Soulignant la dimension éthique, Mustapha
Cherif nous invite à voir que Dieu se mêle de
la nourriture des hommes pour les aider à
« acquérir des habitudes » importantes pour
l’équilibre de la vie dans ses trois dimensions
fondamentales : physique, spirituelle et sociale.
L’islam énonce une éthique au sujet de la nourriture. Le but est
de préserver la santé de l’humain et de rendre un hommage
au Créateur pour ses dons. Les prescriptions alimentaires sont
claires et limitées. Formulées par le Coran elles sont explicites :
« Nourrissez-vous de ce que Dieu vous a attribué de licite et de
bon. Et soyez reconnaissants pour les bienfaits de Dieu, si c’est Lui
que vous adorez. » (16-114 ) Se nourrir n’est pas anodin ou superflu,
c’est un acte qui permet de bien vivre, de participer à l’adoration et
à l’harmonie du monde. Le Transcendant, l’Absolu, Dieu, n’abandonne
pas l’humanité. Il veille sur elle, y compris au sujet de la
nourriture.
Le licite et l’illicite
Il lui indique ce qui est licite. La nourriture licite, « halal », est
bénéfique pour la santé et marquée par le sceau du rite. Nous ne
pouvons pas consommer n’importe quoi. La viande, notamment, est halal s’il s’agit d’animaux autorisés et abattus rituellement en
prononçant la formule : « Au Nom de Dieu, Dieu est Le plus
Grand » en s’orientant vers la Mecque. Tous les produits de la
pêche sont autorisés s’ils sont pris vivants. le Prophète précise que
« l’eau de mer est pure et que ce qui y vit est licite ». Le Coran
énonce : «Le gibier de la mer et la nourriture qui s’y trouve vous
sont permis » (5-96)
Le Coran fixe les aliments illicites : « Vous sont interdits la bête
trouvée morte, le sang, la chair de porc, ce sur quoi on a invoqué
un autre nom que celui de Dieu, la bête étouffée, la bête assommée
ou morte d’ une chute ou morte d’ un coup de corne, et celle
qu’ une bête féroce a dévorée - sauf celle que vous égorgez avant
qu’ elle ne soit morte -. Vous sont interdits aussi la bête qu’ on
a immolée sur les pierres dressées, ainsi que de procéder au partage
par tirage au sort au moyen de flèches. Car cela est perversité.
Aujourd’hui, les mécréants désespèrent de vous détourner de votre
religion: ne les craignez donc pas et craignez- Moi. Aujourd’hui,
J’ai parachevé pour vous votre religion, et accompli sur vous Mon
bienfait. Et J’agrée l’Islam comme religion pour vous. Si quelqu’un
est contraint par la faim, sans inclination vers le péché... alors, Dieu
est Pardon et Miséricordieux. »
Le dernier segment de ce verset montre que la vie est sacrée et
que se nourrir est un droit et un devoir, confirmé par un autre
verset : « A l’égard de celui qui, durant une famine, serait contraint
de consommer des aliments interdits sans vouloir commettre de
péché, Dieu est celui qui pardonne, Il est miséricordieux » (5-3)
Les interdits sont l’exception. En plus du porc, sont donc strictement
interdits les animaux sauvages et nécrophages, carnassiers,
omnivore et carnivore. Nous ne pouvons pas manger n’importe
quoi. On ne peut pas consommer des animaux sauvages, ou une
nourriture impropre, ni pratiquer des actes contre nature, au point
de susciter des virus et des maladies mortelles. La vie a ses règles.
Les médecins le savent. La grave crise planétaire actuelle du coronavirus
le montre.
Les permissions sont la règle : « O gens, de ce que produit la terre,
mangez ce qui est licite et ce qui est bon » (2-168 ). L’islam invite
à honorer la vie et à consommer les bienfaits, comme les céréales,
les fruits et légumes : « Et rappelez- vous quand vous dîtes: « Ô
Moïse- Moussa, nous ne pouvons plus tolérer une seule nourriture. Prie donc ton Seigneur pour qu’ Il nous fasse sortir de la terre ce qu’
elle fait pousser, de ses légumes, ses concombres, son ail, ses lentilles
et ses oignons ! » ( 2-61 )
Les prescriptions coraniques, comme vision du monde, visent à acquérir
des habitudes et des comportements permettant de sauvegarder
la santé humaine et la planète. Le bonheur ne doit pas avoir lieu
au détriment du monde. Le discours coranique exige le respect de
l’ordre naturel, des animaux, de l’eau, des arbres, des plantes et de
la biologie.
Écologie et vertus de la nourriture
Le Coran se veut « Guérison », shifâ’ au sens propre et figuré. Son
écoute apaise les coeurs des croyants, et en termes naturalistes, il fait
l’éloge des nourritures bénéfiques pour la santé : « Par le figuier et
l’olivier » (95-1). Il cite le miel, les dattes, le lait et nombre de fruits
et légumes aux propriétés et vertus médicinales. Le Prophète recommande
nombre de fruits, de plantes et de légumes pour la santé. Le
père de la médecine moderne est le savant musulman Avicenne (Ibn
Sina). L’islam allie finalités spirituelles et sciences. Il recommande
la mesure et l’équilibre dans la façon de se nourrir, vu les conséquences
: « Mangez et buvez, évitez les excès, Dieu n’aime pas les
gens qui dépassent les limites ». (7-31)
Dans ce sens, l’islam est une invitation à l’éthique écologique.
