Une loi à l'avenir incertain
Emmanuel Tawil
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Emmanuel Tawil est Maître de conférences à l’Université Paris II et Correspondant du Comité pontifical des Sciences historiques. Il décrit les points qui font douter du bien-fondé de cette loi et de son efficacité contre « le séparatisme ».

La très controversée loi confortant les principes de la République, auquel son avant-propos assigne pour objectif de lutter contre le séparatisme, a été promulguée le jour de la Saint Barthélémy, le 24 août 2021 (1). Elle prévoit la plus importante modification du régime des cultes depuis les lois du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907.

Le projet de loi avait été fortement critiqué par les organes consultatifs compétents en matière de protection des droits de l’homme, la Défenseure des droits (2) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (3). Le gouvernement ayant décidé d’avoir recours à la procédure accélérée, il a pu faire adopter son texte en lecture définitive très rapidement, malgré l’opposition résolue du Sénat. Le Conseil constitutionnel saisi par trois saisines parlementaires a censuré deux articles et posé plusieurs réserves d’interprétation (4).


La modification du régime des cultes

La loi touche en profondeur le régime des associations cultuelles. Une déclaration supplémentaire de l’associations cultuelle (5), qui s’ajoute à la déclaration initiale, est désormais obligatoire pour qu’elle puisse bénéficier des « avantages » liées à cette qualité (art. 69). Son renouvellement devra se faire tous les 5 ans. Le préfet peut y faire opposition dans un délai de 2 mois, et dispose de la faculté de retirer celle-ci. La difficulté tient à l’absence de définition des « avantages » en question, ce qui a pour conséquence la création « à côté des associations à objet cultuel de la loi de 1901 et de la loi de 1905, (d’)une troisième catégorie, celle des associations de la loi de 1905 ne bénéficiant pas des avantages propres à ce cadre législatif (6). » Les associations cultuelles seront soumises à de nouvelles formes de tutelle de l’administration qui pourra surveiller leur fonctionnement intérieur (art. 68) et leurs activités (art. 70 et s.). Par exemple, les associations cultuelles doivent désormais tenir une liste des lieux dans lesquels elles organisent habituellement l’exercice public du culte et seront soumises à de nouvelles obligations comptables assez lourdes.

En vertu de l’article 73 de la loi, ces nouvelles formes de tutelle s’appliqueront aux associations de la loi de 1901 qui, même marginalement, organisent une cérémonie cultuelle. Il leur reviendra de mentionner leur activité cultuelle dans les statuts. Plusieurs obligations tatillonnes inédites (liste des lieux de culte, obligations comptables etc.) pèseront également sur elles. Ce sont des milliers d’associations qui risquent d’être concernées (associations de gestion d’hôpitaux privés, associations caritatives, scouts etc). Le Sénat avait voté un amendement visant à écarter ces contraintes « lorsque leurs activités liées à l’exercice public du culte revêtent un caractère strictement accessoire (7) ». Le Gouvernement s’est farouchement opposé à cette amélioration du texte, et l’Assemblée nationale a rejeté la solution des sénateurs, pourtant raisonnable.


Le renforcement de la laïcité des services publics

D’autres dispositions touchent indirectement la laïcité. La loi renforce la neutralité de tout ce qui touche au service public, en interdisant toute manifestation des opinions religieuses par les personnes privées participant à l’exercice d’une mission de service public , même les sub-contractants de l’administration(art. 1). Elle prévoit une obligation de formation des fonctionnaires et créé un référent laïcité dans tous les services publics (art. 3 et 4).

Désormais, les associations de la loi de 1901 sont tenues de conclure un «  contrat d’engagement républicain » comme condition à l’obtention d’une subvention publique (art. 12) ou d’un agrément (art. 15). La loi élargit les hypothèses de dissolution des associations par décret en conseil des ministres des associations (art. 16). Elle établit un régime d’autorisation préalable à l’instruction en famille (art. 49) et restreint sérieusement la liberté des établissements scolaires hors contrat (articles 53 et et suivants.)


L’efficacité de la loi

L’on peut douter de l’efficacité de la loi du 24 août 2021 pour lutter contre le « séparatisme ». Ainsi, une déclaration préalable des financements étrangers s’impose aux associations cultuelles (article 77), aux associations de la loi de 1901 ayant un objet en tout ou partie cultuel (art. 73) ainsi qu’aux unions d’associations cultuelles (art. 72). Mais de s’extraire de son application sera fort simple puisque, l’article 4 de la loi de 1907 prévoit la possibilité d’exercer publiquement un culte par initiative individuelle. Il n’est donc pas obligatoire de constituer une association de la loi de 1905 ou une association de la loi de 1901. Pour cette raison, toute personne qui le souhaite peut sortir du champ de ces dispositions en ne créant aucune association.

