L'expression des convictions religieuses dans la société
Les Thés de Gennevilliers
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À la mosquée de Gennevilliers, une quinzaine de personnes – musulmanes, chrétiennes ou athées – ont posé ensemble un regard à la fois bienveillant et critique sur les convictions religieuses qui s’expriment dans notre société laïque.

La vie quotidienne

Une musulmane :
J’habite Gennevilliers depuis très longtemps et pendant de nombreuses années je n’ai pas porté le voile. Je l’ai fait uniquement par fidélité à Dieu et après avoir longuement pesé ma décision. Mais je ne me rendais pas vraiment compte à quel point du jour où on le fait tout bascule dans une autre dimension. Avant j’avais une identité plurielle pour les autres. J’étais française, avec tels désirs, tels qualités, telles compétences particulières. C’est comme si, du jour où j’ai porté le voile, je n’étais plus que musulmane. Pourtant j’étais toujours la même mais des amis changeaient de trottoir ou ne me parlaient plus. Pour trouver du travail, tout devient très compliqué. Même si on accepte d’ôter le voile au travail, le fait de le porter à l’extérieur est discriminant.

Pour moi porter le voile était faire un pas vers Dieu. Beaucoup l’interprètent comme une provocation ou un signe politique. C’est très blessant. En fait les femmes n’ont pas toutes les mêmes raisons de le faire. Par ailleurs, ce que j’ai vu en 15 ans sur le terrain manifeste que le fait de se voiler est un des éléments d’un itinéraire personnel : certaines portent le voile un temps et ne le font plus après, d’autres passent de l’habit le plus traditionnel à la mini-jupe et inversement. On se fait de fausses images de la femme qui se voile. Les non-musulmans nous enferment dans des stéréotypes. Par exemple celui de la femme qui assume toutes les tâches ménagères. J’ai surpris quelqu’un quand il a appris que je demandais à mon mari d’y prendre part. Qu’est-ce qui s’offre à nous pour montrer à l’autre qui l’on est ?

Trois chrétiens :
- Tu dis toi-même que le fait de porter un voile peut procéder de raisons très différentes et très subjectives. Peux-tu comprendre que je puisse être gêné devant une femme voilée d’autant plus que j’ignore pour quelles raisons elle le fait. Est-ce parce qu’elle se méfie de moi qui suis un homme ? Est-ce par tradition ? Par conviction religieuse ? Comme un signe politique ? Je l’ignore totalement et cette ambivalence dont tu parles accroît encore ma gêne. Je ne sais pas qui j’ai devant moi. Êtes-vous conscientes que pour des non-musulmans ce peut être gênant ?

- Pour moi la question n’est pas pourquoi on met un voile ou une djellabah mais si, en le mettant, on est conscient que ça peut déranger les autres. Quand on croise peu de musulmans « en habits » il n’y a pas de problème. Mais quand on se promène dans la banlieue Nord le vendredi à la sortie des mosquées et que presque tout le monde porte l’habit, on se sent étranger dans son propre pays.

- Je crois que vous ne sentez pas bien ce qui est de l’ordre d’un inconscient collectif en France. Vous vous inscrivez dans une histoire où l’habit religieux des prêtres ou des religieuses a longtemps été le signe du pouvoir que l’Église catholique voulait imposer à la société. Un grand nombre de prêtres et de religieuses, en abandonnant ce signe distinctif, disaient leur volonté de fraternité avec tous. C’est par exemple le fait des prêtres ouvriers qui allaient travailler en usine. Porter un habit religieux aujourd’hui réveille cet inconscient collectif dont, à mon avis, très peu d’entre vous sont conscients. Du coup, l’ambivalence dont tu parlais n’est pas du tout perçue. Ne demeure que le signe d’un retour du religieux et d’une volonté de prendre le pouvoir de la part d’une nouvelle religion.

Trois musulmans :
- Pouvez-vous comprendre que cela devient très lourd pour nous ? Même les arabes qui ne sont pas du tout musulmans sont impactés par la suspicion qui entoure l’islam. Je vis en France depuis toujours et je n’ai jamais senti de racisme avant ces 15 dernières années. Aujourd’hui j’ai peur.