L’abondance des sujets sur l’économie environnementale, traités
par le Coran est exceptionnelle : la création, l’astronomie, la
terre, le règne animal et végétal, la reproduction humaine, l’eau,
la lumière. Il éveille à apprécier les biens de ce monde : « Que
l’homme considère donc sa nourriture, c’est Nous qui versons
l’eau abondante, puis nous fendons la terre par fissures et y faisons
pousser grains, vignobles et légumes, oliviers et palmiers,
jardins touffus, fruits et herbages pour votre propre jouissance et
pour vos bestiaux » (80-24-32).
Il fait nettement allusion à la logique de la préservation de la création,
qui renforce la théorie écologique moderne : « à partir de l’eau,
Nous avons constitué toute chose vivante...» (21-30). L’islam met
l’accent sur la consommation mesurée afin de ne pas porter atteinte
aux bienfaits de la nature. Il explique que l’eau et les denrées naturelles
c’est la vie, il ne faut pas les gaspiller.
Le Coran se fonde sur des principes naturalistes, y compris
lorsqu’il décrit les courants marins : « Il a donné libre cours aux
deux mers pour se rencontrer, il y a entre elles un isthme qu’elles
ne dépassent pas. » (55-19).
Le Coran de manière naturaliste démontre que la terre tout entière
est un lieu unique à ne pas dilapider. Une culture sanitaire est formulée
: « La propreté fait partie de la foi », parole significative du
Prophète. Faire les ablutions cinq fois par jour sans gaspillage et
retirer ses chaussures avant de rentrer dans un lieu de prière sont des
signes de l’importance accordée à l’hygiène et au milieu sain.
Le Coran offre une vision intégrée de l’Univers, où l’humain et la
nature sont liés, pour former une partie intégrante d’une conscience
vivante. L’homme doit veiller à la préservation de la nature, don de
Dieu. La libération de l’humanité est liée aussi à la remise en cause
des conditions d’exploitation outrancière de la terre. Sauver la planète
et l’humanité des menaces est un mot d’ordre éthique que tout
musulman conscient doit garder en vue.
Se nourrir, jeûner et partager
Le quatrième pilier, le jeûne, concerne autant l’éthique spirituelle
que sanitaire. C’est une tradition ancienne: «Vous qui croyez, le
jeûne vous a été prescrit, comme à ceux qui vont ont précédés...»
(2-183). Il se pratique principalement durant le mois du Ramadan.
Le jeûne dévoile intérieurement les dispositions du croyant à maîtriser
ses désirs et ses passions. Il ne s’agit pas de simples privations.
Le Coran attribue au jeûne une forme de perfection et de discipline
de l’âme.
Maîtriser les désirs, les besoins, les penchants, les fonctions biologiques,
pour un croyant, c’est donner de la hauteur de vue à l’âme.
Celle–ci ne doit se laisser enliser, entraîner dans les affres des
méandres de la vie terrestre. Cela permet d’apprécier la nourriture,
après l’abstinence, et de penser aux nécessiteux.
Jeûner le jour puis se nourrir le soir c’est marquer la supériorité de
l’âme sur le corps, sans rien négliger, ni opposer. Le Coran ordonne
aux croyants de jeûner, en précisant qu’il appartient à Dieu. « Celui
qui subsiste par Lui-même », n’a pas besoin du jeûne des croyants.
L’humain doit maîtriser ses besoins, partager et prouver qu’il le
fait par amour, pour approcher le Créateur. Jeûner, c’est vouloir
atteindre une qualité et être solidaire des pauvres, pour dépasser
la condition humaine.
Cet acte est pacificateur, est réalisé pour vivre une expérience
spirituelle unique. Le jeûne est un secret intérieur pour Dieu, qui
est le seul à connaître sa réalité chez le jeûneur. Le « jeûneur »
est celui qui vit pleinement cet état, et non celui qui a faim et
soif. Même si cette réalité naturelle ne peut être niée, elle doit
être dépassée.
Les auteurs musulmans traitent de toutes les formes de relation,
y compris de celles avec les animaux de toutes espèces, sauvages
ou domestiques et de l’écologie qu’il faut préserver et respecter.
De la relation verticale avec Dieu dans le cadre de l’adoration,
‘ ibâda, et de l’horizontale comme Adab, éducation, avec toutes
les créatures, signes du Divin.
Il ne s’agit pas seulement d’assiettes et de mets. L’éthique
de la nourriture se veut complète et précise. Les enjeux sont
majeurs : le bonheur, la santé sur terre et le salut dans l’audelà
selon une triple dimension : physiquement être en bonne
santé, spirituellement communier, se réaliser intérieurement
et socialement partager, être juste avec autrui, pour sauver
son âme.
Un jour on demanda au Prophète ce qu’il y a de meilleur dans
l’Islam, celui-ci répondit : « C’est de nourrir celui qui a faim et
de dispenser le salut de paix, aussi bien aux gens qu’on connaît
qu’aux inconnus ».
Rendre la vie aisée est un des buts de la religion précise le
Prophète : « La religion est facile à observer. Que nul ne cherche
une rigidité dans son accomplissement car il pourrait succomber
à l’effort. Respectez le juste milieu en essayant de vous rapprocher
de l’idéal. »
Pr Mustapha Cherif,
philosophe, dernier ouvrage
L’ émir Abdelkader, apôtre de la fraternité, éditions Odile Jacob.