Le message du musulman marque les corps ! Le contact avec le monde musulman pose des questions que Mohammed Benali n’esquive pas.
Le corps a sa place dans la prière musulmane ; peut-on la décrire ?
Le corps est orienté vers la Mecque. On compte cinq moments pour la prière : l’aube, la mi-journée, l’après-midi, le coucher du soleil, le soir. Quatre positions se succèdent : debout, inclinaison, prosternations, agenouillement. La prière peut avoir lieu à la mosquée ; c’est recommandé mais ce n’est pas nécessaire.
Les ablutions ont une grande place en islam ; qu’est-ce que cela signifie ? En quoi cela consiste ?
Pour parler des ablutions, il faut comprendre ce que représente la pureté et l’impureté en islam. Cela n’a rien à voir avec le péché. C’est la situation de notre corps entrainée par certaines nécessités indépendantes de la volonté. Tout ce qui sort du corps rend impur, le fait d’aller aux toilettes ou de vomir, par exemple. Tant qu’on n’a pas fait les ablutions on n’a pas la possibilité d’entreprendre le jeûne ni de faire la prière ou de toucher le Coran. Pour comprendre cette pratique, on peut songer aux obligations auxquelles il convient de se soumettre dans certaines circonstances. On change de vêtements lorsqu’on va visiter certaines personnes, un notable ou un préfet : notre corps traduit alors notre respect. Quelque chose de semblable se produit quand on s’approche de Dieu ; l’obligation des ablutions permet de se présenter devant Lui comme il convient.
Le Coran précise comment procéder : « Lorsque vous vous disposez à la prière, lavez vos visages et vos mains jusqu’aux coudes, passez les mains sur vos têtes et vos pieds jusqu’aux chevilles. » Les gestes s’accompagnent de prosternation et supposent qu’on soit tourné vers la Kaaba.
On distingue deux sortes d’impuretés ; les impuretés mineures. Le sommeil rend impur ; le contact de certains objets, par exemple une bouteille de vin ou certains animaux comme le porc ou le chien appelle purification. Les menstrues féminines ou les rencontres conjugales font partie des impuretés considérées comme majeure : elles appellent un bain complet.
N’y a-t-il pas quelque chose d’artificiel dans ces pratiques ? Pourquoi enfermer la prière dans un rituel rigoureux ?
Il faut pratiquer soi-même ces manières de faire pour percevoir l’effet qu’elles produisent. Le fait de s’interroger sur notre situation, en ce qui concerne l’impureté rituelle, s’accompagne d’une conscience de la présence incessante de notre créateur : où en suis-je devant lui ? Je le laisse pénétrer dans la conscience que j’ai de moi-même.
Par ailleurs la prière n’est pas enfermée dans le cadre des cinq rendez-vous quotidiens. En réalité la prière ne se réduit pas à ces pratiques. « Qu’on soit debout, assis ou couché – dit le Coran – on peut prier. » Les cinq prières célèbrent les louanges d’Allah. Par ailleurs le Coran invite à invoquer le Seigneur. Le croyant est invité à se tourner vers Lui : Il écoute et il répond. Le Prophète a dit : « Mon Seigneur est proche… » Dieu lui-même a dit au Prophète : « Je suis proche et je réponds à l’appel de celui qui m’invoque. » On appelle « douwa » ces invocations où on demande à Dieu de pardonner nos fautes, de rendre la santé à des malades, de protéger ceux qu’on lui confie, etc… Il est une autre forme de prière qu’on appelle « dikhr » ; elle consiste à prononcer et à répéter en arabe des phrases du Coran en les psalmodiant. Puisque le Coran est la parole que Dieu a prononcée pour nous rejoindre, le fait de se pénétrer des mots que le Prophète a transmis est une manière de nous rendre physiquement proches du Créateur.
Qu’en est-il de la morale sexuelle en islam ?
La distinction entre le corps masculin et le corps féminin va de soi en Islam ; elle est voulue par Dieu. La théorie du genre dont on parle à notre époque est inconcevable à nos yeux.
Il est difficile de parler de la morale sexuelle à partir de ce qu’en dit le Coran. Le Livre fait allusion à des situations de société qui n’ont plus cours maintenant ; il distingue, par exemple la relation des hommes à l’égard des femmes libres de la relation des hommes à l’égard des esclaves : la condition de servitude a disparu. On reproche à l’Islam de pratiquer la polygamie ; en réalité le Coran, en autorisant à n’avoir que quatre épouses, mettait un frein à une situation de société où l’homme pouvait s’unir à autant de femmes qu’il lui plaisait. L’islam ouvrait ainsi la voie à l’émancipation féminine. Dans beaucoup de pays la polygamie est en voie de disparition. Elle peut se justifier en certaines circonstances. Si, par exemple, dans un couple, une maman de plusieurs enfants, victime d’un accident, est handicapée et ne peut plus faire face à sa tâche, il peut être bon d’accueillir une autre épouse pour prendre soin des enfants et assumer les obligations d’une maîtresse de maison. Il faut préciser que cette décision ne peut être prise sans l’accord explicite de la première épouse.
