Mais où donc est Dieu ?
Michel Jondot
"... Contre le terrorisme" Page d'accueil Nouveautés Contact

Un des aspects les plus déconcertants des conflits en cours est leur référence à Dieu. On tue et on veut dominer en son Nom!
Les aviateurs qui en septembre 2001 démolissaient les Twin Towers étaient persuadés qu’ils entraient au Paradis. En 2003, G.Bush, le Président très croyant, considérait comme une croisade la guerre déclenchée contre l’Irak. Les armées du Tsahal sont persuadées qu’en envahissant les terres d’autrui, elles recueillent l’héritage promis par le Dieu d’Abraham. Quant au Daesch, il prétend soumettre l’humanité entière au désir d’Allah.
Les hommes religieux prêchent la paix!
Le Dieu unique semble appeler à la violence. Interrogeons-nous.


L’unicité de Dieu

En Mésopotamie, en 2006, une branche d’Al Qaïda se proclame « Etat islamique d’Irak ». En lutte contre les Etats-Unis, ils donnent une couleur confessionnelle à leur combat. Il s’agit de lutter, d’une part, contre la division entre chiites et sunnites et d’autre part de contraindre la cohésion des fidèles soumis à la sharia opposée à la démocratie occidentale qualifiée de « pourriture ». S’apprêtant à conquérir Baghdâd, et avant de s’élancer vers le Kurdistan après avoir conquis Kirkuk, Ninive et Mossoul, « l’Etat Islamique » se présentait au monde, le 29 juin 2014, comme l’authentique restauration du Califat. N’insistons pas sur la terreur djihadiste accompagnant cette proclamation : elle est assez connue. En revanche on peut s’interroger sur les raisons invoquées par le nouveau « Calife ».

Il s’agit de défendre l’unicité de Dieu ! Ceci suppose qu’au monothéisme musulman corresponde une humanité « unifiée » et monolithique. On considère alors non comme des personnes humaines mais comme des déchets ceux et celles qui refusent d’entrer dans cette humanité sans faille : ils sont à éliminer.

Le lieu d’où est proférée cette affirmation monothéiste n’est pas insignifiant. Cette Mésopotamie d’où parle Abou Baker Al-Baghdadi, le prétendu Calife, est précisément la région du monde où le monothéisme juif a pris naissance. Au cours d’une déportation à Babylone, sous le roi Nabuchodonosor, les élites judéennes sont à l’écart de leur terre. Epreuve hautement spirituelle ! Le Dieu des juifs, IHWH, n’est pas le dieu protecteur de son peuple, comme on le croyait. On n’en conclut pas qu’il n’est qu’une illusion. Bien au contraire : il est le Dieu de tous puisqu’il soutient les ennemis de son peuple lorsque ce dernier est infidèle ; il est le Dieu unique, le créateur unique. Reconnaître cette souveraineté s’accompagne d’un rejet de toutes les idoles que vénèrent les peuples étrangers et qui mettent en elles leurs espoirs.

« Je suis le même : avant moi aucun Dieu n’a été formé. Et après moi, il n’en existera pas. C’est moi qui suis IHWH. Quant à vous, vous êtes mes témoins. Et moi je suis Dieu (Is 43,10-12). IHWH le créateur du ciel et de la terre, c’est Lui qui est Dieu, celui qui a façonné la terre. Je suis IHWH ; Il n’en est point d’autre. » (Is 45,14-18)

Ces paroles attribuées à IHWH par un prophète dont on ne sait pas le nom (il a été rajouté au livre d’Isaïe) ont été prononcées dans cette Mésopotamie aujourd’hui déchirée par la référence au Dieu unique.

Quel contraste entre ce Dieu d’où jaillit la vie (« créateur du ciel et de la terre  ») et celui au nom duquel on provoque des tueries massives !

Trois religions se réfèrent au Dieu unique. Elles se sont rencontrées au Proche-Orient de façon violente au moins depuis le 20 mars 2003 quand Bush, le chrétien très croyant, envahissait l’Irak de Saddam Hussein pour mettre en place un nouveau gouvernement. A travers des conflits compliqués, les musulmans se déchirent. Les sunnites sont écartés du processus politique, créant les conditions pour que se mette en place, dans la suite irakienne d’Al Qaïda, le fameux Etat islamique qui s’en prendra aux ennemis de l’Islam  : les chrétiens d’Occident et toutes les familles religieuses de la région. Rencontre des trois monothéismes ! Folie !

Les événements du Moyen-Orient obligent à s’interroger.
Qu’est-ce que le monothéisme ? Qui est Dieu ? Où est Dieu pour les chrétiens ?


