On entend dire que les personnes migrantes sont les premières oubliées de cette crise. C’est sûrement vrai pour celles qui viennent d’arriver en France et n’ont pas encore de logement. Nous sommes réellement tristes pour elles car nous savons ce que signifie d’arriver dans un pays que l’on ne connaît pas et de n’y être pas forcément bien accueillies. Nous qui avons de quoi nous loger, au lieu de nous sentir oubliées, nous nous sentons pour une fois… comme tout le monde ! Nous sommes logées à la même enseigne que tous les autres français. Certes parmi eux, il y en a qui ont un jardin mais ce n’est pas la majorité de ceux qui habitent en région parisienne. Nous sommes tenues de rester confiner chez nous comme tous les autres. Nous sommes à égalité avec tous !
Nous avons même un avantage très important sur beaucoup d’autres. Alors qu’un grand nombre – à ce qu’on entend dire – se sentent isolés parce qu’ils n’ont pas beaucoup d’amis à qui téléphoner, de notre côté nous constituons une famille entre les membres de l’atelier. Toutes les femmes – et une vingtaine tous les jours - communiquent par WhatsApp. On se donne des nouvelles de la journée. Il y en a toujours l’une ou l’autre qui croit reconnaître chez elle les symptômes du Coronavirus… un mal de tête, des maux de gorge, la moindre toux… et on a peur d’avoir été contaminée… Heureusement, nous ne prenons pas peur toutes en même temps et il y en a toujours parmi nous pour se moquer gentiment de celles qui s’angoissent… jusqu’au jour où c’est au tour de celles qui rassurent de s’angoisser ! Mais nous pouvons nous le dire et cela change tout. Nous communiquons aussi par WatsApp plus que d’habitude avec nos familles au bled. C’est étrange, d’une certaine manière le confinement nous rapproche les unes des autres… Ce qui ne veut pas dire que nous espérons qu’il va durer longtemps !
Quant aux problèmes de nourriture, nous sommes là aussi avantagées sur beaucoup d’autres. Quand l’atelier fonctionnait encore, Christine nous avait recommandé de suivre les conseils de prudence : se laver les mains en entrant, ne pas rester trop près les unes des autres, nettoyer les poignées de porte, les interrupteurs, les métiers à tisser et les machines à coudre chaque soir. Elle nous avait dit, qu’à son avis, il était inutile de faire des réserves alimentaires. Nous avions commencé à suivre les consignes d’hygiène et de propreté mais heureusement, je ne l’ai pas écouté pour l’alimentation ! J’ai recommandé à toutes les femmes de faire des réserves… et elles en ont toutes fait ! Et elles ont dit à leurs voisins d’en faire ! Nos congélateurs et nos placards étaient pleins au moment du confinement. Les familles (père, mère, frère ou sœur) de celles qui n’avaient pas les moyens financiers aident à payer. Nous le faisons entre nous aussi. Aussi pour le moment, aucune n’a eu à sortir… sauf celle qui aide dans un hôpital de Saint Denis, bien sûr. Elle est obligée de sortir. Nous sommes inquiètes pour elle et prenons chaque jour de ses nouvelles. Nos familles au bled reçoivent moins que nous qui sommes en France de conseils pour faire face à la situation. Avant le confinement, nous leur avons dit qu’il fallait faire des réserves alimentaires et elles l’ont toutes fait. Nous leur diffusons aussi les consignes au fur et à mesure qu’elles sont données en France.
La vie à l’intérieur des appartements n’est pas vraiment différente de celle des autres français. Beaucoup d’entre nous sont submergées par l’aide aux devoirs des enfants. Du coup, c’est le soir que nous pouvons le plus communiquer entre nous. Pour les devoirs, toutes n’ont pas les moyens de suivre leurs enfants mais les écoles – le collège en particulier – sont très vigilants. Les professeurs proposent leur aide aux familles et aux enfants. J’ai moi-même reçu un coup de téléphone d’une enseignante de ma fille qui est en quatrième. Lina faisait ses devoirs mais elle n’avait pas compris qu’il fallait ensuite les envoyer. La professeure m’a dit qu’il fallait le faire et qu’elle faisait le tour de toutes les familles parce que beaucoup d’enfants n’envoyaient pas leurs devoirs. Elle m’a dit qu’on pouvait la contacter au moindre problème. Par ailleurs, le collège a proposé des ordinateurs aux enfants et aux jeunes qui n’en avaient pas. Certes, les enfants à la maison donnent beaucoup de travail mais on se sent accompagnées. Enfin il faut dire que si la plupart des jeunes respectent le confinement et rejoignent leurs copains en jouant avec leur PS4 par exemple, il y en a quelques-uns qui se retrouvent en bande dans la cité… et ce n’est pas du tout facile pour les parents de les en empêcher. Mais c’est l’exception. Il faut aussi parler de nos maris qui sont à la maison. La plupart d’entre eux… certains pour la première fois de leur vie… participent à la vie quotidienne : les enfants, la vaisselle, le ménage. Beaucoup font du bricolage mais il y en a aussi… qui restent devant la télévision et zappent toute la journée.
Pour celles d’entre nous qui sont musulmanes – et c’est la très grande majorité – le ramadan approche. Il commence en France vers le 23 avril. Il n’est pas sûr qu’à cette date nous soyons sortis du confinement. Il n’est pas question pour nous de ne pas faire ramadan cette année. Si la maladie ne nous tue pas, le ramadan ne va pas nous tuer ! Au contraire, il va nous rapprocher de Dieu. Peut-être que ce virus montre aussi que nos sociétés sont malades. Nous vivons dans un monde matérialiste et égoïste. Ce n’est pas le monde que Dieu veut. Peut-être que Dieu nous invite à changer avant qu’il ne soit trop tard. Il y aura des morts par ce virus. Des innocents vont payer. C’est injuste mais c’est aussi cela la vie. En même temps, on voit que l’eau à Venise devient pure et que la pollution partout dans le monde a diminué. Peut-être Dieu est-il en train de faire revivre la planète… Pour une fois les juifs, les musulmans et les chrétiens prient ensemble pour guérir du virus mais aussi de la maladie des sociétés. Sûr, Dieu nous aidera si tous ensemble nous sommes décidés à repartir autrement.
Propos recueillis par Christine Fontaine,
le 25 mars 2020
Tissage de l'atelier,
à partir d'une photo représentant le village d'une tisserande