Mystique
La maison du pauvre

Deux textes, deux traditions, un même message.

Le premier texte concerne la naissance de Râbi'a Adawiya, une mystique née à Basra au 8ème siècle.
Elle tient une grande place dans la tradition musulmane.

Le second est la transcription par un poète (Jean GROSJEAN) d'un passage de la Bible concernant le Prophète Elie.

Un même décor dans les deux cas : une maison pauvre.
L'une et l'autre s'ouvrent mystérieusement pour accueillir, en songe ou en réalité, un prophète de Dieu.
Lorsque plus rien n'est à partager, l'hospitalité révèle sa face cachée ; elle est oeuvre de Dieu et relève du miracle.

La naissance de Rabi'a



La nuit où Râbi'a vint sur terre, il n'y avait rien dans la maison de son père qui était très pauvre : pas même une goutte d'huile ni un morceau de tissu pour l'envelopper. Râbi'a était sa quatrième fille, c'est pourquoi lui fut donné ce nom (« la quatrième »). « Va demander à notre voisin un peu d'huile, que j'allume la lampe », dit sa femme. Or, le père avait fait voeu de ne jamais rien demander à personne. Il s'en alla donc, et se contenta de poser la main sur la porte du voisin, puis il revint. « Ils n'ouvrent pas la porte », dit-il. La pauvre femme pleura amèrement. Plein d'angoisse, le père s'endormit et vit en songe le Prophète.

« Ne t'afflige pas, lui dit le Prophète, cette petite fille qui vient de naître est une reine d'entre les femmes, qui priera pour soixante-dix mille membres de ma communauté. Va demain chez Isa-e Zadan, le gouverneur de Basra. Ecris sur un bout de papier ce qui suit : « chaque nuit, tu m'adresses cent bénédictions, et chaque nuit de Vendredi, quatre cents. Hier soir, était vendredi, et tu m'as oublié. En expiation, remets à cet homme quatre cents dinars légitimement acquis. »





Sculpture de Pierre de GRAUW, photo C.F.




Sculpture de Pierre de GRAUW, photo C.F.



Se réveillant, le père de Rabî'a fondit en larmes, écrivit ce que le Prophète lui avait dicté, et envoya le message au gouverneur par l'entremise d'un chambellan.

« Donnez au pauvre deux mille dinars en remerciement de ce que le maître se soit souvenu de moi », ordonna le gouverneur lorsqu'il prit connaissance de la missive. « Donnez aussi quatre cents dinars au sheikh, et dites-lui : 'Je souhaiterais que tu viennes afin que je puisse te voir. Mais je ne trouve pas convenable qu'un homme comme toi se dérange pour venir chez moi. Je préfèrerais frotter ma barbe sur ton seuil. Toutefois, je t'en adjure par Dieu, si tu as besoin de quoi que ce soit, fais-le moi savoir." Le père de Râbi'a prit l'or et acheta tout ce qui lui était nécessaire.

(« Anthologie du soufisme » ; Eva de Vitray-Meyerovitch ; p ; 206-207)





Chez la veuve de Sarepta



Elie s'assit aux portes de la ville. L'heure semblait ne plus bouger. A peine si rôdait encore un peu d'air sur les flots. Elie avait soif.

Une Sareptine sortit ramasser du bois mort. Il l'appela, il lui demanda d'aller lui chercher de l'eau à boire. Elle s'empressa d'apporter de l'eau.

Alors comme tout passant à qui on prête l'oreille, il demanda du pain. Il avait marché la veille et presque toute la nuit. Il n'avait dormi qu'un instant contre une baraque effondrée. Son jeûne qui lui aiguisait l'âme lui avait épuisé le corps.

La Sareptine lui dit : Vive Dieu, mais je n'ai rien. Je n'ai plus qu'une poignée de farine et un fond d'huile. Je vais trouver un peu de bois mort et préparer notre dernier repas pour mon fils et pour moi. Puis nous attendrons la mort, car voilà plus d'un an qu'il n'a pas plu, sauf peut-être une fois au loin sur la mer.





Sculpture de Pierre de GRAUW, photo C.F.




Sculpture de Pierre de GRAUW, photo C.F.



... Nous avons semé en vain, mon fils et moi, mais nos voisins qui auraient pu nous secourir n'ont rien récolté non plus. Nous avons ménagé jusqu'aujourd'hui le reste de nos provisions dans l'espérance de quelque miséricorde du ciel, mais puisque la sérénité du ciel ne se déride pas, il faut prendre le ciel comme il est.

Nous allons faire une fête, mon fils et moi, avec ce très peu de farine et d'huile que nous avons amenuisé jusqu'aujourd'hui mais qui ne peut plus guère fournir qu'une galette. Nous la mangerons ce matin dans le jardin à l'ombre de la maison, puis nous attendrons dans la lumière du ciel que l'ombre tournante de la mort vienne jusqu'à nous...

Elle n'arrêtait pas de s'expliquer comme quelqu'un qui en parlant songe à autre chose sans arriver à se décider. Car elle se demandait si elle ne donnerait pas une part de leur dernier pain à cet étranger, quitte à voir s'agrandir d'interrogation les yeux sombres de son fils.



... Elle disait : Regarde, à l'entrée du bourg, cette maison un peu seule dans son jardin sec, avec ce vieux bouquet d'immortelles pendu au montant de la porte, c'est notre maison presque vide, car tout ce qui pouvait se vendre ou se donner l'a été.

... Elie logeait dans la chambre haute. Tous les jours il partageait avec la Sareptine et son fils la fête d'un dernier repas, car chaque jour était le dernier. Chaque matin Elie dans la chambre haute ne demandait à Dieu que le pain de la journée. Il suffisait à la Sareptine d'aller racler la farine au fond de la terrine et de faire goutter de sa cruche un dernier filet d'huile pour obtenir le viatique du jour et la force d'atteindre le lendemain.

(Jean GROSJEAN - « Elie », p. 19-24)





Dessin de Pierre de GRAUW, photo C.F.

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