Xavier est Frère des Ecoles Chrétiennes. Son texte est moins une question qu'une réaction (impertinente... : il nous fait connaître l’inconfort des chrétiens dans l’Egypte d’aujourd’hui.
L’inconfort des musulmans dans notre pays dont ce dossier se fait l’écho est la seule réponse à lui donner.
En Egypte ou ici, les croyants authentiques ont à se donner la main pour construire des sociétés où l’on sait vivre ensemble.
Je distingue
deux islams
Nous recevons avec plaisir votre revue orange. C’est un bonheur de voir que musulmans et chrétiens s’expriment sans arrière-pensée et travaillent, grâce à une réflexion partant de situations concrètes (cf. les thèmes de chaque parution), à mieux se connaître.
Pourtant, vous n’avez pas réussi à expurger de ma tête une certaine prévention concernant l’Islam. Du moins, je distingue deux Islams : celui des musulmans libres et celui des musulmans coincés. En France, vous avez affaire aux premiers. Il y a de quoi admirer la beauté et la grandeur de leur vision de l’homme et de Dieu. L’Islam est source de vie spirituelle authentique, c’est un chemin vers Dieu. Il respecte la liberté de conscience. L’article de Mustapha Cherif du numéro 29 illustre cet esprit d’ouverture : j’ai beaucoup apprécié son commentaire sur le couple foi-raison (page 53).
Mais dès que le pouvoir est aux mains des musulmans, il y a tout lieu de craindre que liberté et raison soient étouffées. On a pu croire un moment qu’Islam et pouvoir civil étaient compatibles : la Turquie kemaliste, l’Irak et la Syrie du parti Baas, la Tunisie de Bourghiba. Cela n’a pas tenu. Les revirements dus aux fondamentalistes n’ont pas tardé. Les résultats politiques sont ce que nous savons et les femmes n’ont plus qu’à se couvrir.
En Egypte Nasser a jugulé les prétentions des Frères Musulmans mais Sadate leur a laissé la bride sur le cou. Depuis lors, la population est sous la coupe d’un « shadow government » qui s’exerce à travers de multiples mesures concrètes. La vie collective est profondément marquée par ce pouvoir occulte qui dicte les comportements et les façons de penser ou plutôt l’absence de pensée. Moubarak a été débordé, en dépit d’une répression souvent cruelle. La Révolution du 25 janvier 2011, partie de principes laïcs, a été débordée à son tour. La destitution de Morsi n’a rien changé sur le fond : comme disait Marx, le pouvoir politique n’est qu’une superstructure. Reste, sans tambour ni trompette, le pouvoir religieux – où la religion n’est qu’un prétexte -, omniprésent.
L'appel à la prière
J’en tire des exemples de la vie quotidienne. L’Appel à la prière se faisait autrefois du haut du minaret par la voix du muezzin. C’était humain, bref, beau, et même très beau. A présent, il s’accompagne d’oraisons interminables – parfois jusqu’à 45 minutes dans le village voisin aux 20 mosquées que j’entends la nuit de ma chambre. Surtout il se fait au moyen de hauts-parleurs d’une puissance souvent insupportable lorsque vous êtes dans une rue. Le soir, les intervalles entre les trois derniers appels étant assez courts, on a l’impression que cela ne finit pas. Ce sont de véritables hurlements qui n’épargnent ni les chrétiens ni les étrangers. Les torrents de décibels qui se déversent tous les jours – les coupures de courant ne font pas exception car le réseau est aussitôt relayé par des groupes électrogènes – constituent une chape de plomb et rend les gens incapables de contestation.
La dhimmitude est toujours d’actualité. Les chrétiens n’ont pas le droit aux cloches dans leurs églises. Ils n’ont pas accès aux postes importants des ministères et de l’armée. Si vous érigez une église, il y a de fortes chances qu’une mosquée nouvelle s’élèvera à proximité et se fera entendre. C’est le cas d’une école catholique du Caire : « ils » ont construit une mosquée donnant sur la cour. Leur intention était claire : les hauts parleurs fonctionnaient bien avant la fin des travaux. Professeurs et élèves n’ont qu’à se boucher les oreilles.
L'emprise musulmane
Dans les casernes, les recrues chrétiennes font le Ramadan comme les autres : les cuisines et les vannes sont fermées. Et de toutes façons, les casernes, comme les gares, ont leurs mosquées avec leurs hauts-parleurs vociférants. Dans les collèges et lycées, les professeurs d’arabe doivent être musulmans. En effet, la grammaire s’apprend exclusivement à partir de versets coraniques. Les jeunes chrétiens subissent ce paradoxe quasi schizophrène de devoir apprendre leur langue maternelle à travers les textes d’une religion qui les « dhiminue »… Les rames de métro ont deux voitures réservées aux femmes : « Elles me fusillaient du regard », me disait un jour une voyageuse qui n’était pas voilée. Les grands frères font la morale à leurs sœurs et les soumettent à une série d’interdictions : le rire, la danse, et que sais-je… Hier, un moine souffrant d’une hépatite me disait : « Tel remède, avec ma croix et tout ça, ils – les barbus – ne me le donneront jamais… »
Autrement dit, la charia, dans ce pays dit « modéré », nous y sommes. Le régime politique apparemment « cool » n’est que la partie émergée de l’iceberg. Tout le monde s’en prend à l’EI mais ignore le reste. Par exemple l’Arabie Saoudite : elle a le culot hypocrite de se joindre à la Coalition alors qu’elle-même tyrannise les femmes et coupe les mains aux voleurs. Bref, par rapport à la Charia, entre l’Etat du Califat et n’importe quel autre pays musulman, il n’y a pas de différence de nature mais de degré.
Voilà les pensées qui m’agitent. Je ne pourrais pas les exposer devant un groupe interreligieux, je me ferais lapider. Cela me soulage d’en faire part à quelqu’un bien informé et lucide. J’essaie de rectifier le tir en me disant qu’Henri VIII, une sacrée canaille, a fondé une religion. Cela n’empêche pas les Anglicans d’être sérieux. Et si l’Islam a un vice de forme, des millions de Musulmans, dans leur for interne, aiment le Seigneur et se conduisent sous la mouvance de l’Esprit-Saint.Xavier S.–
Xavier Subtil
Bayadeya - 16 novembre 2014