Témoignage de femmes musulmanes
offert aux chrétiens pour Pâques 2016
Leïla et les femmes de La Caravelle

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Nous l’appellerons Leïla. Elle travaille, au sein de la maison islamo-chrétienne, à La Caravelle (Villeneuve-la-Garenne). Elle y anime un atelier pour des femmes musulmanes que rejoignent épisodiquement des non-musulmanes. Leïla traduit ce que vivent les femmes qu’elle rencontre tous les jours. C’est leur manière de souhaiter aux chrétiens « Joyeuses Pâques » : elles espèrent recevoir le concours de chrétiens pour sortir de la peur mutuelle. Elles voudraient avec eux ouvrir un passage (une Pâque)…

Ce témoignage est également diffusé sur le site chrétien de « Dieu Maintenant » :
http://www.dieumaintenant.com/temoignagedefemmesmusulmanes.html

La peur grandit toujours davantage

Après les attentats de janvier 2015, les femmes que je rencontre ont eu très peur. Mais c’est encore bien pire après ceux de novembre dernier. Habituellement, nous craignons de sortir hors de notre banlieue mais nous nous sentons à peu près en sécurité quand nous sommes à Villeneuve-la-Garenne, Saint Denis ou Gennevilliers. Après les attentats de janvier, les femmes avaient peur de sortir même dans Villeneuve. Elles avaient peur de sortir de leur domicile. D’ailleurs leurs maris leur recommandaient de le faire le moins possible, juste pour ce qui était vraiment indispensable, par exemple les courses ou une consultation chez un médecin. Celles qui participent à notre atelier n’ont pas arrêté de venir : elles éprouvaient le besoin de se retrouver. Mais notre local est de plain-pied à l’intérieur d’une cité et nous fermions la porte à clef dès que la plupart étaient arrivées. Nous avions peur que, sachant qu’il y a des femmes voilées à l’intérieur, un fou pousse la porte et vienne nous agresser non seulement en paroles mais aussi physiquement. Progressivement le climat s’est détendu et nous avons cessé d’avoir autant peur. Nous avons à nouveau ouvert la porte du local. Et voilà qu’au moment où ça allait un peu mieux, tout a recommencé en pire avec les attentats de novembre dernier ! Cette fois les femmes ont été vraiment terrorisées. Beaucoup de celles qui portaient un voile noir ou bien ne sont plus sorties de chez elles, ou bien ont mis un voile de couleur, ou bien encore au lieu de porter leur voile sur le manteau le cachait dessous. Elles n’ont plus laissé leurs enfants aller à l’école tout seuls de peur qu’ils soient agressés. Il faut voir ce que c’est pour les femmes que d’être terrorisées pour elles-mêmes et de devoir sortir quand même pour protéger leurs enfants. Il faut comprendre le poids que portent les femmes lorsqu’il leur faut tous les jours ajuster leurs activités à l’emploi du temps de leurs enfants même déjà grands. C’est vraiment lourd, très lourd, trop lourd que de vivre ainsi dans la peur tous les jours. Ceci sous prétexte que, musulmanes, nous sommes complices du djihadisme.

Vous penserez peut-être que nous exagérons les risques. Parfois nous le pensons nous-mêmes. Et pourtant moi qui ne porte pas de voile, j’ai eu peur comme les autres. L’une d’entre nous, dans la rue, a vu un camion ralentir devant elle et le chauffeur l’a regardée en passant la main sur son cou pour dire qu’il fallait égorger les gens comme elle. A une autre, dans la file d’attente à la caisse du supermarché, quelqu’un dit violemment « Rentre chez toi ! » et personne ne réagit. Il est vrai que personne n’a été agressé physiquement mais on voit bien sur internet tous les propos violents contre nous. On voit aussi que les actes contre les musulmans ne cessent de se multiplier en France. Oui, nous avons peur ! Et aussi nous avons honte ! Honte de ce qu’on va penser une fois de plus de nous à cause de fous furieux ! Ils tuent des personnes innocentes qui assistent à un spectacle, sont tranquillement assises à la terrasse d’un café ou vont à un match de foot ! On aura beau dire que ça n’a rien à voir avec l’islam, que l’islam est une religion de paix, nous savons qu’on se méfiera toujours de nous tant que des terroristes sèmeront la mort au nom de l’islam.

