Sylvie Le Bret est paroissienne à Notre-
Dame de Malakoff, une commune de la
proche banlieue de Paris. Depuis 6 ans,
elle est responsable de l’équipe locale du
Secours Catholique. Avec d’autres, elle a
mis en place une « Table Ouverte Paroissiale
» (TOP). Elle nous livre ici quelques
fruits de cette expérience.
Comment et pourquoi avez-vous eu l’ idée de créer une « Table Ouverte
Paroissiale » ?
C’est une initiative que nous avons mise en place en 2014, sur le constat
qu’au Secours Catholique, nous étions ouverts seulement en semaine
(nous offrons notamment un petit-déjeuner tous les jeudis matins).
Nous avons voulu faire une proposition pour ceux qui ne sont disponibles
que le week-end et impliquer aussi plus de monde sur la paroisse. Nous
avions entendu parler de la TOP, qui était déjà en place sur d’autres paroisses
et disposait d’un guide pédagogique. Nous sommes allés voir son fonctionnement
sur d’autres lieux, à Châtillon, à Villeneuve, puis nous nous sommes
lancés dans l’aventure en 2015. Les TOP avaient lieu au début tous les mois,
maintenant une fois tous les deux mois. Nous recevons une cinquantaine de
personnes.
L’idée était de rendre la communauté paroissiale actrice de ces rencontres.
Mais l’erreur a été de les présenter comme part intégrante de l’action du
Secours Catholique. Du coup, trop peu de paroissiens se sont mobilisés. Du
moins pas autant que nous aurions voulu.
Quel en est l’esprit ? Pourrais-tu nous expliquer en quelques mots en quoi
elle consiste ?
L’idée est d’y inviter toutes les personnes isolées que nous connaissons, pas
seulement des personnes en difficulté financière.
Il s’agit de susciter un moment d’échange, de mixité, de partage autour d’un
repas, de créer du lien social. Le repas doit donc être bon, beau, festif. Il
s’agit d’un vrai repas, avec apéro, entrée, plat, fromage, dessert. Le repas est
cuisiné, préparé par une équipe de bénévoles, ce n’est pas un repas tiré du
sac ! Le dessert nous est offert par une boulangerie de la ville. On fait aussi
très attention à la décoration des tables et de la salle. Idéalement, le repas doit
aussi être animé, avec des partages de chanson, des quizz, etc. Il faut créer
une ambiance festive, favoriser les échanges, permettre à tous de se sentir accueillis.
Une fois dans l’année, au début de l’été, on fait même un barbecue.
L’important, c’est aussi que tous participent. Certains participent à l’élaboration
du repas. Les autres aident au moins à débarrasser, à ranger. Et vraiment,
les gens sont souvent heureux de pouvoir y mettre du leur, de pouvoir
rendre quelque chose. Mais il faut reconnaître qu’il y a aussi des gens qui ne
disent pas merci, qui ne participent pas. Ce n’est pas facile et par certains
côtés, c’est un investissement qui peut se révéler assez ingrat. Il faut le faire
sans attendre de retour.
Après, l’aspect concret, le fait que ce soit un bon repas, sain, équilibré, a aussi
son importance. On espère un peu donner aux convives le désir de manger
mieux. En effet, c’est une population qui mange très mal. Ils n’ont que très
peu le choix de ce qu’ils mangent car beaucoup reçoivent des paquets tout
faits des Restos du Coeur, du Secours Catholique et bien sûr, acheter des
légumes, des fruits, de la viande, cela coûte cher. Et puis, pour les étrangers,
ils sont souvent déroutés devant nos aliments, nos légumes, ils ne savent pas
comment les cuisiner. Ils achètent aussi souvent beaucoup de chips et de
sucreries aux enfants, c’est l’un des rares plaisirs qu’ils peuvent leur offrir.
Le vrai problème des personnes en difficulté, à Paris, ce n’est pas de mourir
de faim, mais c’est de très mal manger. Nous essayons, avec la TOP, de leur
donner envie de faire des efforts pour manger de façon plus équilibrée, à la
mesure de leurs moyens, bien sûr.
Comment la TOP a-t-elle été accueillie par ceux qui y ont participé ?
En général, ils sont très étonnés en arrivant les premières fois. « On se croirait
au restaurant » disent certains. Car tout est très beau, propre, il y a un apéro,
etc. Ils disent souvent que cela leur fait du bien de passer du temps ensemble.
