Michel Jondot et Christine Fontaine sont en relation de confiance avec les Maghrébines de l’atelier « Mes-Tissages ». Ils
s’efforcent ici de rapporter quelques propos entendus ou quelques situations vécues avec elles. Le « JE » qui parle est fictif et ne se rapporte pas à une seule personne.
L’amitié entre nous
Je suis moi même musumane et amie avec plusieurs des autre musulmanes qui viennent dans ce groupe. Même lorsque je ne viens pas à l’atelier, je m’arrange pour avoir de leurs nouvelles et leur téléphoner. Nous ne pouvons pas rester longtemps à l’écart les unes des autres. Mais mes relations ne sont pas les mêmes avec toutes. Je m’entends avec chacune mais certaines sont plus proches que les autres. Nous avons vécu ensemble beaucoup d’événements qui nous ont marquées. J’ai besoin de leur écoute et elles ont besoin, elles aussi, de me parler. Nous nous disons nos problèmes, nos difficultés. Quand j’ai une bonne nouvelle, j’ai besoin de la leur raconter.
Il est vrai que les relations sont différentes entre les unes et les autres. Certaines viennent depuis plusieurs années ; elles se connaissent bien. Ce qui se passe entre nous est autre chose que ce nous vivons avec les nouvelles, même si toutes nous nous entendons bien. En faisant du tissage ensemble depuis longtemps ou de la couture, des liens se sont noués. Quelques-unes sont entre elles comme des sœurs. C’est la vie commune qui crée l’amitié.
Quand on est dans des difficultés, par exemple si l’une manque d’argent, on s’aide. C’est un geste qu’on n’oubliera jamais. Là on peut vraiment parler d’amitié. Quand l’une d’entre nous a des problèmes de santé, on se fait du souci pour elle ; on va la voir à l’hôpital. C’est à cela que se mesure l’amitié entre nous. Un ami c’est celui qui reste avec toi dans les moments difficiles.
Des amitiés parfois difficiles
avec certaines « françaises »
Nous avons besoin de temps pour que se crée de l’amitié surtout lorsque nous n’avons pas les mêmes façons de vivre. Des femmes françaises viennent à l’atelier. Quand elles viennent une première fois, on offre le thé à la menthe et on les laisse parler. Parfois on sent que la relation passe mais d’autres fois non. Par exemple, je me souviens d’au moins deux fois où on a senti qu’il serait difficile d’aller plus loin dans la relation. Les deux fois, c’était à propos du voile. Beaucoup parmi nous sont voilées. La plupart du temps quand des non-musulmans viennent à l’atelier, ils ne semblent pas y faire attention ; en tout cas ils n’y font pas allusion.
Mais il est arrivé une fois ou l’autre qu’une femme « française » viennent pour, dit-elle, faire connaissance. Dès la deuxième phrase elle nous dit : « Pourquoi portez-vous un voile ? Vous seriez tellement plus belle si vous l’enleviez ! » Là, on sait qu’on n’ira pas plus loin avec elle. On demeure polies mais quand elle part on se dit entre nous : « Elle vient dans notre atelier. Nous lui offrons le thé et des gâteaux, mais en fait elle considère qu’elle est chez elle plus que nous. Sinon elle ne se permettrait pas de nous parler de notre manière de nous habiller. » Nous n’irons pas plus loin avec elle – à moins qu’elle ne change – parce que nous ne nous sentons pas respectées. Elle nous juge sur l’apparence alors qu’elle ignore tout de nous. Irait-elle dire à une femme du monde qui la recevrait que sa manière de s’habiller ne lui convient pas ? N’est-ce pas parce que nous sommes du Maghreb ou d’Afrique noire qu’elle se permet ces réflexions ? On pourrait penser que nous sommes bien susceptibles. Peut-être mais nous ressentons toutes - que nous portions ou non le voile – ce genre de réactions dans notre chair, comme une sorte de mépris qui colle à la peau. C’est difficile quand une relation commence comme cela de passer outre. Il est vrai que la première impression n’est pas toujours la bonne mais cela n’aide pas à désirer créer des relations amicales avec ces personnes qui semblent ne pas nous considérer sur un plan d’égalité avec elles.
Une vraie amitié avec d’autres « françaises »
Une amitié forte se crée entre nous et les « Françaises » qui viennent régulièrement à l’atelier. On aime bien parler avec elles. On échange par exemple sur la vie de famille. Nous n’avons pas toujours les mêmes coutumes. Je me souviens du jour où l’une d’entre nous a fait part de son remariage à Christine. J’essaye de rapporter leur dialogue. C’était assez drôle.
Sabrina : Il y a un an que je suis séparée de mon mari et je vais me remarier.
Christine : Tu te souviens que ton premier mariage était très dur et que tu as dû demander le divorce. Est-ce que tu connais bien ton futur mari ?
Sabrina : Cette fois je suis sûre de moi.
Christine : Depuis combien de temps le connais-tu ?
Sabina : Quelques semaines
Christine : Combien de fois l’as-tu rencontré ?
Sabrina : Deux fois.
Christine : Tu es complètement folle ! La première expérience ne t’a pas suffi ? Tu ne peux pas attendre de mieux le connaître ?
Sabrina : Vous êtes drôles vous les Français. Vous dites toujours qu’il faut attendre avant de s’engager. Mais ça ne sert à rien. Au début tout va toujours bien ! Moi, pendant la première année de mon mariage, mon mari me disait que j’étais la plus belle et me couvrait de cadeaux. C’est seulement au bout de deux ou trois ans que ça a commencé à se détériorer !
Christine : Effectivement, tu n’as pas tort ! Mais tu es quand même complètement folle !
