D’une jeunesse commencée en Chine à une vieillesse continuée en France. L’Académie française, siège des Immortels, dit-on. Méditation sur la mort mais, en sous-titre, « autrement dit sur la vie ». Et, en couverture aussi, une calligraphie chinoise : « La vie engendre la vie et il n’y aura pas de fin », comme le plus concis des résumés.
Avec, comme méthode, un gigantesque arc unissant les deux extrémités de l’Eurasie, de son Orient à son Occident. En parallèle, d’une part la référence aux fondements de l’identité chinoise et plus précisément à sa religion endogène, le taoïsme, d’autre part la référence aux fondements de l’identité européenne, le monothéisme et plus précisément le christianisme. Le tout ponctué de citations d’auteurs, avec une prédilection pour Rilke.
Analyse
Cinq méditations étroitement reliées de l’une à la suivante, successivement : inverser la relation entre la mort et la vie ; analyser ce binôme insécable ; la Beauté et le Mal ; là où Dieu apparaît ; enfin une promenade au jardin de ses poèmes.
1ère méditation : Après l’annonce du recours à une double culture, le rejet d’une interprétation matérialiste conduisant au nihilisme, d’où esquisse spirituelle. Idée d’un au-delà et succession des générations conduisent à inverser notre regard : non plus « dévisager » la mort comme la fin absurde de la vie mais au contraire « envisager » la mort comme le fruit d’une vie devenant destinée.
2ème méditation : le « binôme insécable » de la vie et de la mort. Pas seulement le corps mais aussi l’esprit et l’âme, une présentation non pas binaire mais ternaire, suggérant l’amour au-delà de la raison. La Promesse annonce l’Origine de la Voie, sans exclure le Mandat du Ciel ; le Souffle traverse le Vide médian entre le yin négatif et le yang positif et ouvre la Voie (tao). Au passage, rejet du scepticisme nihiliste comme le suicide. Et définition des trois besoins vitaux : réalisation, dépassement, transcendance. Eros et Thanatos, petite mort et instant d’éternité. Agapè.
3ème méditation : La Beauté et le Mal. La première a une racine commune avec la Bonté, d’où la grâce, mais passagère et pouvant être pervertie. Création artistique, mythe d’Orphée, chant de l’univers, intériorisation avec l’âge. Quant au Mal, sa forme radicale, donner la mort, culmine avec la Shoah. Au passage, Mai 68 égratigné : S’il est « interdit d’interdire » tout est permis et Dieu n’existe pas.
4ème méditation : celle où apparaît Dieu dans la survie. La libération de l’âme pour l’Hindouisme, la réincarnation pour le Bouddhisme. Et subtilement, dans le Taoïsme, la partie claire de l’âme gagne le ciel et la partie sombre retourne à la terre. En Chine, le culte des ancêtres, malgré son affadissement, et en Occident, malgré les reniements, restent des structures fondamentales. Les trois monothéismes ont en commun le Jugement et la Résurrection. L’auteur exprime sa foi dans l’incarnation divine, le Christ exprimant la donation totale qui perce le tunnel ramenant à la Vie. Après un instant de pessimisme (« faudra-t-il la création d’une nouvelle génération dêtres inconnus ? ») le final est sublime : « Je serai qui je serai. »
5ème méditation : Ayant reçu le prix de Lérici, dans le Golfe des Poètes, sur la rive méditerranéenne, l’auteur nous emmène au jardin de ses poèmes.
Cette recension étant destinée à une revue vouée au dialogue islamo-chrétien et l’auteur ayant exprimé sa foi chrétienne, il serait utile de préciser la foi musulmane. Si pour le judaïsme la loi est le passage obligé, pour l’islam le Jugement repose sur le Décret de Dieu sur la destinée et Dieu fixe à l’homme ses limites et donc sa responsabilité : ses actes en fonction de ses dons. Le suprême événement (Al’Waqi’a).
Luc-André Leproux
Extraits de la deuxième méditation
Je rejoins Chateaubriand lorsqu’il affirme que « c’est par la mort que la morale est entrée dans la vie ». Comme Simone Weil, je suis persuadé que sans l’épreuve des souffrances et de la mort, nous n’aurions pas eu l’idée de Dieu, ni même pensé à une quelconque transcendance. Précisons cependant que ce n’est pas la mort en elle-même qui agit directement sur nous, mais la conscience que nous en avons. La vérité est que la mort n’a aucun pouvoir en soi, elle n’est que la cessation d’un certain état de vie. Lorsque l’homme, porté par l’espérance, s’écrie comme saint Paul : « Mort, où est ta victoire, où est ton aiguillon ? », nous savons que ce cri-là ne peut être entendu que par les vivants ; la mort, elle, ne l’entendra jamais. Comme nous l’avons vu, la mort semble régner en maîtresse du monde, mais son pouvoir n’a pu lui être conféré en amont que par cet absolu qu’est la vie, qui, pour être vie, exige la mort corporelle. La vie ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. Elle est transcendante pour la simple raison que tout en palpitant au plus intime de nous, elle est infiniment au-dessus et au-delà de nous. Nous ne pouvons que nous en remettre à elle en toute confiance. Et nous le pouvons parce que l’expérience nous montre que le Souffle qui a fait advenir la Vie n’a jamais trahi, et qu’il ne trahira pas. Par ailleurs, notre véritable lien avec les autres – lien d’amitié ou d’amour fondé lui aussi sur une confiance sans faille – n’est possible que dans la lumière de cette transcendance (...).
L’homme, petit être perdu au sein de l’univers, a bien du mérite. En dépit de tout, il a tenu et continue de tenir le flambeau de la vie, il doit assumer les épreuves provenant de tous les niveaux du monde environnant et de son être propre : biologique et psychique, éthique et spirituel. Dans ces épreuves, la suprême étant la mort, il connaît douleurs et souffrances. Il y a là une indéniable grandeur. Par-delà les épreuves, toutefois, des joies lui sont accordées, charnelles comme spirituelles, couronnées pas un grand mystère, celui de l’amour. Sans amour, aucune jouissance ne prend son sens plénier; avec l’amour, qui engage tout l’être, tout est pris en charge, le corps, l’esprit et l’âme.
Extraits de la deuxième méditation (pages 68 à 70).