Présentation du livre
« L’Eglise en question », nous parle d’une expérience de réelle coresponsabilité vécue, pendant douze ans, dans une paroisse de la banlieue parisienne par un prêtre et une théologienne laïque partageant l’animation de la communauté. Les fidèles organisent
un « Groupe de concertation », s’expriment et participent aux orientations et aux décisions.
Le Père Joseph Moingt est venu les accompagner à la demande de Michel. Il était présent tout au long des douze ans qu’a duré cette expérience, mais n’imposait rien, et même ne se considérait pas comme leur « conseiller ». Il était dans l’esprit d’ouverture de l’époque : le théologien voulait sortir d’une vie recluse pour « regarder, écouter, sentir le nouveau cours des choses ».
Les expériences que nous présente ce livre montrent ce qu’aurait pu être une Eglise ouverte sur son temps, une Eglise inclusive. Il nous fait ressentir aussi la brutale fermeture due à la politique de Jean-Paul II. On y voit aussi comment cette Eglise est capable d’abandonner sans secours ceux qui sont à son service mais qu’elle rejette, et quelle souffrance elle peut infliger à ceux qui préfèrent l’Evangile à la discipline ecclésiastique. Pourtant aucun des deux protagonistes ne renie l’Eglise, même si, après réflexion, Christine Fontaine en donne une acception plus porteuse d’avenir que le repli identitaire.
Joseph Moingt a préfacé ce livre : il explique le regard nouveau qu’il avait porté à cette époque sur la manière dont les fidèles catholiques vivaient leur foi, au milieu du monde, et dont l’Eglise pouvait être un espace de vie et de partage fraternels. La vie de Michel Jondot, les expériences qui sont relatées dans ce livre, les réflexions, tant celles de Michel que de Christine, sont d’une actualité saisissante. Elles méritent d’être connues, pour maintenant et pour la suite.
Prologue par Christine Fontaine
Une histoire de coresponsabilité réelle entre prêtre et laïcs
Ce livre propose un regard sur presque un demi-siècle du catholicisme en France à partir d’une expérience très limitée : celle d’un prêtre en région parisienne – Michel Jondot – et la mienne, laïque et théologienne.
Michel Jondot est né en 1932 et décédé en juin 2019. Il a été ordonné prêtre en 1961, à la veille du Concile Vatican II. Il fut vicaire, professeur dans deux séminaires, aumônier de lycées et collèges, curé d’une paroisse puis chargé pour le diocèse de Nanterre du dialogue islamo-chrétien. Il était le premier à reconnaître que ces engagements n’avaient rien d’exceptionnel, même si l’on ajoute qu’il fut docteur en théologie et devint spécialiste de l’islam. Sa vie serait une vie bien ordinaire si elle ne représentait pas un certain style : celui d’une Église qui se fait conversation. En 1964, le pape Paul VI écrivait : « L'Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole ; l'Église se fait message ; l'Église se fait conversation. » La conversation représentait pour Michel un art de vivre, de s’écouter et de se parler. En un mot de communiquer. Un dialogue suppose que l’on n’exerce sur l’autre aucune volonté de puissance. Michel était l’ennemi de tout paternalisme.
J’avais vingt ans en mai 68. J’achevais des études de philosophie à la Sorbonne avant d’entreprendre un cycle de théologie à l’Institut Catholique de Paris. À l’issue de ces études, je rencontrais Monseigneur Delarue, évêque du diocèse de Nanterre pour qu’il m’aide à trouver une place où exercer mes nouvelles compétences. Il me conseilla de travailler dans une paroisse dont Michel venait d’être nommé curé. D’entrée de jeu, je dis à Michel : « Si vous attendez que je vienne vous faire la vaisselle ou si vous voulez vous décharger sur moi de ce que vous n’avez pas envie de faire, je ne suis pas la personne qui convient… » Il pouvait me repousser… Depuis nous n’avons jamais cessé de travailler ensemble : un prêtre et une laïque réunis dans un même service et un même amour de l’Église, sans aucune supériorité de l’un sur l’autre ni confusion des fonctions.
"Ce qui est attendu aujourd'hui comme une nouveauté était possible dans le passé.