De la peur à la colère

Après les attentats de novembre, les femmes de l’atelier avaient tellement peur d’être agressées dans notre local qu’on filtrait les entrées en fermant la porte à double tour après chaque entrée. Mais à l’intérieur ce n’était plus la peur mais la colère qui s’exprimait. Oui nous étions en colère contre ces fous de terroristes dont les actes se retournaient toujours de plus en plus contre les musulmans. D’abord contre les musulmans ! Comme si c’était nous avant tout qu’ils voulaient viser. Et voilà que ça recommence à Bruxelles ! Nous pleurons les morts de tous ces attentats. Nous souffrons avec ceux qui ont perdu un proche qu’ils aiment et que des fous ont tué. Mais nous avons aussi une grande colère contre les terroristes qui agissent pour donner aux non-musulmans des arguments pour se dresser contre nous !

On voudrait pouvoir vivre en paix. On voudrait qu’on cesse de se méfier de nous. Parmi nous il y a des femmes non voilées, d’autres qui portent un simple foulard, d’autres un bandana, certaines ont un voile salafiste. Chacune vit sa religion à sa manière et nous nous respectons entre nous. Vous savez, que l’on porte un voile ou non, nous avons toutes les mêmes difficultés avec l’éducation des enfants, le chômage, le fait de ne pas être considérées vraiment comme des françaises même si nous sommes nées en France. Aucune d’entre nous ne fait de politique. Aucune d’entre nous ne rêve que l’islam prenne le pouvoir en France… Ça c’est dans la tête de certains Français, mais c’est complètement en dehors de ce que nous vivons. Nous voudrions simplement avoir le droit en France d’être de confession musulmane, chacune à sa manière sans qu’on nous prête toujours des arrière-pensées. Même si la peur et la colère ont grandi chez nous après les attentats, nous devons reconnaître aussi qu’après novembre dernier nous avons davantage été soutenus qu’en janvier. Vous ne pouvez pas savoir quelle joie nous avons eu quand Obama, qui est chrétien, a pris notre défense ! On en a pleuré ! Enfin une personnalité politique de 1ère importance disait que les terroristes n’avaient rien à voir avec l’islam ! Des mosquées se sont ouvertes pour accueillir des non musulmans et créer des relations. Même si ça ne va pas très loin, c’est quand même mieux qui d’être regardés comme des suspects. Nous avions l’impression, après janvier, que les responsables religieux musulmans ne se mobilisaient pas assez pour nous défendre. Après novembre, ils ont fait des déclarations communes. Nous trouvons que les juifs, qui sont eux aussi très éprouvés, savent pourtant s’épauler quand un coup dur leur arrive. Les musulmans de la base se sentent souvent abandonnés. Nous l’avons été un peu moins peut-être après novembre mais il y a encore beaucoup à faire pour briser ce climat de méfiance.

Un climat d’exclusion

Je voudrais vous raconter une histoire personnelle mais qui reflète bien, il me semble, le climat qu’on trouve souvent en France, indépendamment de cette vague d’attentats. Mon mari est professeur de mathématiques dans l’enseignement supérieur, moi j’ai fait des études supérieures et je suis adulte relais à Mes-tissages. Nous avons deux enfants, l’une en CM2, l’autre au collège. A Villeneuve, des pavillons se sont construits le long d’une petite rue où, sur le trottoir d’en face (disons à droite) existaient des pavillons anciens habités par des « Français ». Nous avons eu la chance de pouvoir acheter l’un de ces nouveaux pavillons. Les autres ont été acquis par des arabes ou des africains qui avaient une situation culturelle et matérielle à peu près égale à la nôtre. Quand les gens du trottoir de droite ont vu que les pavillons d’en face étaient habités par des maghrébins ou des africains (même si en fait nous sommes Français !), ils ont exigé que soit construit un grillage au milieu de la rue pour qu’on ne puisse pas passer de l’autre côté. Et cela fut fait et cela existe toujours aujourd’hui. Du coup on ne peut plus, ni d’un côté ni de l’autre, manœuvrer une voiture dans cette rue déjà étroite ; on ne peut pas non plus accéder au garage construit dans chaque pavillon. Quel accueil !