L’union entre l’homme et la femme est interdite en-dehors du mariage. Dans notre pays il faut distinguer entre le mariage civil et ce qu’on appelle « le mariage par Fatiha ». Dans le premier cas, il s’agit d’une reconnaissance de la société ; dans le second cas il s’agit d’une reconnaissance par l’islam. Il est vrai qu’en France le mariage religieux ne peut être célébré avant le mariage civil. En l’occurrence, un couple uni par un « mariage par Fatiha », aux yeux de la société française est considéré comme un couple en cohabitation. Ce qui, en France, est tout-à-fait autorisé.
Aux yeux de l’islam, le mariage doit déboucher sur une descendance ; le fait d’avoir beaucoup d’enfants est considéré comme une bénédiction de Dieu. Lorsqu’un couple est empêché d’accueillir un nouvel enfant, par exemple lorsque les conditions de logement sont trop étroites ou lorsque la santé de la femme est en cause, la limitation des naissances est autorisée. Il en va de même pour l’avortement. Celui-ci est, en principe, interdit mais lorsque les circonstances l’obligent, il est autorisé jusqu’au quatrième mois. Le fœtus, en effet, n’est considéré comme humain qu’à partir de ce moment ; le Coran révèle que Dieu insuffle l’âme à partir du 120ème jour. Lorsque l’accouchement est difficile on sauve la vie de la mère avant celle de l’enfant.
L’union sexuelle est interdite en-dehors du mariage religieux. Elle est également impossible entre personnes du même sexe. Dans les pays musulmans, l’adultère est puni.
Que signifie le fait de circoncire les garçons ?
Plutôt qu’une obligation, à propos de la circoncision, mieux vaut parler d’une coutume qui s’impose à tous les musulmans dans tous les pays. On peut circoncire les enfants dès le plus jeune âge et, en tout cas, avant la puberté ; c’est un signe, inscrit sur le corps, d’appartenance à l’Oumma, c’est-à-dire à la communauté musulmane. La circoncision s’accompagne d’une fête. Il est étrange de constater qu’il n’est pas rare, en France, de désigner cet événement par le mot « baptême » emprunté au christianisme.
Il faut noter que cette pratique n’est justifiée par aucun enseignement du Coran. Il s’agit d’une pratique qui remonte avant l’avènement de l’islam.
Lorsqu’une femme consulte un homme médecin, elle refuse souvent qu’on la touche. Lorsqu’un homme salue une femme elle refuse parfois qu’on lui prenne la main. N’est-ce pas le signe qu’aux yeux de l’islam le corps de la femme est « intouchable », méprisable, impur ?
Qu’une femme refuse d’être touchée par un médecin masculin ou qu’elle refuse de serrer la main d’un homme, relève surtout de la pudeur. En réalité, même s’il n’est pas conseillé, ce genre de contact entre les corps n’est pas interdit. A ceux qui seraient tentés de penser qu’en islam le corps de la femme est objet de mépris, il faut rappeler que, s’il désigne la communauté des musulmans dans sa totalité, le mot Oumma signifie d’abord « la matrice ». Comment mieux faire entendre la noblesse du corps féminin ?
Vous avez fait allusion à la condamnation de l’adultère ; c’est l’occasion de vous interroger sur le mépris du corps humain dans le code pénal musulman. On ampute les mains des voleurs, on fouette les personnes qu’on a entendu chanter, on lapide les femmes adultères, on égorge ceux que l’on considère comme impies. Comment peut-on justifier pareille barbarie ?
Les faits que vous soulevez, en vérité, sont barbares. Ils font honte au plus grand nombre des musulmans de France.
Mais rappelez-vous que l’Occident, au cours de son histoire, a eu, dans un prétendu souci de justice, des comportements aussi cruels ; Voltaire a dénoncé le fait de rouer les suspects pour obtenir des aveux et de brûler vifs les coupables sur la place publique. Les personnes qui ont vécu la guerre d’Algérie ont été témoins des pratiques cruelles pour obtenir des renseignements. Plus récemment les Américains, à la prison Abou Ghraïb en Irak ou à Guantanamo, ont fait subir aux prisonniers des traitements dont on n’ose même pas parler tant ils heurtent la conscience.
