Un retour d'Iran
Jean-Michel Cadiot
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Ce pays est en plein changement, d’après Jean-Michel Cadiot. L’Iran malgré ses difficultés est le pays le plus stable de la région.


L’Iran change

Téhéran – Dès le 7 janvier, l’Iran, les dirigeants religieux comme politiques, ont condamné le massacre perpétré contre Charlie Hebdo. Ils avaient de même été rapides à condamner, le 11 septembre 2001, les attentats de New York.
Certes, lorsque Charlie est réapparu avec une « une » caricaturant à nouveau le prophète, le régime a organisé des manifestations d’hostilité dénonçant le journal satirique. Mais ce fut sans incident, sans excès.
Cela compliqua néanmoins les relations avec la France, qui envisage d’imposer aux femmes demandeuses de visas français de présenter des photos tête nue au consulat... ce qui les ferait contrevenir aux lois iraniennes. Est-ce une bonne réponse ?


Le retour de Noël

Cet hiver marque un fait important. Noël a repris sa place en Iran. Dans tous les grands magasins, dans de très nombreux restaurants, parfois dans les immeubles, des sapins de Noël sont réapparus. Certes, il n’y a pas de «  petit Jésus » et il n’y a pas de crèche, non plus que de croix. Mais il y a des étoiles. Il y a des pères Noël. Ce n’est pas forcément très chrétien, mais les enfants iraniens, bien inspirés, écrivent sur les arbres leur souhait de paix, de retrouvailles familiales... ou de X-box, non au père Noël, mais à Dieu... Alors que des chrétiens sont martyrisés, tués ou expulsés à Mossoul, à quelques centaines de kilomètres, ce signe est d’espoir.

Le régime laisse libres les chrétiens de pratiquer leur religion, mais continue de vouloir qu’ils le fassent en tant que minorités. Il y a les arméniens, les chaldéens. Ces derniers sont censés faire tous les offices dans leurs langues, et ne pas utiliser le persan, et de ne pas tenter de convertir des musulmans. Une église, protestante, a été fermée pour cette raison le jour de Noël et son pasteur interpellé. Néanmoins, des progrès ont lieu, même sur ce plan. Un message présidentiel de Noël est lu à la messe... forcément en persan ! Il y a eu aussi en ce Noël 2014 nombre de manifestations culturelles sur le christianisme organisées par les autorités, en persan bien sûr.

Et il y a surtout ce message de nouvelles du président Hassan Rohani, aux chrétiens, le 1er janvier 2015. C’est peut-être un « pas ». « Le musulman qui ne croit pas au message chrétien n’est pas authentique. Nous, musulmans, nous croyons que Jésus est au paradis. Nous, musulmans, nous pensons que Jésus est Messie et qu’il reviendra. »
Rohani n’a pas associé à cette « parousie », comme le font toujours jusqu’ici les religieux chiites, le nom du douzième imam, le Mehdi, messie pour les chiites, appelé aussi à revenir sur terre.
Un quotidien économique, le Financial Tribune, a consacré une page, le 27 décembre, à ce « retour de Noël ».


De graves difficultés sociales

La vie est de plus en plus dure, sur le plan économique et social, pour les Iraniens. L’embargo occidental qui le frappe depuis 2009 en raison de ses recherches nucléaires, la baisse vertigineuse du prix du pétrole, - le budget annuel tablait sur un baril à 80 dollar alors que son prix est inférieur à 50! - frappent surtout les plus démunis. Et l’Arabie saoudite, puissance régionale adverse, manœuvre avec les Occidentaux pour faire baisser ce prix, au détriment de l’Iran.

L’inflation frôle les 20%, le chômage est en hausse, et le niveau de vie de ce peuple de 75 millions d’habitants chute d’autant que les produits importés, si nombreux, ont terriblement augmenté avec la dégringolade, en cinq ans, du rial par rapport au dollar ou à l’euro. Il faut aujourd’hui 40.000 rials pour un euro !

La pauvreté, la mendicité s’installent au cœur des villes ; un instituteur, payé en moyenne 350 euros, ne peut subvenir aux besoins de la famille si son épouse ne travaille pas, ou s’il n’a, comme des millions d’Iraniens, un second travail.