Par-delà monothéisme et athéisme

Chez les chrétiens, le siècle des Lumières a prétendu libérer l’humanité de ce despote divin. Il lui a substitué la raison. La déesse « Raison ! » En réalité, se replier sur des principes rationnels ou sur des dogmes révélés conduit aux mêmes désastres. L’Occident, cessant d’être chrétien, continuait à forger son unité et Bonaparte tentait d’étendre à toute l’Europe et jusqu’en Egypte les principes de la Révolution française. Bientôt s’ouvrirait la porte aux pires aberrations : « la montée des totalitarismes ». L’homme, devenu fou, a fait le rêve d’une société sans classe ou d’un monde constitué d’une seule race.

Nous sommes au siècle de la mondialisation. Triomphe du règne de l’Un  ! Les mêmes coutumes, les mêmes chansons, les mêmes nourritures, bientôt la même langue anglaise, se retrouvent d’un bout à l’autre du monde. Le seul modèle de l’argent règle les échanges entre les hommes et les peuples. L’oubli de Dieu n’a pas fait disparaître le fantasme d’une unité mortifère.

Même si, provisoirement en Occident, un monde sans Dieu fonctionne de façon moins dramatique que chez les populations du Moyen Orient, il faut avouer qu’il est emporté dans une logique assez semblable à celle de ce monde djihadiste qui veut englober l’univers au nom de l’unicité d’Allah.

Appelons « totalitarisme » ce phénomène qui consiste à vouloir envelopper, dans un seul et même tout, l’ensemble des humains et annihiler ceux qui ne veulent pas s’y intégrer. Reconnaissons qu’on ne peut demeurer dans un pareil ensemble sans être enfermés dans le discours officiel de ceux qui détiennent le pouvoir : il ne permet aucune contradiction. Tenir un discours chiite dans l’Etat islamique conduit à la mort. Tenir un discours chrétien ne sera possible qu’à certaines conditions posées par ceux qui dominent. Parler et décider de sa vie en fonction de sa conscience ou de convictions particulières est incompatible avec le monothéisme qui s’est imposé à la piété juive aux jours d’épreuve de l’Exil.


Purifier la foi au Dieu unique

Le nom de Dieu s’est purifié lors des épreuves de l’Exil. L’heure est peut-être venue, pour les croyants monothéistes, de sortir des fausses images qu’ils se sont forgées de Celui qu’ils appellent Seigneur.

En même temps qu’il se révèle comme unique, IHWH se manifeste comme source de vie. Autrement dit son unicité ne va pas sans autre que lui-même  : la création ; son unicité ne va pas sans altérité. Cet apparent oubli par les religions, musulmane au Proche-Orient ou juive en Israël, est peut-être la cause de ces déviations de l’humanité que connaît le fameux Califat ou que connaît aussi le pays d’Israël écrasant les populations palestiniennes.

De retour sur sa terre après l’Exil, dépourvu de tout pouvoir politique ou militaire, le monde juif s’efforça de reprendre ses traditions et de les repenser à la lumière de ses découvertes spirituelles que juifs et chrétiens considèrent comme des révélations. Entre IHWH inaccessible et ce monde où vivent l’homme et la femme, s’insère (dans le principe et non dans le déroulement proprement dit de l’univers) le travail de la parole. « Dieu dit » : les mots prononcés distinguent la lumière et la nuit et permettent de compter les jours ; ils distinguent le haut et le bas, les oiseaux du ciel, les animaux rampant ou courant sur la terre, les poissons de la mer. Ainsi s’exprime le livre de la Genèse pour dire la création.

Après sa rencontre avec Jésus, en qui le chrétien voit la révélation du Dieu invisible, le premier mot de Jean l’apôtre pour témoigner de son expérience est pour approfondir cette intuition : « Dans le principe était la Parole et la Parole a pris chair. » Lorsqu’entre deux ensembles humains la parole est impossible, lorsque les épées et autres armes sont les seuls moyens de communiquer et de se situer les uns par rapport aux autres, on s’enferme dans le totalitarisme ; lorsqu’un ensemble se replie sur soi ou s’agrège ceux qui l’entourent, la parole disparaît et l’humanité est à l’écart de Dieu. En revanche, que s’effondrent les murs qui clôturent un camp et que s’ouvrent, en même temps, les oreilles de ceux qui l’occupent, un chemin se dessine qui débouche sur la vie. La création se prolonge et Dieu n’est pas loin.