Comment pouvions-nous réagir devant cette suspicion et cette mise à l’écart ? Nous avons choisi de dire bonjour à nos voisins d’en face à travers le grillage et nous avons demandé à nos enfants de le faire même s’ils n’avaient pas de retour. Petit à petit, les voisins se sont apprivoisés. Ils ont commencé à répondre à notre bonjour, puis nous avons échangé quelques mots, puis récemment alors que j’avais eu un accident qui m’obligeait à marcher avec des béquilles, l’une d’entre eux m’a proposé de conduire ma fille à l’école à ma place et elle l’a fait. Le grillage existe toujours mais il n’empêche plus la rencontre. Nous avons progressivement découvert qu’en fait leur attitude de départ avait été orchestrée par l’un d’entre eux. Ce personnage habite toujours dans cette rue mais il n’a plus de prise sur le voisinage. Il a fallu des années pour nouer des relations amicales. Il a fallu ne jamais répondre au mépris par le mépris, à la peur par le repli. Il a fallu une longue patience. Mais nous y sommes arrivés ! Cette attitude qui consiste à ne pas répondre à la violence par la violence, à la peur par le mépris est celle qui est demandée aujourd’hui en France à la majorité des musulmans. A long terme je crois que c’est la seule qui soit fructueuse mais il faut comprendre quels efforts quotidiens cela suppose pour ceux qui – mêmes s’ils sont français depuis plusieurs générations – ont une tête d’arabe, d’africains ou de musulmans.

« Les terroristes veulent nous diviser ! »

Nous pouvons comprendre que pour des Français d’origine européenne, la présence de musulmans et de musulmanes dont beaucoup sont voilées change le paysage. Nous comprenons que ce n’est pas facile pour eux non plus. Nous-mêmes faisons cette expérience depuis que de nombreux syriens viennent mendier à chaque feu rouge. Nous disons : « On ne s’y retrouve plus… nous ne sommes plus… en France ! ». Quelqu’un qui arrive avec sa culture, sa manière de s’habiller, sa religion différente forcément dérange les habitudes et le cadre de vie. Mais je crois qu’on peut décider les uns et les autres d’apprendre à se connaître et à s’estimer. Sinon nous donnons raison aux terroristes qui veulent nous diviser pour être les seuls à régner en faisant régner la peur des autres.

En France, on a construit des quartiers entiers habités à 80% par des musulmans. Dans ces quartiers, souvent il y a une violence bien plus grande que dans le centre des grandes villes française. Mais cette violence n’est pas due au fait que nous sommes en majorité musulmans. Elle est due au manque de débouchés professionnels pour les jeunes et pour les femmes. Elle est due au chômage, aux salaires très bas. Certains musulmans sont les premiers à envisager de déménager pour ne pas laisser leurs propres enfants être la proie de bandes. Mais partir pour aller où ? Dans une ville comme Villeneuve, les femmes ont leurs amies ; elles ont quand même un espace dans la cité où elles ne seront pas méprisées parce qu’elles portent un voile ; une solidarité existe. Aller vivre ailleurs, ce serait meilleur pour leurs enfants : cela leur permettrait d’échapper à la violence des bandes de jeunes. Mais si c’est pour que les femmes vivent sans amis, dans un environnement hostile, est-ce que ce ne sera pas pire au bout du compte pour elles et donc pour toute la famille ?

Je voudrais enfin vous raconter une dernière histoire. Dans l’atelier de Mes-tissages, des chrétiennes viennent régulièrement prendre part aux activités avec des musulmanes. Il y a peu de temps l’une de ces chrétiennes m’a dit : « Je me demande si les musulmanes ne se méfient pas de moi. En effet, elles ne me parlent presque pas. » Je lui ai répondu qu’elle se trompait et que les musulmanes ne lui parlaient pas parce qu’elle-même gardait le silence. Les musulmanes croyaient que ce silence était une sorte de mise à distance… presque de mépris parce que, peut-être, elles n’avaient pas de sujets de conversation assez intéressants. Ainsi chacune de son côté se faisait des idées sur l’autre et n’osait pas faire un pas vers elle. Alors que les unes et les autres en avaient le désir. Aujourd’hui elles sont sorties de ce malentendu et sont heureuses de pouvoir se parler librement de tout… et de rien. Elles sont heureuses simplement de se rencontrer. Il faudrait vraiment que ces lieux de rencontres se multiplient.

Leïla, au nom des femmes de La Caravelle


Tissage réalisé à partir d'une photo d'un village marocain
par les femmes de l'atelier de La Caravelle

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