Régime des mollahs ou pas, c’est un libéralisme à tous crins, tempéré de mesures pour les plus démunis - aide spécifique mensuelle de l’Etat, mais plus de tickets de rationnement - qui règne en Iran, où les fondations religieuses sont devenues des multinationales, travaillant avec la Chine, l’Inde et la Russie, qui ont remplacé Français et italiens. Du reste, dans les bazars de Téhéran, que ce soit le « grand », celui du sud, ou à Tajrich, dans le nord de cette immense ville de 16 millions d’habitants, les Occidentaux sont extrêmement rares.


Un pays dynamique, malgré tout

Pourtant, l’Iran change profondément, et se montre très dynamique.
La ville de Téhéran s’agrandit de jour en jour. Des travaux grandioses -  comme cet immense pont piétonnier à trois étages, le plus long du Moyen-Orient inauguré en 2014 - se multiplient. Des tours se construisent à une vitesse vertigineuse, comme à Dubaï ou Doha, chez les adversaires du Golfe. En 2014, un complexe commercial, le Palladium, consistant en deux bâtiments de onze étages, accueillant chaque jour 40.000 personnes, s’est ouvert. Il y en a dans tout le pays. De fait, les pauvres, accablés par l’embargo, s’appauvrissent et les riches qui savent contourner les obstacles, et ont souvent placé leur argent à l’étranger, s’enrichissent.


Une libéralisation sociétale

Il serait faux de dire que la victoire du mollah Hassan Rohani en 2013 n’a eu aucun effet. Ce fut une bouffée d’oxygène après les années noires de Mahmoud Ahmadinejad.

Sur le plan des mœurs, une petite révolution se dessine. Bien sûr, le port du foulard pour les femmes dans l’espace public est toujours obligatoire. Mais, désormais les cheveux apparaissent sans problème, et, dans les restaurants, il n’est pas rare de voir des jeunes filles le rabattre complètement sur le cou. Impensable il y a seulement deux ans. Les couples s’enlacent dans la rue et le baiser sur la joue ne pose plus problème, alors qu’il y a vingt ans, même le serrement de mains entre hommes et femmes pouvait être réprimé !

La présence des femmes dans la vie active est très forte, dans tous les domaines, industrie, commerce, banque, medias. Elles représentent 60% des étudiants ! Le cinéma, la littérature et les arts, parviennent, à force de ruse, de génie parfois, à contourner, parfois à déjouer la censure islamique, peut-être moins vigilante.


L’Iran, partenaire de fait

L’été 2014, la prise de pouvoir de l’Etat islamique, ce régime monstrueux qui a proclamé un « califat » qui n’a rien à voir avec ceux du passé qui protégeaient les minorités, a entraîné d’abord la persécution et les exécutions des chiites, à Mossoul, la seconde ville d’Irak, sa capitale du nord. Puis, l’Etat islamique s’en est pris aux chrétiens aux Yezidis, aux Turkmènes, à toutes les minorités.

Dans cette dramatique évolution, l’Iran est au premier rang de la résistance. Comme puissance régionale, et comme pays chiite, désormais même allié du « pouvoir - fragile » de Bagdad, en bon terme aussi avec les dirigeants kurdes du nord, il a participé à plusieurs opérations militaires, aériennes essentiellement, contre l’Etat islamique. La reprise, fin janvier, de la province irakienne de Diyala est le fait des Iraniens.

Bien sûr, cela s’est fait sans concertation, du moins officielle avec les Etats-Unis et la France, qui ont lancé en août 2014 des frappes aériennes jusqu’ici peu efficaces. Mais il y a une alliance de fait que plus personne ne songe à nier. Et surtout, les frontières de l’Iran, sont le rempart le plus sûr contre les prétentions du calife al-Baghdadi dont le projet est d’occuper toute la région.

Les Occidentaux sont donc dans une situation paradoxale avec Téhéran. Ils le courtisent. Mais ils continuent de l’accuser et de le sanctionner pour son projet supposé de militarisation nucléaire, même si les négociations se déroulent désormais dans un meilleur climat, un lien ayant été établi entre Barack Obama et Hassan Rohani.

Le temps presse. Il serait bon qu’Obama, qui a eu la grande sagesse de renouer avec Cuba, rétablisse des relations normales avec l’Iran avant la fin de son mandat.

L’Iran, malgré son régime, malgré ses difficultés économiques, est le pays le plus stable de la région. Et l’horreur que vit l’Irak, suite à l’intervention de Bush en 2003, et la mainmise de l’Etat islamique sur près du tiers du territoire, nécessite d’associer toutes les bonnes volontés

Jean-Michel Cadiot


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