Pour certains, cela leur rappelle « quand ils étaient au pays » et trouvaient le
temps, le week-end, de se retrouver en famille, de manger ensemble. Donc
ils sont sensibles à la dimension festive.
Deux amis de la TOP se sont même très investis dans la préparation des
repas, Brahim et Raymonde. Ils sont fiers et heureux de pouvoir partager
ce qu’ils savent faire en cuisine. Brahim fait toujours quelque chose en plus,
qui n’est pas au menu, il aime se démarquer, il y met tout son coeur. Il aime
aussi animer. Il a trouvé toute sa place dans l’équipe de préparation, cela lui
a donné pas mal de confiance en lui.
Brahim : « Préparer un repas pour la TOP me permet de satisfaire et de
partager avec les plus démunis ma passion culinaire. J’en suis heureux
et honoré par cette expérience sociale. J’encourage d’autres personnes à
rejoindre cette équipe de bénévoles qui tous les deux mois préparent un
menu de haute qualité. »
Raymonde : « Être ensemble, cuisiner pour les autres pour partager.
Partager ses savoirs, ses recettes. Ca fait plaisir de régaler les convives.
Gouter les différents plats. L’ambiance est agréable. »
N’est-ce pas difficile à tenir sur la durée ?
Si, c’est vrai, ce n’est pas facile, surtout que l’équipe de préparation reste peu
nombreuse. C’est difficile, par exemple, de trouver les forces pour animer tous
les repas. Notre grand regret est de ne pas avoir su assez motiver toute la paroisse.
Certains sont venus mais ont été déroutés par les convives, c’est une population
dont ils n’ont pas l’habitude. La mixité, ce n’est vraiment pas facile à faire vivre.
Mais c’est pour cela qu’une initiative comme celle-là est importante.
Et puis il faut être très vigilant à maintenir l’esprit de la TOP. Le risque
est que cela retombe en « soupe populaire », où les gens ne viendraient
que pour manger, où on perdrait le côté festif et convivial. Certains,
avec le temps, commençaient à le vivre comme cela, ne restaient pas
jusqu’au bout ou se servaient trop. Du coup, nous avons rendu obligatoire
la participation financière, qui au départ était facultative. Nous
demandons un euro par personne. Il faut sans cesse nous recentrer sur
le projet pédagogique.
Comment avez-vous pris en compte les contraintes alimentaires des uns
et des autres ?
Nous nous sommes fixés quelques règles simples. Pour l’alcool, on sert au
départ, à l’apéritif, un petit verre d’alcool (ou de jus), puis tout le reste du
repas est à l’eau. Pour la viande de porc, qui est la principale contrainte,
quand on en fait, on prévoit toujours des plats dans lesquels il n’y en a pas.
Mais le plus souvent, on fait du poulet ou du poisson, cela est plus simple et
pas trop cher. Quand on fait le barbecue, on prévoit toujours des chipolatas
et des merguez.
Tu as senti que cette expérience avait un écho dans ta vie de foi ?
Oui, bien sûr, comme plus généralement mes années passées au Secours
Catholique. L’injustice m’est devenue intolérable, elle me révolte. Je consacre
plus de temps aux relations avec les autres, à écrire des petits messages aux
uns et aux autres, à prendre des nouvelles. Cela nourrit aussi beaucoup ma
prière. J’essaie de porter dans la prière toutes les personnes que je croise, leurs
difficultés. Je sens aussi le besoin, maintenant, d’aller communier au moins
une fois dans la semaine, en plus du dimanche, là aussi pour porter leurs
difficultés.
En quoi cette initiative s’ inscrit-elle dans la mission d’une paroisse, dans
la mission de l’Église ?
Je crois que nous témoignons ainsi de l’amour que Dieu nous donne et qu’il
nous demande de partager avec tout le monde. C’est ça l’évangélisation, cela
passe avant tout par les actes. Il n’y a pas besoin de marquer plus notre identité
religieuse, par exemple je n’ai pas voulu qu’on fasse le bénédicité comme
le curé de la paroisse le demandait. Les convives savent qu’ils sont dans une
église, cela suffit. Parfois, quand l’un d’eux me partage une grave difficulté,
je lui dis « Je prierai pour toi ». C’est l’essentiel. La TOP ne doit pas être un
lieu de prosélytisme. Ce n’est pas du tout l’esprit.
Sylvie Le Bret