Aujourd’hui un grand nombre de catholiques réclament que la place des laïcs et en particulier celle des femmes soit enfin reconnue. Or ce qui est attendu comme une nouveauté était possible dans le passé. Pendant 12 ans, j’ai partagé la responsabilité d’une paroisse avec Michel et j’ai prêché en alternance avec lui au cours des messes dominicales. Mais notre collaboration aurait été stérile si elle n’avait éveillé le désir des autres baptisés. A la séparation entre clercs et laïcs s’en serait seulement substituée une autre : celle des « savants » - prêtres ou théologien(ne)s - s’opposant aux « ignorants ». Or, dans une paroisse, les personnes les plus diverses se rencontrent. Elles ont chacune une compétence professionnelle, humaine ou spirituelle. Elles composent le terreau humain qui permet de faire ensemble l’Église. Joseph Moingt, pendant 12 ans, est venu avec nous travailler cette terre. À la fin du mandat de Michel, des équipes bien rôdées étaient en place. Nous étions prêts à continuer l’aventure. Mais les temps avaient changé. Le refus de la part de la hiérarchie fut total. Depuis, rien ne s’est arrangé dans l’Église catholique de France. Au contraire. Ce qui était possible hier dans une paroisse de base l’est si peu aujourd’hui qu’on a même oublié que cela fut une réalité.
Si le Magistère n’a pas souhaité que demeure cette coresponsabilité entre prêtres et laïcs, il n’a eu aucun pouvoir sur la fraternité née de cette collaboration. Je ne parle pas seulement de Michel et de moi mais de tous ceux qui étaient et sont restés nos amis – ainsi que de tous ceux qui le sont devenus par la suite. Nous avons souffert d’être incompris mais nous avons aussi considéré cette marginalisation comme une chance. Sur les marges, nous avons pu inventer, créer des relations nouvelles, nous engager dans les combats de la société. Si l’on assimile la vie chrétienne à l’appartenance à une institution, force est de constater que beaucoup de nos amis ont quitté l’Église ou sont sur le point de le faire. Mais la plupart d’entre eux n’a pas perdu la foi pour autant. Michel est toujours demeuré en même temps fidèle et libre à l’égard du Magistère.
"Il s'agit d'accepter d'être faibles.
Que l’on soit ou non pratiquants, nous croyons qu’un Dieu est mort le Vendredi Saint sur la Croix : celui dont on pensait qu’il gouvernait le monde du haut de sa splendeur. Le Christ, à l’heure de sa Passion, renonce volontairement à exercer une quelconque domination sur l’humanité. C’est ainsi qu’il révèle un autre Dieu, demeuré caché depuis l’origine, un Dieu qui abandonne toute puissance. C’est ce nouveau visage de Dieu qui se révèle, par Jésus, au jour de Pâques : un Dieu humble et pauvre en quête seulement de notre confiance. De ce « langage de la Croix », nous nous voulons les héritiers. Aujourd’hui, nous continuons à croire que le Dieu de Jésus-Christ nous propose une aventure d’autant plus contemporaine que notre monde est trop souvent régi par l’individualisme, le goût du pouvoir ou celui de l’argent. Nous croyons aussi que c’est en abandonnant toute volonté de puissance – en son sein comme sur la société – que l’Église peut ressusciter. Michel de Certeau écrivait dans les années 70 : « La foi chrétienne est expérience de la fragilité, moyen de devenir l’hôte d’un autre qui inquiète et fait vivre ; (…) Il s’agit d’accepter d’être faible, d’abandonner les masques dérisoires et hypocrites d’une puissance ecclésiale qui n’est plus (…). Le problème n’est pas de savoir s’il sera possible de restaurer l’entreprise ‘Église’, selon les règles de restauration de toutes entreprises. La seule question qui vaille est celle-ci : se trouvera-t-il des chrétiens pour vouloir rechercher ces ouvertures priantes, errantes, admiratrices ? S’il est des hommes qui veuillent encore entrer dans cette expérience de foi, qui y reconnaissent leur nécessaire, il leur reviendra d’accorder leur Église à leur foi… »
Ce livre voudrait être un signe - parmi d’autres - qu’il en est encore certains pour qui cette expérience de la foi vaut la peine d’être vécue. Il comporte deux parties. La première - « Notre Eglise est l’Église des saints » - est un entretien avec Michel Jondot. Les premiers faits rapportés remontent à 1974 : alors que Michel avait déjà une longue expérience de vie en Église comme vicaire, professeur de séminaires et aumônier de lycée, il devient curé d’une paroisse du diocèse de Nanterre où Monseigneur Delarue m’envoie deux mois après l’arrivée de Michel. Il retrace son histoire – celle d’un prêtre de la base - et l’évolution de l’Église telle qu’il l’a vécue. La deuxième partie, « Le christianisme éclaté » comporte un entretien que des amis m’ont demandé de leur accorder sur ma vie en Église. À partir de mon expérience et des dysfonctionnements qui n’ont cessé de se manifester, je propose ensuite un regard sur l’Église aujourd’hui. Ce livre voudrait être l’un de ces éclats dont Michel de Certeau disait : « Le christianisme : mille éclats sur la surface de la mer ».
Christine Fontaine