Bien sûr, on ne peut parler du corps sans interroger les femmes musulmanes de notre pays, issues d’un pays musulman. Christine Fontaine s’est efforcée de retranscrire les propos de quelques tisserandes de La Caravelle.
Que dit l’Islam à propos des grossesses et de la maternité ?
Pendant le Ramadan, à cause de l’enfant qu’elle porte, une maman a le droit de ne pas jeûner. Elle devra récupérer quand elle le pourra. Pour chaque jour de Ramadan non jeûné, on peut donner de l’argent pour les pauvres.
Dès que le bébé est sorti du ventre, le papa, ou quelqu’un d’autre, le prend dans ses bras et murmure à son oreille l’appel à la prière.
En islam, on privilégie l’allaitement : Il n’est pas rare qu’on nourrisse au sein pendant deux ans. C’est écrit dans le Coran ; aujourd’hui les médecins, eux aussi, prescrivent un allaitement prolongé. On comprend que le lait maternel est plus important que le lait artificiel. Pendant le Ramadan,
Y a-t-il, en Islam des prescriptions particulières à propos du corps des femmes ?
Pendant les règles, l’homme ne peut s’approcher de son épouse. Après les règles, elle va se laver. Ce sont des ablutions spéciales ; on prend une douche en faisant couler l’eau sur la partie droite du corps d’abord, du côté gauche ensuite. Pour que l’ablution soit valide, il faut être bien conscient de la portée religieuse de ces actes. Ensuite on fait les ablutions semblables à celles qu’on doit faire avant la prière. Tout cela est écrit dans le Coran. Nous sommes dispensées de la prière pendant nos règles et pendant les 40 jours qui suivent l’accouchement.
On parle de châtiments corporels pour sanctionner les délits. Qu’en est-il exactement ?
Nous ne sommes pas d’accord pour pratiquer les châtiments dont parle le Coran. D’un point-de-vue sentimental nous ne supportons plus qu’on puisse couper la main d’un voleur. A part l’Arabie Saoudite, dans les pays musulmans la coutume de l’amputation a disparu. De toute façon, si le voleur demande pardon, il n’y a plus de raison pour que la peine soit exécutée. Il faut comprendre le Coran : autrefois, il n’y avait pas de prisons. On donnait par exemple des coups de fouets pour punir les délinquants : c’était pour protéger la société. La peur du châtiment empêchait les risques de criminalité. Mais ce qu’on en dit ici n’est qu’une opinion.
Dans le Coran, on dit qu’il faut tuer les femmes adultères en leur lançant des pierres. En principe il faut 4 témoins pour que soit prononcée la condamnation. Mais maintenant on ne voit plus cela. A l’heure actuelle, si la femme est prise en flagrant délit, c’est la prison. Si, à la sortie, elle se remarie, elle perd la garde des enfants. Quand les hommes trompent leur épouse, normalement ils devraient être punis comme les femmes. Cependant souvent ils se marient à leur partenaire par Fatiha. Ce qui n’est pas très compromettant : ils l’abandonnent au bout d’une ou deux semaines. Mais ils ne font pas de faute : ce n’est pas juste.
A propos des femmes, certains disent qu’elles n’ont pas le droit de vivre sans être mariées, mais c’est faux. Beaucoup de femmes seules fréquentent notre atelier. L’une d’entre elles a perdu son mari à l’âge de trente ans. A cause de ses enfants elle ne s’est pas remariée. Elle avait peur qu’un nouveau mari maltraite ses enfants. Autrefois, la femme ne pouvait pas rester seule : elle ne travaillait pas et ne pouvait pas subvenir à ses besoins. Les choses ont changé.
Lorsque vous faites le Ramadan, vous savez ce que c’est que d’avoir faim. Un jeûne prolongé est mauvais pour le corps. Pourquoi jeûnez-vous ?
Il ne faut pas seulement penser au corps, il faut aussi penser à l’âme. Par ailleurs quand on jeûne, on se rappelle que beaucoup ont faim et qu’il faut partager. C’est pour cela qu’on paye, pendant le jeûne une certaine somme d’argent qui sera reversée aux plus pauvres. Le jour de l’Aïd, chacun doit veiller à ce que, dans son entourage, personne n’ait faim.
Quand on voit des personnes qui ont faim, il faut partager. Avant de manger, il faut partager sa nourriture avec l’autre. Un des cinq piliers, c’est la zakat, c’est-à-dire de l’argent que l’on donne pour soulager la faim des plus pauvres. Certaines personnes de passage n’ont pas les moyens de se nourrir, ils vont à la moquée ; on leur donne à manger.
On s’interroge, en France, sur l’euthanasie. On s’interroge pour savoir si le personnel soignant peut répondre à la personne qui souffre et demande qu’on abrège ses souffrances. Qu’en pensez-vous ? Que pensez-vous de la souffrance au sens large ?
L’euthanasie est interdite. Le Coran interdit de donner la mort à quelqu’un d’innocent : c’est à Dieu que l’âme appartient.
Beaucoup de femmes font l’expérience de la souffrance lors de l’accouchement. Si la douleur est trop grande, elle a le droit de demander une péridurale. La souffrance de la femme n’a rien à voir avec la religion, sauf que la souffrance efface les péchés ; mais la religion n’interdit pas qu’on soulage la douleur.
Il arrive – mais c’est très, très rare – qu’un mari refuse que sa femme ait une péridurale. Quand cela se produit, c’est le fait de gens très ignorants. Cela n’a rien à voir avec l’islam. Un homme n’a pas à choisir à la place de sa femme. C’est vrai que les hommes – et pas seulement les musulmans – se veulent supérieurs à la femme. Certaines femmes se soumettent, d’autres se révoltent. C’est une question de personnalité. Dans le Coran, la place de la femme par rapport à l’homme est celle de la reine par rapport à son valet. Le paradis, en islam, est sous les pieds de la femme.