Rassurez-vous ! Toutes les femmes de chez nous ne se conduisent pas comme Sabrina. Loin de là ! Mais dans notre culture – ou notre religions – on ne se met pas en ménage avec quelqu’un avant de se marier.
Les « Françaises » qui viennent régulièrement à l’atelier nous donnent parfois des conseils. Et ça nous est très utile. On ne sait pas toujours quoi faire avec les enfants parce qu’à leur âge nous étions dans une autre culture, au Maghreb. C’est important d’écouter les réactions de femmes européennes qui ont élevé des enfants en France. Ça nous aide à parler avec nos propres enfants. L’une de nos amies françaises a travaillé dans le milieu médical ; quand on a des problèmes gynécologiques on ose en parler avec elle. Une autre est religieuse ; on aime bien sa finesse. Elle est douce, elle nous apaise. Quand il y a des discussions un peu vives, elle est là pour nous calmer. Mais nous ne pouvons pas énumérer toutes les amitiés que nous nous sommes créées grâce à cet atelier !
L’amitié permet de dépasser les malentendus
Quand on est vraiment amies on peut se parler en toute franchise, même de ce qui nous heurte. C’est même là que se manifeste la vraie amitié. Presque toutes les femmes maghrébines ou africaines de l’atelier ont été élevées loin de la France. Nous avons des cultures différentes, des réflexes différents et cette différence peut parfois être mal interprétée quand on ne se parle pas. Je voudrais donner un exemple. Des femmes de chez nous avaient très envie de voir où l’une de nos proches amies chrétiennes habite. Elle invite donc cinq ou six d’entre elles à venir chez elle. Juste à leur arrivée, les femmes lui demandent où est la direction de la Mecque ; elles se mettent toutes à faire la prière et laissent leur hôtesse seule dans la pièce d’à côté. Celle-ci ne comprend pas du tout leur attitude et, le lendemain, me demande pourquoi elles ont agi ainsi. Était-ce parce qu’elles se trouvaient chez une chrétienne et qu’elles voulaient purifier cette terre ? Je comprends son interrogation. Ça ne se fait pas de laisser son hôtesse seule comme elles l’ont fait. Mais si elles ont régi ainsi c’est uniquement parce qu’elles étaient vraiment chez une amie. Avec quelqu’un de moins proche, elles auraient reporté l’heure de la prière. Il fallait qu’on puisse se parler pour sortir d’un malentendu. Tout au long de l’année, avec Michel et Christine, on peut vraiment se parler. C’est cela pour nous l’amitié.
Nous apprenons à nos enfants à se respecter mutuellement, à laisser la religion de côté. Je dis à mes enfants de considérer la copine ou le copain selon son comportement avec lui, en tant que personne, et non en tant que juif, musulman, chrétien ou athée. Il y a du racisme parmi nous depuis des centaines d’années. Il faut qu’on apprenne à nos enfants à le dépasser. Chez nous il y a du racisme entre maghrébins et noirs mais aussi à l’intérieur d’une famille, si quelqu’un se marie avec un conjoint d’un autre pays et même d’une autre ville il arrive que ça pose des problèmes. Nous voudrions que nos enfants échappent à tout cela. Mais pour y arriver il ne faudrait pas qu’ils subissent de racisme de la part des « français ».
L’amitié en islam
Dans le Coran, il ne s’agit pas seulement de l’amitié entre les musulmans mais aussi de l’amitié avec les autres. Le Prophète avait un voisin juif qui jetait des ordures devant sa porte pour l’embêter. Un jour ce monsieur a arrêté parce qu’il était malade. Le prophète s’est inquiété pour son voisin et a demandé de ses nouvelles. Faire que nos enfants soient de bons musulmans c’est leur apprendre à respecter tous ses voisins, quelle que soit leur religion. Les voisins, c’est sacré en islam.
Quand Khadidja, la femme du Prophète est morte, il a offert des cadeaux à toutes ses amies. Il montrait combien l’amitié est importante pour lui. Nous prenons exemple sur lui : quand quelqu’un meurt, on réunit ses amies pour un goûter, un repas. En islam, si on se dispute avec quelqu’un il faut se réconcilier dans les trois jours. On a parfois beaucoup de mal à pardonner surtout quand c’est une amie qui nous a blessées. Mais le Prophète nous demande de le faire.
Pour savoir si quelqu’un est vraiment ton ami, tu reviens vers lui quand tu lui as fait de la peine et tu lui demandes pardon. S’il est un vrai ami, il te pardonne. Il faut apprendre cela dès le plus jeune âge aux enfants. Les adultes, parfois sont trop mal éduqués pour pouvoir changer ! Si j’ai une vraie amie et que je l’ai blessée, je ne peux pas dormir. Il faut que nous soyons revenues l’une vers l’autre pour que je puisse être en paix. Si quelqu’un me blesse et que je m’en moque c’est qu’il n’est pas un vrai ami, juste une connaissance. Dans cette vie, on a besoin d’amis. Si tu n’en as pas, tu n’es rien. On ne peut pas faire confiance à tout le monde mais on a besoin d’avoir des amis avec qui l’on peut se confier. Quand tu en as un, tu ne vas plus le lâcher ! Parfois, dans les moments difficiles, tu vas trouver des amis plus que la famille.
La trahison d’une amie fait très mal. Tu crois que cette personne est ton amie parce qu’elle partage tout avec toi quand ça va bien mais il n’y a plus personne quand il y a une difficulté. Il faut vraiment savoir choisir ses copines ! Dans l’amitié il n’y a pas de race ni de religion ! Chacun de nous à un petit point noir dans son cœur. Il ne faut pas laisser l’obscurité remplir nos cœurs. Mais avec un ami, ça s’arrange toujours !
Des musulmanes de la Caravelle