Il en est de même de l’article 24 qui fait obstacle aux inégalités successorales entre homme et femme dans les successions internationales, mais qui n’aura d’effet qu’en l’absence de conventions internationale bilatérale qui bénéficiera évidemment de la primauté prévue par l’article 55 de la Constitution (8). Nombre des dispositions nouvellement adoptées seront donc sans effet…


La conformité de la loi à la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme

Le Conseil constitutionnel a été saisi de la conformité de la loi à la Constitution. Mais les saisines parlementaires n’ont pas envisagé le titre 2 de la loi, concernant les cultes. Le juge constitutionnel a censuré les dispositions de la loi qui donnaient au gouvernement la possibilité de suspendre des associations et le refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour aux étrangers rejetant les principes de la République, parce ce que cette notion était insuffisamment précise. Par ailleurs, s’agissant de l’instruction en famille, il a posé une réserve d’interprétation prévoyant que les autorités administratives qui se prononceront sur les demandes d’autorisation ne le fassent qu’au regard de la « capacité d’instruire » de la personne en charge de l’enfant, et du projet d’instruction en famille, qui devra comporter « les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. » (9)

Les doutes sur la conformité à la Constitution des dispositions relatives aux cultes pourront donc être soulevées dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. C’est particulièrement évident s’agissant de l’article 69 de la loi qui mentionne les « avantages propres à la catégorie des associations cultuelles prévus par des dispositions législatives et réglementaires. » Ces dispositions ont pour conséquence que le régime juridique des associations cultuelles sera fixé par voie règlementaire, ce qui constitue probablement une incompétence négative. De même, l’imprécision qui découle de ces dispositions pose une difficulté au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, elles ont pour portée d’interdire à des associations cultuelles déclarées conformément aux articles 18 et 19 de la loi de 1905 de bénéficier d’avantages, notamment fiscaux, dont la liste n’est précisée par aucun texte. Or, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour avoir violé l’article 9 alinéa 2 de la Convention en appliquant à des groupes sectaires des dispositions fiscales dont la portée était insuffisamment précise (10).

Compte tenu de ces remarques, l’avenir de la loi est bien incertain.

Emmanuel Tawil

1- L. n°2021-1109 du 24 août 2021, Journal officiel n°197 du 25 août 2021, Texte n°1. V° E. Tawil, « La loi de la Saint-Barthélemy », Gaz. Pal., 19 octobre 2021, p. 14.
2- https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=36228
3- CNCDH, 28 janvier 2021, Avis sur le projet de loi confortant les principes de la République, JO n°39 du 14 février 2021, Texte n° 51 ; CNCDH 25 mars 2021, Second avis sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, JO n°81 du 4 avril 2021, Texte 53
4- Cons. const. 13 août 2021, n°2021-823 DC, Journal officiel n°197 du 25 août 2021, Texte n°2
5- V° E. Tawil, « La loi de la Saint-Barthélemy », Gaz. Pal., 19 octobre 2021, p. 14.
6- CNCDH avis 28 janvier 2021, n°22
7- Art. 30 al. 3 du PJL voté en première lecture par le Sénat, 12 avril 2021.
8- Découle de l’article 55 de la Constitution la primauté des traités internationaux ratifiés et publiés sur les lois ordinaires y compris lorsque ces dernières sont postérieures. Toute disposition législative contraire à un traité répondant aux conditions de l’article 55 doit rester inappliquée ; en cas de contentieux, le juge écartera la loi.
9- Cons. const. 13 août 2021, n°2021-823 DC, Journal officiel n°197 du 25 août 2021, n°76-77
10- CEDH 30 juin 2011, Témoins de Jéhovah c/France, req. no 8916/05, § 49 ; CEDH 31 janv. 2013, Association cultuelle du Temple Pyramide c/France, req. no 50471/07 ; CEDH 31 janv. 2013, Chevaliers du Lotus d’Or c/France, req. no 50615/07 ; CEDH 31 janvier 2013, Église évangélique missionnaire et Salaûn c/France, req. no 25502/07

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