A propos du corps de la femme, on a beaucoup parlé de l’histoire d’une femme qui ne voulait pas se mettre en maillot de bain sur la plage mais qui avait revêtu un vêtement qui cache tout le corps : le burkini. Qu’en pensez-vous ?
Se mettre en maillots de bain sur la plage, dans la religion ce n’est pas bien. C’est interdit. Quand on va à la plage on rentre dans l’eau habillées et portant le voile. Maintenant, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, partout on trouve le burkini. Mais, moi, je ne suis pas d’accord avec le burkini. On voit les formes, on voit la totalité des corps.
Quand je vais au bord de la mer, c’est pour surveiller mes enfants mais je ne me baigne pas. Des femmes se baignent avec leurs habits, c’est normal là-bas. Il y a des couples où la femme est voilée et le mari barbu ; ils vont sur des plages mixtes où se trouvent des femmes presque nues ! Les épouses ne se déshabillent pas mais les maris n’arrêtent pas de regarder les femmes en tenue de bain.
Même quand il fait chaud, les femmes voilées supportent la chaleur ; elles n’ont pas besoin d’entrer dans l’eau pour se rafraîchir ; elles sont habituées à leurs habits. Même s’il fait très chaud, elles se sentent bien.
Les femmes ne se déshabillent pas sur la plage mais elles sont nues au hammam. Qu’en est-il de cette pratique ?
Au hammam, on est entre femmes. On porte un jupon pour cacher le sexe mais il n’y a pas de problème pour découvrir sa poitrine. Le hammam est une grande salle avec un endroit pour l’eau chaude, un autre pour l’eau froide. Au Maroc, on en voit à tous les carrefours dans les villes et plusieurs souvent dans un même village. On y va au moins deux fois par semaine ; on y tient beaucoup ; c’est important.
Au Maroc, on trouve deux sortes de hammams ; les hammams traditionnels coûtent environ 5 euros et les hammams de luxe pas moins de 20 euros et parfois beaucoup plus. En France, il faut compter de 60 à 80€.
Ici, beaucoup de Françaises y vont aussi. On aime la chaleur, on soigne la cellulite, on enlève les peaux mortes. La manière de se laver n’a rien à voir avec la toilette qu’on peut faire à la maison. Au Maroc, il y a des hammams « haut de gamme ». On trouve des gens qui massent, des coiffeuses, etc. D’autres te font l’épilation.
En France, on se trouve devant un problème de société important. Autrefois, l’homosexualité était méprisée et même condamnée ; aujourd’hui les homosexuels peuvent se marier entre eux et l’homophobie est un délit. Qu’en pensez-vous ?
L’homosexualité est interdite, comme dans toutes les religions. Au bled, c’est un sujet d’actualité. Les homosexuels manifestent dans les rues ; on voit des clubs s’ouvrir pour eux. Ils sont beaucoup plus nombreux qu’en France. On trouve beaucoup de débats sur ce thème. J’ai vu une émission à la Télévision marocaine où on avait mis en face à face un chrétien libanais et un imam. Le chrétien était furieux contre les hommes qui sont devenus des femmes et des femmes qui sont devenues des hommes. Tous les deux étaient hostiles à l’homosexualité.
On avait posé au chrétien libanais la question de savoir ce qu’il ferait si l’un de ses enfants devenait homosexuel ; il a répondu : « Je le prendrais à part. Je lui dirais ‘si tu reviens à Dieu, il te pardonnera’. Ensuite je le surveillerais. » Le musulman était d’accord. On a aussi, dans l’émission, parlé d’une personne qui était bisexuelle de naissance. A l’âge adulte, on l’a opérée et elle est devenue homme. Le musulman a dit que, sur ce sujet, il y avait des fatwas contradictoires et que, par conséquent, chacun pouvait agir selon sa conscience.
Au Maroc, un homosexuel avait été malmené dans la rue mais le Roi est intervenu pour interdire la violence à l’égard de ces personnes. Cela n’a pas empêché d’autres agressions du même type. Dieu a créé l’homme, il a créé la femme : on ne doit pas changer ce que Dieu a voulu.
C’est discutable : on ne choisit pas d’être homosexuel. Beaucoup d’homosexuels se suicident quand ils entendent des réactions pareilles. Je connais un jeune homme qui a énormément souffert de se découvrir homosexuel au point qu’arrivé à la trentaine, il s’est suicidé.
Le journaliste, dans l’émission dont je parlais, disait la même chose. Les deux invités n’ont pas voulu l’entendre. Dans l’émission de TV au Maroc, l’un des deux a dit : « Il faut les ramener à Dieu et Dieu les mettra sur le bon chemin. » Si on ne réagit pas, il n’y aura plus de reproduction. Tout cela n’est pas normal. J’ai entendu parler d’un homme marié qui a laissé sa femme et ses enfants pour partir avec un copain.
Il y a un groupe de chrétiens homosexuels – il s’appelle « David et Jonathan » – qui s’aident à vivre du message de Jésus, compte-tenu de leur originalité. Ils protestent pour dire que cela n’a rien à voir avec le fait de suivre Dieu.
Tu ne peux pas changer ta religion. C’est Dieu qui a fait les religions. Voilà ce que, nous, on croit. Mais nous ne sommes pas des spécialistes. Pour en savoir plus, il faut t’adresser à un spécialiste du Coran.
Des musulmanes de « la Caravelle »
Propos recueillis par Christine Fontaine