Mariage et droit en islam
« Pourquoi une musulmane ne peut-elle épouser un chrétien ni un juif ?
L'interdiction ne repose pas sur le Coran et pourtant la loi est formelle. »
Ijtihad : la loi et l'interprétation
Le Coran est une source de la loi mais il ne se confond pas avec la loi. Celle-ci (la « charia ») est le fruit du travail des juristes et des savants qui,
pour répondre aux diverses situations auxquelles l'islam devait faire face en ses débuts, ont interprété à la fois le livre de la révélation et ce qu'on appelle la « sunna »,
c'est-à-dire la tradition qui rapporte les propos et le comportement de Mohammed. Cette interprétation que désigne le mot arabe « ijtihad »
s'est déployée en quatre écoles juridiques différentes dans l'islam sunnite, auxquelles il faut ajouter l'école chiite.
Ce travail d'interprétation s'est étalé de la mort du Prophète (632) jusqu'au milieu du 10ème siècle.
Il s'est arrêté sur l'ordre d'un calife décrétant ce qu'on appelle « la fermeture de l'ijtihad ».
Ainsi jusqu'au milieu du 20ème siècle, la civilisation musulmane a reposé sur les conclusions de ces interprétations.
Le travail des juristes, jusqu'à une date récente, n'a plus consisté qu'à vérifier si les comportements particuliers étaient
conformes ou non aux principes dégagés dans les premiers siècles de l'ère hégirienne. C'est l'ensemble de cette législation primitive que recouvre le mot « charia ».
En ce qui concerne la famille on y définit les conditions à respecter pour que les relations entre l'homme et la femme soient licites
et conformes à la volonté de Dieu. La loi définit les droits et devoirs de chacun, la place du tuteur, l'âge du mariage, les divers empêchements, l'intérêt des enfants.
Elle trace le cadre juridique à l'intérieur duquel la répudiation est effectuée ainsi que la garde des enfants. Elle interdit l'adultère et met des conditions à l'adoption
(le père adoptif ne peut transmettre son nom). Elle légifère en matière d'héritage. Ainsi la « charia » permet que soit fermement maintenu l'ordre dans les sociétés islamiques.
La charia semble en retrait par rapport au Coran
Aujourd'hui, à en croire sociologues ou anthropologues, il semblerait que ce travail d'interprétation reflète les modèles de société qui prévalaient à l'époque où la « charia »
s'élaborait plutôt que l'esprit nouveau apporté par la révélation coranique. La charia, concernant les droits de la femme, semble en retrait par rapport aux conceptions du Prophète
et du Coran. Sa première épouse est considérée comme le plus bel exemple de la foi. « La vie est plaisir et nul plaisir n'est plus grand qu'une femme consciente » dit un hadith.
Autant le livre saint porte la trace d'une volonté de libération pour le couple et en particulier pour la femme, autant la « charia » reprend le modèle patriarcal emprunté à l'Empire
romain ou à l'Arabie préislamique ; elle fait de l'homme le chef de la famille et elle considère la femme comme une personne inférieure dont la soumission est le premier devoir.
« Traitez bien les femmes, parce que la femme est créée d'une côte et la partie la plus tordue de la côte est son dessus. Si vous essayez de la redresser vous la cassez et si vous la
laissez en son état tordu, on en restera là. Ainsi agissez avec bonté envers vos femmes ». Ces paroles sont attribuées à Mohammed ; elles permettent de justifier la condition
inférieure de la femme. Elle est tirée de l'homme créé en premier pour que soit manifestée sa primauté. Le consensus est absolu parmi les savants pour reconnaître qu'un hadith ne peut
être contraire au texte du Livre saint. Il s'agit d'une contradiction évidente avec le récit de la création qu'on trouve dans le Coran. Manifestement l'esprit de l'époque qui hante
les sociétés juives ou chrétiennes, habite l'inconscient de ces savants interprétant le Livre. Le recours à des traditions non musulmanes permet d'affirmer que l'homme a plus de
raison et de savoir que la femme et d'en conclure que Dieu en a fait le chef de la famille.
Un parti pris patriarcal
C'est à la lumière de ce parti pris patriarcal qu'il faut comprendre la position des musulmans vis-à-vis des mariages islamo-chrétiens. Elle s'appuie sur le verset 5 de
« La Table servie » (V) : « L'union avec les femmes croyantes et de bonne condition faisant partie du peuple auquel le Livre a été donné avant vous, vous est permise ».
Ce n'est qu'avec beaucoup de réticence que les différentes écoles ont déclaré licite une telle union. Interdite en droit chiite, elle n'est guère que tolérée par les autres.
Lorsqu'un tel mariage est contracté, l'épouse voit ses droits définis non par sa propre religion mais par la « charia » ; celle-ci donne des consignes précises au mari qui demeure
le chef. Selon les écoles il lui appartient d'autoriser ou d'interdire d'aller à l'église ; il peut contraindre l'épouse à se soumettre aux interdits alimentaires ou, au contraire,
l'autoriser à manger du porc ou boire du vin. De toute façon il demeurera le maître et, en principe, la chrétienne ne pourra hériter de la fortune du musulman.
D'où vient pareille législation ?
Pourquoi une musulmane ne peut-elle épouser un chrétien ni un juif ? L'interdiction ne repose pas sur le Coran et pourtant la loi est formelle. Gare à celle qui l'enfreindrait :
de lourds châtiments lui sont réservés. Le conjoint, quant à lui, serait considéré comme ayant enfreint le traité de protection liant les chrétiens dans les pays musulmans : il serait
mis à mort. D'où vient pareille législation ? Elle repose, disent certains, sur la conception patriarcale répandue dans le bassin méditerranéen. L'homme est chef de la famille ;
il lui appartient de transmettre à sa descendance l'héritage musulman. Il se doit de protéger en même temps que l'intérêt des siens, l'intérêt de l'islam tout comme avant la prédication
coranique il devait protéger les intérêts de son clan.
Appel à la réflexion
La législation des différents pays musulmans a pris quelques distances vis-à-vis de la « charia », variables selon les cas. Il se trouve pourtant que, la Turquie et quelques pays
d'Afrique noire mis à part, les différents codes de la famille maintiennent cet empêchement pour la femme musulmane. De manière plus étrange encore, un pays comme l'Algérie donne au
tuteur une place particulièrement importante : le consentement de la femme est exprimé par le wali. En Algérie la femme a, dans la société, les mêmes droits que l'homme. Elle fait les
mêmes études et peut accéder aux plus hautes responsabilités professionnelles ou politiques. Comment, dans ces conditions, expliquer que ses droits, en ce qui concerne la famille,
la maintiennent dans une situation infantilisante ? « Ne conviendrait-il pas de se libérer de la suzeraineté absolue d'un système juridique né il y a dix siècles ?...
(Ce pays) ne peut-il user de sa souveraineté pour, à son tour, faire oeuvre d'ijtihad en tenant compte des exigences de la période pour laquelle il légifère ? L'appel à la réflexion
personnelle qui ne cesse de retentir dans le Coran y engage nécessairement » (Lucie PRUVOST « Femmes d'Algérie » ; Casbah Editions ; p. 301 - 302).