Les tables du partage
Kerra Amable
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Pendant le mois de Ramadhan, toutes les mosquées du monde ouvrent une table aux nécessiteux : « Jeûner sans générosité aurait-il un sens ? »

Le mois de l’abstinence pour les musulmans et plus précisément pour la mosquée de Gennevilliers est l’évènement le plus important, le plus impactant, le plus visible de l’année.

En effet, c’est toute une mise en commun pour une finalité de partage qui va avoir lieu. Par dévotion et pour l’amour de Dieu, et espoir en la récompense qui sera décuplée durant ce mois béni, les jeûneurs vont se priver volontairement de nourriture du lever du soleil jusqu’à son coucher. Pour une durée maximale de 30 jours, ils vont offrir ce trop-plein, cette privation aux nécessiteux, qui seront mis à l’honneur. Bien que le Ramadhan est une période joyeuse pour la plupart, ce n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde.

Afin de permettre aux plus démunis ainsi qu’aux personnes isolées de partager cette joie de rompre son jeûne avec une table bien garnie, la mosquée de Gennevilliers va en être le lieu privilégié, puisque depuis maintenant 10 ans, elle organise ces tables du partage. Fidèles et bénévoles préparent et offrent plus de 500 repas chaque soir, la quantité étant limitée à la capacité d’accueil du lieu, les denrées alimentaires, légumes, féculents, pain, viandes… sont aussi bien apportés par les fidèles qu’achetés par la mosquée. Des commerçants de la ville, comme des boulangeries participent aussi, chacun y met du sien, c’est une concurrence aux bonnes oeuvres, on est poussé à donner plus que d’habitude, de son temps, de son argent, de son sourire, on se souvient que celui qui soulage un nécessiteux, Dieu le soulagera dans cette vie et dans l’au-delà.

Généralement, tout musulman sait que durant le mois de ramadhan, les mosquées du monde ouvrent leurs portes et garnissent leurs tables pour tous. La publicité n’a pas besoin d’être faite ni pour les dons, ni pour les nécessiteux, ramadhan est le rendez-vous acté pour les donateurs et les bénéficiaires. Pour l’anecdote, l’année dernière, la chaine de TV TF1 a diffusé un reportage sur les tables de ramadhan dans notre mosquée, à notre grande surprise, les dons ont afflué de partout, nous avons dû en refuser faute de place pour les stocker.

Ces tables du partage sont ouvertes à tous, sans distinction confessionnelle, sans contrôle. Pour la mise en place, c’est une équipe de 10 bénévoles qui est à l’oeuvre. À l’heure de la prière du coucher du soleil et donc de la rupture du jeûne, des dattes et du lait sont disposés à l’entrée, les bénéficiaires sont au rendez-vous. Après la prière, ils sont dirigés vers le sous-sol, qui a été aménagé en restaurant à cet effet. La traditionnelle harira ou chorba, thé et café sont les incontournables de la table, le choix des menus se fait en fonction des arrivages des dons du jour.

Les bénéficiaires sont pour 95% des musulmans, pour la majorité des hommes, jeunes sans papier, parmi eux, des SDF, des réfugiés, un groupe d’étudiants, quelques convertis et une petite minorité de femmes. Les chibanis des foyers sont bénéficiaires aussi, quant à eux ils préfèrent prendre à emporter. Bien sûr, l’ambiance n’est pas toujours à la fête pour les plus durement touchés par l’exclusion, mais ils sont là, rassurés de trouver un repas chaud chaque soir de ce mois sacré.

Enfin, pour le musulman, il s’agit de vivre la satisfaction du devoir accompli, l’espoir d’avoir réussi son jeûne de ramadhan, lors duquel on se surpasse en bonnes actions et en générosité, les portes du Paradis s’ouvrent par l’abondance des bonnes actions qui sont requises plus que durant le reste de l’année. On se sent accompli, régénéré, nettoyé des toxines du corps et du coeur. Faire l’expérience de la faim et de la soif, même si elle ne dure pas, nous met dans une ouverture empathique et nous pousse à la générosité. Se priver soi pour faire don à l’autre. Jeûner sans générosité aurait-il un sens ? Dans quelques jours, la nouvelle lune sera au rendez-vous pour annoncer le début du jeûne. Ramadhan 2020 sera inédit pour les musulmans du monde entier, les tables du partage vont devoir s’adapter au confinement, aux nouvelles technologies, au monde virtuel… ? Quoiqu’il en soit, Ramadhan 2020 en sera plus spirituel, avec un regard et des prières universels au Tout Miséricordieux.

Keira Amable


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