Aujourd’hui les pratiques dont vous parlez sont le fait des troupes de DAESH qui prétendent se justifier en se référant au Coran. Elles oublient que la lecture des condamnations de l’adultère dans le Coran a fait l’objet de réflexions et de mesures très différentes selon les lieux et les époques. En réalité le Coran donne lui-même la clef pour comprendre les textes. Dans le Livre, après le mot « Tawhid » - qui concerne l’unicité de Dieu – celui de « wasat » est le plus important. Il est difficile à comprendre : il désigne la manière de tenir en même temps deux termes contraires ; on traduit la plupart du temps par « juste milieu » mais ce n’est qu’une approximation. En ce qui concerne les comportements dont vous parlez, il s’agit de tenir en même temps les exigences que vous connaissez et la manière de vivre de l’époque et du pays qui nous accueille. Cela suppose que nous respections en même temps la justice du pays où nous vivons et le comportement qui fait des musulmans. Il n’est pas question de punir qui que ce soit mais d’aider à reconnaître que tel ou tel comportement, aux yeux des musulmans, est un péché dont il faut se détourner.
A propos de la place du corps en islam, chaque période de Ramadan est une épreuve pour tout le pays. Nous connaissons, à « La Maison Islamochrétienne », un médecin d’origine européenne qui travaille, en hôpital, avec des confrères venus du Maghreb. Dès le début de l’après-midi, les jours de Ramadan, il faut faire le travail des médecins musulmans. Leur fatigue serait un danger pour les malades. Ceci, bien sûr, est vrai pour toutes les professions. L’obligation du jeûne est une gêne dans une société comme la nôtre.
Il ne faut pas avoir peur de faire entendre cette difficulté ; cela devrait amener les musulmans à mieux contrôler leur manière de vivre en se reposant chaque fois que c’est possible, en évitant de prolonger les veilles, en se nourrissant juste avant l’aube quitte à se rendormir ensuite. Peut-être faut-il veiller aussi à prendre ses vacances en période de Ramadan. Là aussi, la « wasa » doit fonctionner : à chacun de trouver le moyen de concilier des exigences opposées.
Ceci dit, le jeûne du Ramadan est une manière de contester une société où la consommation fait loi. Notre époque est le fruit d’un libéralisme qui, il faut bien en convenir, met à l’écart des millions de personnes. L’obligation du jeûne permet de ressentir en son corps la faim dont souffrent tant d’hommes, de femmes et d’enfants dans notre pays et partout dans le monde. C’est pour cela qu’il s’accompagne de ce qu’on appelle la « zakat » qui est une sorte d’impôt qui permettra aux plus pauvres de se nourrir copieusement lors de l’Aïd ; ce jour-là personne n’a le droit d’avoir faim.
Est-ce que le jeûne n’est pratiqué que pendant le ramadan ?
Loin de là : c’est une pratique qui fait partie de ce que l’on appelle les cinq piliers de l’islam. On y recourt, par exemple, pour compenser une obligation qu’on n’a pas pu remplir. Il est recommandé lors de certains jours de la semaine mais strictement interdit lors des deux fêtes de l’Aïd. C’est un moyen de plaire à Dieu. Beaucoup de musulmans, lorsqu’ils en ont la possibilité, prolongent le Ramadan lors du mois suivant (Shawall). On affirme que ce jeûne, dans la mesure où il n’est pas obligatoire, a beaucoup plus de prix aux yeux de Dieu.
Lorsque le corps est abîmé par la maladie, par des blessures ou par un handicap, quel est le comportement du musulman ?
Le Coran aborde le sujet en évoquant à plusieurs reprises la figure de Job que les juifs et les chrétiens connaissent aussi. Job, au cœur de sa souffrance, ne s’est pas révolté contre Allah. Bien au contraire, il s’est tourné vers lui. On rapporte une belle prière : au cœur de son malheur, Job supplie Dieu de lui garder la langue pour pouvoir continuer à le louer. Le musulman considère qu’en butant sur le mal, il est mis par Dieu face à une épreuve qu’il a à surmonter. Saura-t-il, malgré la tentation du repli sur soi, se tourner vers Dieu pour s’abandonner à lui ?
En conclusion, pourriez-vous dire, en quelques mots, la place que tient le corps en islam ?
Dès qu’un enfant sort du corps de sa mère il est comme enveloppé dans la parole de Dieu. A sa naissance on chuchote à ses oreilles les mots de l’appel à la prière et ceux de l’entrée dans la prière : le nom d’Allah imprègne ainsi le subconscient du bébé. Ce n’est qu’ensuite qu’il reçoit un prénom. Le corps du défunt, lui aussi, est entouré d’un immense respect. Il est lavé selon un rituel précis avant d’être entouré d’un beau linceul ; lors du chemin qui conduit à la tombe on observe un silence solennel et, en enfouissant le corps en terre on l’entoure encore de paroles du Coran. De la naissance à la mort le corps est considéré comme sacré. C’est pourquoi l’homicide est interdit : « N’attentez pas à la vie du prochain que Dieu a faite sacrée » (Sourate 17,33).
Mohammed Benali
Propos recueillis par l’équipe de rédaction