Couples mixtes :
un pari impossible?
Francis Raugel, marié avec une algérienne, père de trois enfants, est fondateur du GFIC.
Son témoignage est une invitation aux couples islamo chrétiens :
inventer « une manière nouvelle de vivre ensemble ».
Des défis à relever
TexteTout couple est fondamentalement « mixte » : par le sexe, dans l'immense majorité des cas, par l'origine sociale, géographique, culturelle, par l'éducation.
Et pourtant certains couples, de plus en plus nombreux depuis deux ou trois décennies, le sont davantage :
parce qu'ils sont d'origines culturelles et religieuses fondamentalement différentes ils s'engagent dans une aventure porteuse
à la fois de grands défis et d'enrichissements possibles.
Parce qu'ils sont nés - même s'il s'agit dans les deux cas de la France - dans des milieux culturels très différents
les membres du couple mixte ont d'abord à tenter de
trouver une synthèse entre des conceptions divergentes,
pour ne pas dire opposées, dans beaucoup de domaines de la vie :
Ils ont d'abord à donner un sens commun à leur union : simple « excroissance » des familles d'origine ou constitution d'une nouvelle cellule, reliée mais indépendante des précédentes, capable
d'autonomie, et voulant participer de façon originale à la société.
Il leur faut aussi se situer entre une conception « civilo-religieuse» du mariage (celle de l'islam) et une conception plus marquée sacramentellement (celle du christianisme).
Ils ont aussi à préciser leurs conceptions des rapports hommes- femmes, particulièrement dans le couple constitué d'un musulman et d'une non musulmane.
Il leur faut aussi
trouver un « modèle » propre
quant à leurs rôles respectifs dans le couple, quant à la place du travail pour chacun, quant au partage des charges financières.
Il leur faut se mettre d'accord quant aux règles de répartition des biens éventuellement légués dans un pays autre que la France.
Ils ont à trouver un « tempo » commun entre leurs gestions respectives du temps.
Le deuxième défi à relever est celui de la construction de relations si possibles harmonieuses et équilibrées avec les belles-familles.
Il leur faudra très souvent en premier lieu gagner la confiance d'une-et parfois des deux- belles-familles : leur union provoque en effet fréquemment des « levées de boucliers »
de la part de l'une ou l'autre des belles-familles : parce qu'elle transgresse la norme sociale, parce qu'elle ne correspond pas au projet qu'avaient les parents pour leurs enfants,
parce qu'étant plus risquée qu'une union ordinaire elle entraîne des craintes.
Il leur faudra ensuite trouver la « bonne distance » dans les relations pour éviter soit d'être accaparés soit d'être tenus en lisière.
Il sera aussi nécessaire de définir les soutiens financiers qui pourront éventuellement être apportés.
Troisième défi mais souvent le plus facile à relever : celui de la poursuite par chacun de sa vie de Foi tout en ayant
des plages communes religieuses.
Cela exige évidemment que l'autonomie religieuse de chacun soit reconnue-y compris contre certaine tradition- et qu'une volonté commune de faciliter
à l'autre la pratique de sa propre Foi existe fortement (même si dans la vie pratique ce n'est pas toujours simple à organiser).
Quatrième défi : la relation à l'enfant.
Une relation juste et vraie à l'enfant passe d'abord par l'acceptation indifférenciée de la venue d'un garçon ou d'une fille (et c'est loin d'être évident !).
Elle passe ensuite par
le choix des prénoms
qui ne doivent pas constituer ensuite des handicaps pour les enfants mais leur permettre une meilleure intégration dans les familles
d'origine.
Elle est à exprimer enfin dans la manière de les éduquer religieusement en trouvant le bon équilibre entre la transmission des convictions et le respect de leur liberté.
Dernier défi enfin, celui des relations à la société.
Cellule de la société, mais cellule particulière, possédant une sorte de « caractère propre » le couple mixte doit à la fois
être traité comme tous les couples mais aussi
pouvoir revendiquer que ses particularités soient prises en considération
que par exemple les visas pour sa belle-famille soient accordés normalement, qu'en cas de séparation (il faut aussi le prévoir) les enfants ne deviennent
pas des enjeux entre deux pays, que l'acquisition de la nationalité française soit facilitée et non chargée d'obstacles.
Le couple mixte a donc un certain nombre de défis à relever qui peuvent constituer, dans certains cas, des handicaps difficiles à surmonter.
Mais ils peuvent aussi être source de nouvelles manières d'aborder la vie de couple et donc d'enrichissements.
Des enrichissements possibles
Le couple mixte peut devenir le lieu de construction d'un « modèle culturel » nouveau empruntant à ses deux origines mais construisant des pratiques nouvelles :
rapports différents à l'argent, développement des solidarités, refus des enfermements dans des schémas séculaires, intégration de manières de vivre différentes, sens nouveau de
l'accueil, et jusqu'à la conception de décors spécifiques dans les lieux de vie.
Le couple mixte peut aussi constituer le lieu d'une nouvelle vie de Foi.
La confrontation à l'autre conduit en effet à
repenser la foi que l'on a reçue « par héritage » :
il faut se l'approprier, la reconstruire, en discerner les éléments essentiels et ceux plus secondaires, la reformuler en termes compréhensibles par l'autre,
déterminer ce que l'on veut absolument transmettre sans que ce soit considéré par l'autre comme un détournement, réfléchir aux parallélismes et complémentarités.
Le couple mixte est par ailleurs quasi-obligatoirement le lieu d'expérimentation d'une
nouvelle manière d'éduquer les enfants :
il est amené à réaliser la synthèse de deux traditions éducatives, de deux conceptions de la transmission des valeurs, de la Foi,
de deux modèles des relations familiales, de deux styles d'objectifs de vie. Il lui faut élever des enfants à la fois solidement enracinés dans
des traditions parfois fortement prégnantes mais en même temps libres, indépendants et capables de s'inventer leur propre modèle de vie.
Cela se traduit de deux manières :
Il est essentiel de
faire découvrir aux enfants tous les éléments de la Foi de chacun des deux parents ;
la pédagogie pour ce faire s'invente en particulier dans des groupes de foyers mixtes. Il faut savoir enseigner d'une part ce qui est commun
et d'autre part ce qui est spécifique à chaque religion. Une des grandes difficultés est d'aller
au-delà de l'enseignement intellectuel
pour faire entrer les enfants dans une expérience de Foi. Le partage d'expérience à plusieurs prend là toute son importance.
Il est non moins essentiel de laisser aux enfants le choix de l'expérience qu'ils privilégieront ; mais il faut, en même temps,
qu'ils soient convaincus que ce choix ne constituera pas une rupture avec l'un des deux parents, et que quelle que soit leur décision, elle fera le bonheur de leurs deux parents.
Le couple mixte est enfin un exemple pour
une société française qui a beaucoup de difficulté à accepter les différences
en son sein et à s'en enrichir.
Il constitue une manière nouvelle de vivre ensemble qui ne veut pas nier l'autre et le « niveler » mais le considère
comme une source d'interpellation positive sur un certain nombre de manières d'être et de vivre.
Le couple mixte, pari impossible ? La réalité montre que beaucoup de ces couples font face positivement aux défis
qu'ils ont à relever et constituent pour eux-mêmes et pour la société dans laquelle ils vivent une source d'enrichissement.
Francis Raugel