Un regard lucide sur la création
Mohammed Benali
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En islam, Abraham est celui qui brise
les idoles et reconnaît d'où vient la vie.
Aux croyants d'aujourd'hui, incombe le devoir
de discerner les idoles des temps modernes
pour sauver la création de Dieu.


« Des yeux pour voir »

«Quand Abraham vit une étoile, il s'écria 'Voici mon dieu'... Lorsqu'il vit se lever la lune, il dit 'Voilà mon Seigneur'... Lorsque le soleil se leva, il dit : 'Celui-ci est mon dieu'.» (Coran, 6, 76-79)

Les chrétiens citent souvent les paroles de Jésus. Quand on lit l'Evangile, on s'aperçoit qu'il disait à ceux qui voulaient bien l'entendre : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ». Il disait aussi : « ils ont des yeux pour ne point voir ». Jésus souvent se référait à Abraham. S'ils avaient vécu à la même époque, à coup sûr le fils de Myriam aurait admiré le père d'Ismaël et d'Isaac. Au moins celui-là savait regarder le monde ! La création parlait à son coeur et, si l'on en croit le Coran, il déchiffrait ce qui touchait son regard. Il devinait un mystère et la beauté de l'univers ouvrait son coeur. Les chrétiens disent aussi que Jésus savait regarder la création de Dieu. Il voyait le soleil se coucher (« le ciel est rouge, il fera beau »), il regardait les oiseaux du ciel et les fleurs des champs. Certes, nous musulmans, nous ne parlons pas de Jésus comme les chrétiens en parlent. Mais entre Abraham, notre prophète à tous, et Jésus, Aïssa comme on dit chez nous, on reconnaît un air de famille. Le ciel, la terre et tout ce qu'on y trouve, en touchant nos yeux sont, dit le Coran, des signes, des ayat.


Dieu plus grand que sa création

Musulmans, nous ne croyons pas que l'univers est le fruit du hasard et le résultat d'une évolution mécanique. Vive la science ! « Va jusqu'en Chine pour la chercher » dit un hadith. Mais il y a plus grand que la science humaine. Ne nous arrêtons pas à ce que nous pouvons connaître. Le croyant voit plus large que le savant. Abraham a su découvrir plus que ce qui touche les regards et plus que ce que l'intelligence peut comprendre. Il regarda se lever l'étoile, mais quand l'astre, au matin, vint à s'évanouir, il dit : 'je n'aime point ceux qui disparaissent'. La lune s'efface, le soleil lui-même se cache lorsque la nuit couvre la terre. « Je n'aime point ce qui disparaît » : Abraham comprend que la création tout entière éveille le désir de Celui qui est plus grand que tout. Par-delà tout ce qui existe, il reconnaît le Créateur : « en sincère monothéiste je tourne mon front vers Celui qui a créé les cieux et la terre ». J'entends les chrétiens me citer la parole du psaume : « les cieux racontent la gloire de Dieu ». Je suis d'accord avec cette parole. Abraham aurait pu la prononcer quand il voyait les astres, la lune ou le soleil. Ce qu'il voit est comme un poème ; les mots d'un poème sont beaux ; ils donnent à réfléchir. Mais celui qui les écrit appelle les hommes à l'entendre. Ainsi va la création pour le musulman à la suite d'Abraham. Elle tourne le croyant vers Celui qui demeure éternellement et qui appelle encore aujourd'hui comme il appelait Abraham.


La création est en danger

Le message du Coran est bouleversant pour notre époque. De partout on nous avertit : le monde court à sa perte. Les glaces fondent, les océans se gonflent et risquent d'engloutir la terre. L'air que nous respirons est empoisonné. L'argent pourrit tout : il écrase la plus grande partie de l'humanité. Les pays les plus riches imposent leurs lois et les pauvres font les frais de leur injustice. C'est vrai, les savants sont capables de comprendre le cours des astres. Ils ont trouvé le chemin pour aller jusque sur la lune. Mais quand ils regardent les étoiles, loin de s'interroger sur le mystère de la vie, les hommes entrent dans un circuit meurtrier. On parle de « guerre des étoiles » ! Avouons que c'est étrange! On dit de l'islam qu'il est violent. Mais ceux qui refusent d'entendre son message, ceux qui arrêtent leur regard à ce qu'ils voient et à ce qu'ils comprennent plongent l'humanité dans des risques aux dimensions incalculables. Il ne s'agit pas de justifier des actes terroristes impardonnables comme les attentats de Bombay en novembre dernier. L'islam ne peut se reconnaître dans ces actes de folie. Leurs références à Dieu sont des caricatures : ils se font de Dieu une image perverse. C'est à nouveau sombrer dans l'idolâtrie. Mais il faut avouer que si l'on condamne ceux-ci on ne peut pour autant justifier les autres.

Les puissants de ce monde ont les yeux et le coeur fermés. Ils laissent l'argent dominer les rapports entre les hommes : les lois du marché gouvernent le monde. Dans le coeur des hommes, il prend la place de Dieu. Le mot «  musulman » signifie « soumis ». Abraham est le premier des soumis. Mais à quoi l'humanité aujourd'hui se soumet-elle ? A voir les effets de la mondialisation, les incompréhensions et les massacres qu'elle déclenche en Afrique ou ailleurs n'aurait-on pas intérêt à retrouver le regard d'Abraham ? Par-delà ce monde qui peut disparaître, par-delà toutes les idoles de notre siècle, par-delà les armes nucléaires et les cours de la Bourse qui s'effondrent, Celui qui est plus grand que tout continue à faire signe. Il appelle à la justice et à la paix.


Lorsque nos regards convergent

Certes, le regard d'Abraham, dans le Coran s'est porté sur les astres muets. Mais il a su également lever les yeux sans peur sur ceux qui l'entouraient, sur ses proches et ses contemporains. Il faut souligner son courage. Son père, nous dit-on était idolâtre ainsi que son peuple. Il sut leur faire face au risque d'être lapidé. Honorer Dieu et refuser les idoles revient à honorer la vie. Ceux que vous adorez « sont pour moi, dit Abraham dans le Coran, des ennemis en dehors du Seigneur de l'univers qui m'a créé et qui me guide, qui me nourrit et me donne à boire, qui me guérit lorsque je suis malade, qui me fera mourir et me rendra la vie. C'est de lui que j'espère le pardon de mes fautes au jour de la Rétribution » (Coran 26,75-82). Ces paroles sont pour nous aujourd'hui. Recevoir l'héritage d'Abraham grâce au Coran ou grâce à l'Evangile c'est permettre que se fasse la volonté de Dieu à laquelle il s'est soumis. Le Dieu d'Abraham veut que chacun soit nourri et abreuvé, que la maladie recule et que chacun puisse avoir un toit lorsque le froid fait mourir les pauvres dans les rues de Paris. Sans attendre le dernier jour nous faisons sa volonté lorsque, là même où nous sommes offensés, nous mettons le pardon. Le Dieu d'Abraham veut la vie et le bonheur de l'homme.

Musulmans et chrétiens, quand nous sommes lucides devant l'état du monde, lorsque nos regards convergent pour déplorer l'injustice et le gâchis qui abîment l'univers, lorsque nous refusons de nous résigner et lorsque nous joignons nos efforts pour changer la vie, nous manifestons que nous recevons le même héritage !

Mohammed Benali



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