A propos de l'euthanasie
François Larue
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Faut-il une loi qui rende licite l’euthanasie ?
Nous avons posé la question au Docteur François Larue.
Il nous répond à partir de son expérience.

Nous nous sommes apprivoisés

Une histoire me revient. Je l’ai vécue voici vingt ans. Elle m’a toujours frappé.
Il s’agissait d’une patiente atteinte d’un cancer douloureux. Je l’ai suivie pendant plusieurs années. Au départ, cette femme refusait tout traitement contre la douleur, notamment les morphiniques. Elle a fini par les accepter et avec le temps nous nous sommes apprivoisés mutuellement. Puis est arrivé un moment ou sa maladie ne pouvait plus guérir ; elle le savait et m’a demandé de mettre fin à sa vie. Cette demande n’était pas motivée par des douleurs physiques (elles étaient contrôlées par les traitements) mais par le caractère insupportable de ce qu’elle vivait.

J’ai répondu alors comme le font les équipes de soins palliatifs. Je lui ai dit : « Je voudrais d’abord savoir si votre demande est réelle et constante. Je ne vous donnerai pas de réponse avant qu’on n’en ait parlé plusieurs fois  ». Nous avons donc parlé, longtemps, et sa demande était manifestement constante. Je lui ai alors expliqué qu’en tant que médecin je ne me sentais pas le droit d’abréger sa vie. Mais si la conscience de son état lui était insupportable, je pouvais la faire dormir. Elle ne se réveillerait pas et dormirait jusqu’à ce que la mort spontanée arrive. Après discussion, on se met donc d’accord pour que je l’endorme. Mais contre toute attente, j’ai eu de grande difficultés à la faire dormir (alors que je suis anesthésiste !). Tout se passait comme si cette dame ne voulait pas dormir. Elle a résisté à des doses importantes de sédatifs. Puis elle s’est finalement endormie. Mais dans cet état de sommeil induit, elle a survécu longtemps, plusieurs semaines  ! Après avoir résisté au sommeil, résistait-elle à la mort alors qu’elle l’avait ostensiblement réclamée? Chaque jour, je m’interrogeais, d’autant que la chambre de cette femme était exactement en-dessous de mon bureau. Je ressentais cette présence et cherchais à comprendre la signification de cette longue évolution.

De nombreuses questions

Cette histoire pose de nombreuses questions :
La patiente était-elle à l’extrême fin de sa vie  ? Il est toujours difficile de répondre à cette question : la fin de vie peut durer quelques jours ou quelques semaines, parfois plus. On observe parfois des évolutions imprévues.

Désirait-elle vraiment mourir ? C’est je crois la principale question mais comment répondre ? Sa demande était constante ce qui n’est pas le cas de la plupart des patients qui réclament qu’on « abrège leurs souffrances ». Bien souvent, entre deux demandes, ils peuvent faire des projets ; pourquoi alors tenir compte des demandes de mort provoquée plutôt que des projets. Il convient de respecter leur ambivalence. Mais dans le cas de cette patiente, l’ambivalence n’était pas exprimée. Son évolution laisse pourtant penser qu’elle était bien présente mais inconsciente et exprimée de façon indirecte.

La réponse classique des soins palliatifs consiste à dire : « On ne peut pas abréger volontairement votre vie mais on peut traiter les symptômes au risque d’abréger la vie ». La réponse à la demande chez cette patiente est ce qu’on appelle « le sommeil induit » : on s’engage à soulager l’angoisse par le sommeil jusqu’à ce que le patient meure « spontanément ». Cette réponse est rationnelle. Elle cache pourtant, à mes yeux, une certaine forme d’hypocrisie.

Plus généralement, dans les débats sur l’euthanasie les questions sont parfois mal posées : bien souvent face à une situation complexe, on se pose le problème de l’euthanasie alors même qu’une prise en charge palliative adaptée n’a pas été réalisée. On pose mal la question ; on ne la pose pas au bon moment. Il est généralement admis que des prises en charge palliatives bien conduites réduisent considérablement les demandes de mort assistée. Mais, bien entendu, on ne peut nier que même avec des soins adaptés, organisés en équipe avec une écoute pluridisciplinaire, des situations restent complexes (douleurs ou symptômes physiques mal contrôlés, angoisse majeure,…). Il peut arriver qu’on se sente dans une situation d’impasse et que la seule issue perçue, au moins dans un premier temps, soit d’abréger cette insupportable vie (insupportable pour le patient ? pour son entourage ? pour les soignants ?…). La réponse peut-elle être légale ? Je n’en suis pas convaincu. Ce serait peut-être, là aussi, mal poser la question ou la poser trop tôt : serait-il logique de rédiger un complément à la loi « Leonetti » alors qu’on sait qu’elle est actuellement insuffisamment appliquée ? Peut-être la réponse est-elle dans l’intervention de professionnels de l’éthique extérieurs aux équipes, susceptibles de les aider dans ces cas extrêmes à faire alors les choix qui sont souvent insatisfaisants, mais, au moins, les moins mauvais.

La mort d'un enfant

On voit là encore l’importance du travail et du débat d’équipe. Ce qui ne dispense pas le médecin référent à terme de prendre la décision car il faut bien que quelqu’un le fasse. Il peut d’ailleurs se sentir bien seul, voire amené à décider ou réaliser des actes que spontanément il ne désire pas faire. Je me souviens ainsi d’une situation difficile à laquelle je me suis trouvé confronté.

Un couple d’amis avait une petite fille malade. Elle était suivie dans un hôpital de cancérologie où je travaillais. La situation de la fillette s’aggrave. L’équipe de traitement de la douleur de cet hôpital finit par la prendre en charge et s’engage auprès des parents à ce que cette petite fille, à la fin de sa vie, ne « souffre pas ». Depuis quelques mois, je n’avais de ses nouvelles que par les parents ayant quitté cet hôpital. Mais un malheureux concours de circonstances m’a confronté à ce que je n’aurais pas souhaité connaître : mon collègue (et ami) de la consultation douleur de l’hôpital tombe malade. Je propose de le remplacer un jour par semaine. Lors d’une de ces journée de remplacement, les parents de la petite fille, mes amis, appellent la consultation douleur, pour leur dire : «  Il faut faire quelque chose, c’est insupportable». L’engagement avait été pris par l’équipe et l’équipe, ce jour-là, c’était moi. Je me suis trouvé dans la situation d’assumer l’engagement pris par d’autres que moi auprès de ces parents qui étaient des amis. J’ai pris mon sac, avec les médicaments, pour aller au domicile de ces amis. Quelques heures plus tard, la petite fille était morte. Elle n’aurait de toute façon pas survécu longtemps même sans mon intervention. Dans ce cas-là je n’ai pas fait exactement ce que j’aurais choisi. Mais j’étais coincé ! C’était il y a plus de vingt ans. Je pense encore très souvent à cette histoire.

Tous ces débats sur l’euthanasie sont infiniment complexes. Il faut administrer les soins au plus grand nombre, tels qu’ils sont désormais connus des professionnels et conformément à la loi Leonetti. Mais on restera confronté à des cas limites. On fait alors, honnêtement, ce qu’on peut ! Je ne vois actuellement pas quelle loi pourrait répondre à ces cas exceptionnels, imprévisibles et chaque fois différents.

François Larue


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