumer la distance qui nous sépare de la vérité.
Enfin l'ouverture de l'Islam va avec la liberté.
Celle-ci est une source spirituelle.
Dire que Dieu est Dieu et qu'il n'est pas d'autre Dieu que Lui conduit à l'ouverture.
La Profession de foi permet de devenir ouvert soi-même et, par le fait même,
d'être disponible à autrui en respectant la liberté qui le conduit là où je ne suis pas.
Ces lignes, sans doute, sont à méditer par tous ceux qui réduisent l'autre en le rendant semblable à eux.
Convertir autrui consiste à le tourner vers soi alors que le message coranique, en sa source,
invite à se détourner de soi pour faire place à l'autre.