L'Au-delà des terroristes
Saad Abssi et Christine Fontaine
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A travers deux traditions spirituelles différentes, un musulman et une chrétienne portent un regard commun sur les événements tragiques de ces derniers mois.

La violence et l’Au-delà

L’Au-delà, aujourd’hui, n’est pas un thème abstrait ni un sujet de méditation. Cette croyance, présente à la fois en islam et christianisme, est au cœur des événements les plus dramatiques de notre temps.

Parlons des frères Bakraoui, Khalid et Ibrahim. Ils se sont rendus célèbres le 22 mars dernier à Bruxelles dans un attentat-suicide qui a entraîné la mort de 31 personnes. Ils avaient participé aux attentats du 13 novembre précédent où l’on a dénombré 130 morts et 413 blessés ! Une psychologue enseignante à l’Université de Nice, Amélie Boukhobza, s’est intéressée à leur histoire. Ces deux personnages ne pouvaient se considérer que comme des sujets perdus, n’ayant plus rien à attendre de la société. Le premier était un dangereux bandit  : il avait fait feu contre un policier lors d’un braquage. Au cours d’une perquisition qu’on avait opérée chez le second on avait trouvé une kalachnikov et les raisons ne manquaient pas de penser qu’il n’hésiterait pas à s’en servir. Les deux frères firent la découverte en prison d’un islam djihadiste. Ce fut pour eux un bouleversement.

Deux motivations entraînèrent leur conversion. Ils pouvaient alors regarder leur propre vie sans honte et accueillir le pardon de leurs crimes. Belle expérience de rédemption  ! Par ailleurs l’avenir pour eux pouvait bien être bouché, les regards de la société sur eux pouvaient bien être méprisants, puisqu’ils étaient tournés vers Dieu ils trouvaient la reconnaissance dont ici-bas ils étaient exclus. De plus le bonheur le plus concret était à portée de main. Il suffisait de traverser l’épreuve qu’on leur proposait pour entrer au paradis et, sans plus attendre, jouir dans l’au-delà d’un bonheur impossible ici-bas.

Victimes du mensonge

Des jeunes filles et des jeunes femmes font une expérience analogue. Au cours de l’assaut policier à St Denis, le 18 novembre dernier, deux femmes s’étaient retranchées dans l’appartement ; l’une d’elles a activé son gilet explosif. Beaucoup partent en Syrie, rejoindre l’Etat Islamique. Sur ces routes du jihad, les femmes françaises d’origine magrébine se retrouvent avec d’autres, d’origine européenne et parfois chrétienne. Ces dernières, en effet, font elles aussi l’expérience d’une conversion différente de celles des hommes d’origine musulmane : il s’agit de passer d’une religion à une autre. C’est sur internet et non dans les prisons qu’elles vivent une rupture étonnante. On leur dit que l’Occident veut écraser l’Orient ; elles apprennent qu’il est un pays où tout est pur. La loi est celle de Dieu et les femmes y jouent un rôle central : les combattants ont besoin d’elles. Pactiser avec l’Occident c’est marcher tout droit vers l’Enfer. Rejoindre l’Etat Islamique permet de marcher sur le chemin de Dieu.

Certaines d’entre elles ont réussi à s’échapper. A écouter leurs propos on devine leur désarroi devant la place qui leur est réservée là-bas, dans la ville de Raqqa en Syrie qui est la capitale de l’Etat islamique. On enferme en un même lieu les femmes célibataires, divorcées ou veuves. L’encadrement est dur à supporter. La correspondance avec les membres de la famille est interdite et les portables sont confisqués. Les seules distractions autorisées consistent à regarder des vidéos donnant à voir des scènes de barbarie. La seule issue pour sortir de ce cadre est le mariage mais accepter un époux c’est vivre l’expérience difficile de la polygamie, la surveillance d’un homme jaloux de son pouvoir sur ses épouses, l’accomplissement de tâches serviles.

On devine, à recevoir les témoignages de ces femmes, qu’elles ont le sentiment d’avoir été trompées. Mensonge que cette société où Dieu règne. Mensonge que la fraternité promise. Mensonge que la description idyllique de la situation faite aux femmes.

Il semble bien que le mensonge, en effet, soit à la racine des événements dramatiques que nous connaissons et qu’il touche à la révélation de l’Au-delà. La façon de vivre dans le pays gouverné par l’Etat Islamique n’est pas ce qu’en disent ses propagandistes et les promesses d’un paradis acquis au prix d’une violence barbare sont une tromperie diabolique.

L’enseignement des Ecritures

Que cette tromperie vienne de l’islam est étonnant quand on se souvient des relations de l’Emir Abd-El Kader avec la France et avec les chrétiens. Avec courage et intelligence celui-ci s’était efforcé de rejeter les forces françaises hors de l’Algérie : aux yeux de l’islam combattre pour sauver son territoire est une guerre sainte, un véritable djihad. Obligé de s’incliner devant ses envahisseurs il fut fait prisonnier avant d’être exilé en Syrie. Loin de considérer les chrétiens comme des impies à combattre, des kéfirs à écraser, il leur porta secours lorsqu’ils furent menacés par les Druzes à Damas, en 1860. La France et l’Église surent reconnaître la noblesse et la générosité de cette figure de l’islam. Ce vrai musulman savait qu’il ne pouvait, au nom de Dieu, mépriser ses ennemis. C’eût été mentir que de prétendre le contraire.

« Méfiez-vous de la fausseté parce qu’elle conduit à l’immoralité et l’immoralité conduit en enfer. » Ces paroles du Coran font apparaître la méprise dans laquelle l’État Islamique enferme ceux qu’on appelle les kamikazes. Ils sont persuadés qu’ils rejoignent Dieu en entrant dans le camp de ceux qui donnent la mort alors que musulmans et chrétiens sont appelés à reconnaître que Dieu veut la vie. Ils courent vers la mort pour entrer au paradis alors que le Coran prévient qu’ils prennent un chemin infernal. Quelle tragique erreur !

Le chrétien pour sa part reçoit de Jésus un avertissement du même genre. Aux Pharisiens qui croyaient honorer Dieu en tentant de mettre la main sur lui pour le conduire à la croix, Jésus faisait apparaître comme diabolique ce travail du mensonge qui aboutit à la mort : « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il profère le mensonge il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge. » (Jean 8,44-46).

Par-delà l’enfer et le paradis

Deux évidences s’imposent aux croyants qui tentent de réfléchir face aux événements tragiques que nous déplorons. On peut se demander où va cette société quand elle produit des sujets qui ne peuvent concevoir de salut que dans la mort. Par ailleurs les croyants doivent s’interroger sur l’image qu’ils donnent de Dieu. Celui-ci n’est pas d’abord un juge qui punit ou récompense, qu’il faut craindre et dont on peut implorer la miséricorde. Une mystique musulmane du 8ème siècle, Rabiha, l’avait bien compris. Elle se promenait dans les rues tenant un seau d’eau dans une main et une torche allumée dans l’autre ; elle voulait, disait-elle, éteindre le feu de l’Enfer et brûler le Paradis. On ne rejoint Dieu en vérité qu’en dépassant l’espoir d’une récompense ou la peur d’un châtiment. Saint Paul développe une conviction analogue : ce ne sont pas nos actes qui nous rendent justes devant lui. Il n’est de vie spirituelle que dans la grâce, c’est-à-dire dans la gratuité !

Saad Abssi et Christine Fontaine


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