La jeune femme qui livre ce témoignage a grandi à La Caravelle.
On peut la considérer comme privilégiée :
elle est capable de raconter la traversée héroïque qui s’impose à bien des familles.
Nombreux sont celles et ceux qui, dans les cités, n’ont pas la culture nécessaire pour cela.
J’avais onze ans
J’ai 24 ans. Originaire du sud du Mali, j’avais 11 ans quand je suis arrivée à La Caravelle en l’an 2000. J’entrais en 6ème. J’y suis restée jusqu’à 2006 ; je venais d’Asnières où je résidais depuis l’âge de 2 ans. Nous étions huit dans un appartement minuscule, insalubre et dangereux. Nous étions top serrés les uns sur les autres. C’était un duplex. L’escalier était dangereux. On avait déjà eu plusieurs accidents. Depuis 1989 on avait fait une demande de logement à la Mairie d’Asnières. Autour de ma mère, nous étions sept enfants : quatre filles et trois garçons. Mon grand frère, aujourd’hui, a 32 ans ; je viens après lui. Ma sœur Hawa a 23 ans. Kama, mon frère, a 21 ans. Gunndo a 18 ans, Cécou en a 16 et Hawa, la petite dernière, a 11 ans. Nous sommes tous nés en France.
A Asnières, au départ, nous n’étions que quatre. Mais ma mère a eu ensuite trois autres enfants. On ne tenait plus dans cet appartement minuscule et l’escalier devenait de plus en plus dangereux. Ma mère avait toujours peur pour nous. Elle a entendu dire qu’à Villeneuve-la-Garenne il y avait des appartements vides. Le bâtiment avait brûlé. Plusieurs personnes étaient rentrées car la porte était ouverte à cause de l’ incendie; les gens en ont profité pour s’installer, nous aussi. On a squatté un F4. Un monsieur nous a ouvert la porte ; c’était un professionnel. Il devait travailler au service de la cité, me semble-t-il. Il aidait les familles en difficultés comme la nôtre à squatter les appartements libres. Ma mère a tenu, dès le début, à payer le loyer. Au départ, le gardien refusait. Il ne voulait pas nous considérer comme des locataires. Par la suite, il a accepté. Ma mère en a gardé les preuves ; elle rangeait soigneusement tous les reçus. On payait 390 €, si je me souviens bien. C’était lourd pour ma mère qui était seule à rapporter de l’argent ; elle travaillait comme femme de ménage.
Mon adolescence à La Caravelle
J’ai bien aimé La Caravelle. J’y ai passé mon adolescence. J’allais chez vous pour le soutien scolaire et je participais à vos sorties. Vous aviez toujours des activités nouvelles à nous proposer.
Pour le logement, nous nous sommes tournés du côté de la Mairie qui a refusé de nous aider. Ils nous rappelaient que nous n’avions pas le droit de rester où nous étions et qu’on allait nous expulser. Ils prétendaient qu’ils cherchaient des appartements pour nous loger mais qu’ils n’en avaient pas de suffisamment grands pour une famille nombreuse comme la nôtre. Nous avons entrepris de nombreuses démarches et, comme ma mère ne sait pas écrire, c’est moi qui me suis chargée de tout le courrier, depuis la 6ème. J’en ai fait des démarches, vous vous en souvenez !
Le Maire nous avait rassurés en nous promettant que nous ne serions pas expulsés. Je suis partie en vacances au Mali. A la fin de l’été, au moment de la rentrée scolaire, la catastrophe a eu lieu. Ma mère avait été au tribunal pour une affaire de famille. J’avais eu un accident au Mali et je ne pouvais plus marcher tellement j’avais mal. Quand je suis arrivée, on avait mis les scellés. Ils avaient posé sur la porte un papier : « Avis d’expulsion » et l’adresse d’un huissier à contacter. Oh ! J’étais vraiment en état de choc ! Quand ma mère est arrivée, elle m’a rassurée et m’a dit de ne pas paniquer. Le serrurier qu’elle a appelé tout de suite lui a affirmé qu’il ne pouvait rien faire et la mairie nous a fait savoir qu’elle ne pouvait rien pour nous : « Cherchez une solution dans votre famille ! ». Ma sœur était enceinte et prête à accoucher. C’est votre association qui nous a sauvé la vie en nous disant de dormir dans votre local ; vous avez mis des matelas sur le sol qu’il fallait ranger le matin. Sans vous on était à la rue. Le lendemain j’ai été hospitalisée à cause de l’accident que j’avais eu au Mali et je suis restée à l’hôpital pendant plusieurs semaines, près de deux mois. A mon retour la situation n’avait pas changé.
J’entrais en seconde
Finalement la Mairie avait trouvé pour nous un F4 mais, en même temps, l’entreprise où travaille ma mère lui proposait un F6, dans le cadre du 1% patronal, à Limay. C’était loin, du côté de Mantes la Jolie. Cela posait des problèmes pour notre scolarisation mais cela donnait à ma mère la possibilité de retrouver les trois plus jeunes de ses enfants ; on les lui avait retirés sous prétexte que nous n’avions pas assez de place pour les loger correctement.
J’entrais en seconde. Le collège m’avait orientée vers la comptabilité au Lycée de Courbevoie. L’année scolaire était bien entamée : j’ai continué. Il fallait prendre un bus, puis un car : deux heures à l’aller, deux heures au retour. La première année, j’ai réussi à faire face. Mais l’année suivante, cela a été très dur ! J’ai eu des problèmes de santé et j’avais de nombreux rendez-vous médicaux. J’ai lâché prise et je n’ai pas été reçue à mon examen. J’ai pu faire une formation commerciale. L’entreprise de ma mère m’a embauchée en interim.
J’habite à Montfermeil !
J’ai rencontré un Français de la Réunion avec qui je vis. Nous habitons un appartement à Montfermeil dans une résidence de la zone pavillonnaire. Nous avons eu un garçon qui a un an. Le père de mon fils travaille mais, de mon côté, je suis toujours en chômage : je cherche. La vie est dure ; nous payons 830 € de loyer par mois ! C’est trop pour nous. J’ai fait une demande de logement et de crédit-bail. J’aurai la réponse en avril.
Il faut que je dise « merci » à ma mère ; elle a été courageuse. Sans elle nous aurions été enlevés par la DDASS. Elle s’est vraiment battue pour nous. Elle ne sait ni lire ni écrire ; elle parle très mal le français mais je lui dois tout.
Aminata Doucouré