- Avez-vous entendu le ministre de l’intérieur inviter à se méfier de ceux qui selon lui portent des signes d’extrémisme ? Le fait de porter la barbe en serait un mais seulement si on a un visage arabe… car la barbe de Robert Hue n’a jamais interrogé personne ! Le fait de multiplier les prières pendant le Ramadan, d’avoir une tache sur le front (marque des prosternations pour la prière) seraient des signes d’extrémisme !

- L’année en année j’ai de plus en plus peur. Ma femme a peur de sortir faire les courses. Elle se demande si quelqu’un ne va pas lui tirer dessus.

Une athée :
Je suis inquiète. A force d’avoir montré du doigt le poids de l’islam, on nous a inculqué cette peur. C’est de l’irrationnel mais il infuse ! Nous n’avons jamais tant entendu parler de laïcité que depuis qu’on parle de l’islam ! On n’ose plus aller vers « ces gens-là » ! Il est vrai qu’à la marge certains musulmans exagèrent. J’ai vu par exemple un musulman faire sa prière en public sur les quais de la gare. Mais j’en ai vu un en dix ans ! Et on ne va retenir que cela. A force de s’en prendre aux musulmans, on les amène à se replier entre eux et on trouve de plus en plus de femmes voilées dans les rues ! Il faut casser cet engrenage à tout prix.

Une chrétienne :
Depuis quelques années j’ai l’impression d’être sur deux plaques tectoniques qui sont en train de s’écarter. Des amis chrétiens ont de plus en plus peur des musulmans et mes amis musulmans pensent qu’ils sont détestés dans la société française. Qu’est-ce que je peux faire : je tombe dans le trou ou je mets le pied d’un seul côté ? Il faut absolument prendre du recul de part et d’autre. Il faut mettre au premier plan toutes les initiatives de compréhension mutuelle. Je connais des chrétiens qui suivent un cycle de formation à l’islam à l’institut catholique de Paris. Ils s’intéressent tous à l’islam même si, par ailleurs, certains réprouvent certains comportements. Il existe des associations qui favorisent la rencontre. Il faut absolument mettre en lumière tout ce qui rapproche. Il ne faut pas non plus croire que tous ceux qui rejettent le foulard rejettent l’islam. On peut très bien ne pas comprendre ce signe et s’intéresser à la religion musulmane De même que vous êtes blessés d’être tous assimilés à des terroristes, de même je suis blessée d’entendre dire que tous les « français » sont racistes ou islamophobes. Il faut casser ce discours en miroir.

Les médias

Trois musulmans :
- À propos du terme « islamophobie », ce terme est interdit par les médias ! On a le droit de parler d’antisémitisme mais pas d’islamophobie. Personne n’invite le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) sur des plateaux de télévision parce qu’il y a « islamophobie » dans leur intitulé.

- Mais comment casser ce discours en miroir quand les médias sont porteurs d’une parole presque toujours contre les musulmans. On a l’impression d’être revenu dans les années 1929. A l’époque c’était les juifs qui étaient pointés par les médias et le public écoutait sans réagir. On voit où cela a mené. Quand un polémiste assimile l’islam au nazisme - en confondant volontairement un extrémisme avec la religion musulmane

- quelle possibilité de réplique avons-nous ? Quand on entend quelqu’un demander qu’on interdise le voile comme on interdit l’uniforme SS, on a beau éteindre la télévision on voit l’influence qu’elle a sur le voisin de palier !

- J’ai participé à deux manifestations ces temps derniers. L’une contre la PMA. Des chrétiens chantaient « alleluia » et les médias ne l’ont pas remarqué. L’autre contre l’islamophobie. Des musulmans chantaient « Allahu akbar» et tous les médias ont fait la une sur cela. Pourtant il s’agissait du même chant qui, en l’occurrence, n’était pas du tout le signe d’un extrémisme. Il y a deux poids, deux mesures. Un chrétien :
Pourquoi les musulmans de France – qui ne sont pas du tout extrémistes dans leur grande majorité – ne trouvent pas les moyens d’exprimer aux autres français leur manière de vivre leur religion ?

Une musulmane :
Il est vrai que nous n’avons pas d’instance représentative mais cet argument n’est pas suffisant. Nous n’osons pas nous exprimer parce que nous voyons que nos propos sont systématiquement déformés. Je ne me vois pas participer à un plateau de télévision où je sais que tout le monde sera contre moi. Qu’est-ce qu’on va faire de ce que je vais dire ? À quel moment va-t-on le détourner contre ma propre communauté ? Il faut noter cependant qu’une plateforme vient d’être créée pour travailler sur les médias et rendre les musulmans acteurs. Peut-être y a-t-il un espoir de ce côté. Deux chrétiens :
- Aujourd’hui on réagit davantage en fonction de ce qu’on entend sur les médias qu’en fonction de relations personnelles qu’on aurait pu créer. On vit côte à côte. Il faut créer des occasions de rencontre. Par ailleurs, on assiste à une disparition du travail de journalisme : on diffuse des informations sans analyses.

- Il y a un sentiment anti musulman grandissant mais n’est-il pas parfois exagéré du côté musulman ? Il existe des sites musulmans qui fédèrent les musulmans (La Plateforme des musulmans) ou qui proposent des débats d’idée intéressants, tels que Saphir News ou Oumma.com. Il n’y a jamais eu aucune attaque médiatique contre ces sites. Tout ne va pas bien en France mais il faut résister contre cette peur qui nous conduit à penser que l’autre est porteur du mal. Sur le CCIF, j’ai des réticences : il parle d’islamophobie d’État et là je ne suis pas d’accord.

L’État

Une musulmane :
Il y a, selon moi, une islamophobie aussi d’État. Je cite un exemple. Je suis française et nous faisons une demande de nationalité française pour mon mari. Nous nous soumettons volontiers aux entretiens habituels puis on nous dit : « Comme Madame porte le voile, vous devez avoir un entretien supplémentaire. » Et à moi qui suis française, on demande si je suis prête à me laisser ausculter par un homme, si je vais à la piscine, si je suis prête à enlever mon voile pour travailler et… pourquoi je choisis de vivre en France ! C’est comme si - alors que je suis française - je devais justifier de ma nationalité. J’insiste pour dire que c’est pour moi de l’islamophobie d’État parce que c’est une consigne de la Préfecture et non un « coup de zèle » d’une employée.

Une chrétienne :
Mais cet exemple me paraît être une exception. D’une manière générale les structures de l’État résistent. Les principes de la Laïcité sont respectés. Quand on veut contraindre des mères de famille à ôter leur voile pour accompagner une sortie scolaire, la loi leur donne raison. Nous sommes dans un État de droit et le droit tient bon.

Deux musulmans :
- La laïcité est une chance pour l’islam, c’est vrai. Cependant nous avons parfois l’impression de demander à notre communauté de s’adapter (ce qu’elle fait) et qu’il y a toujours de nouvelles adaptations qui nous seraient imposées si la loi ne nous protégeait pas. De plus, nous ne savons pas porter plainte. Nous ne sommes pas procéduriers. Nous avons l’impression de ne pas être traités comme les autres communautés. La difficulté n’est pas dans les lois en tant que telles mais dans la manière dont elles sont appliquées.

- Il est vrai qu’aujourd’hui en France, ce n’est pas Vichy… mais…

Un chrétien :
La situation évolue mal et c’est inquiétant. Mais le danger ne serait-il pas de se mettre dans une position victimaire ? C’est un piège que les médias tendent aux victimes, par exemple d’attentats, et qui les enferment dans un comportement qui ne construit pas et qui les détruit.

Sur l’État, il me semble que les principes de la laïcité tiennent contre vents et marées. Mais la réponse consistant à dire que la laïcité permet la liberté individuelle de chacun me semble très courte par rapport à cette immense inquiétude que nous avons. Nous ne pourrons pas changer le rapport de force si nous n’avons pas la conviction que nous faisons et avons à faire des choses ensemble. Il ne s’agit pas seulement de dire que toi qui es voilée je dois te respecter. Il s’agit de nous dire : toi qui es voilée et moi qui ne suis pas musulman que pouvons- nous faire ensemble ? Nous avons à faire ensemble pour « faire société ». Et il est très important de faire connaître les lieux où l’on fait ainsi société. A Gennevilliers, manifestement cela se passe bien. Aujourd’hui, dans le cadre de la Maison Islamo Chrétienne, nous avons pu avoir cet échange à l’intérieur de la mosquée. D’autres initiatives sont prises ailleurs. Il faut impérativement les multiplier et les faire connaître.

L’équipe des Thés de Gennevilliers


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