« Qui est Dieu ? »
« Où est Dieu pour les chrétiens ? »

Nous commencions notre réflexion à partir de ces questions. A coup sûr, Dieu n’est pas là où l’humanité se replie. A coup sûr, du moins dans la conception que devraient en avoir les chrétiens, on Le reconnaît dans le travail où s’opère l’ouverture d’un ensemble humain sur ce qui l’entoure. Lorsque cet ensemble est fermé à l’intérieur de ses principes et de son langage, lorsqu’il nie ce qui l’entoure, lorsqu’il refuse de vivre avec ce qui l’environne ou lorsqu’il se l’assimile, il génère la mort et n’est plus créateur. On reconnaît le travail de Dieu, l’acte de création, dans l’ouverture qui se produit à l’intérieur des groupes, des couples, des familles, des nations... des religions ( !) pour permettre que la parole surgisse, qu’elle appelle ou qu’elle réponde et qu’ainsi la vie soit relancée. On reconnaît Dieu là où, au cœur de l’humanité, on se tourne les uns vers les autres pour inventer l’avenir. On reconnaît Dieu là où, loin de chercher à sauvegarder une unité, on se tourne vers les autres, tous les autres, quels qu’ils soient et d’abord les plus démunis, pour les rejoindre et les entendre.

Certes, nous faisons partie d’ensembles particuliers qui nous définissent. Mais lorsqu’on prend soin de ne pas être prisonniers de cet ensemble, lorsque nous refusons que cet ensemble soit le tout, lorsque nous nous tournons vers ce qui dépasse le tout, nous sommes alors ouverts sur « l’uni-vers-el » de la création sans cesse à venir et nous rejoignons les Hébreux découvrant le mystère de IHWH lorsque l’Exil les avait fait sortir de leurs frontières.

On reconnaît son travail, peut-être, mais où est-Il ce Dieu unique?
Prétendre le saisir serait encore sombrer dans l’illusion : Il sera toujours plus loin que ce que nous aurons atteint et il laissera encore à désirer. On reconnaît son travail mais qui est-il ? Tenter de répondre serait encore se méprendre. Dire qui est quelqu’un, c’est le définir. Dieu, l’in-fini, ne peut être dé-fini. On peut seulement entrevoir que l’être est dépassé par l’amour dont la parole, qui permet aux humains de se rejoindre et de créer l’avenir, est l’instrument. C’est bien le travail de l’amour que nous découvrons lorsque la parole permet que des groupes ou des sujets humains se rejoignent et communiquent plutôt que de s’exclure. Parler d’un Dieu unique n’est peut-être pas faux. Mais une condition s’impose : si ce Dieu aime, il ne peut subsister hors de la multiplicité des êtres capables d’aimer et d’être aimés. Son œuvre se reconnaît là où « l’amour commande». Son unicité ne va pas sans d’autres à aimer et qui l’aiment.


Le chemin de la parole

D’autres que les croyants, sans doute, sont capables d’aimer aux dimensions de l’univers et de reconnaître que, quand ils se laissent emporter par l’amour de l’humanité, ils sont fidèles à leur condition. Juifs, chrétiens et musulmans, nous nous référons au Dieu découvert en Exil, aux heures de l’épreuve. En quoi ceci nous distingue-t-il du reste de l’humanité ?

D’abord, répétons-le, il est important de reconnaître que notre civilisation est enfermée dans un système où chaque chose et chaque personne sont réduites à leur valeur monétaire. L’argent est la mesure de tout et tend à devenir ce à partir de quoi chacun mérite considération : quel drame pour celle ou celui que le chômage contraint à la pauvreté ! Quel drame et quelle humiliation pour les peuples les plus démunis ! Croire en l’amour, croire qu’en aimant ou en étant aimés on échappe à cet enfermement fait naître l’espérance. Se tourner vers autrui pour entendre ses appels ou pour implorer son secours, trouver la parole où l’on sera compris, laisse deviner qu’un monde de gratuité peut advenir. Quant au croyant qui se laisse prendre dans ce mouvement, s’il découvre au cœur de ces échanges que la parole qui va des uns aux autres en s’ouvrant sur l’universel est passage de Dieu, il prend conscience de sa dignité ; il sait qu’il est le bien aimé de Dieu.

Mais d’autre part, s’interroger sur l’avantage qu’il y a à reconnaître Dieu au cœur de nos relations humaines est-il une question vraiment pertinente ? Si l’on estime qu’un ensemble humain doit être respecté pour lui-même et s’il y va du sens de la vie à se tourner vers l’autre homme ou l’autre peuple, pour l’entendre, lui répondre ou lui parler, la question de la croyance devient secondaire même s’il est bon d’en être pour autrui le témoin. A en juger à partir de la cohérence chrétienne, lorsque, pour parler comme Aragon, «  Celui qui croit au ciel » rencontre « celui qui n’y croit pas », le comportement le plus humain consiste à prendre le chemin de la parole pour inventer la vie, la transformer, la recréer. Entre les uns et les autres l’amour surgira pour le bonheur des uns et des autres.


Fils d’Abraham : le monothéisme et l’universel

était en visite, le Pape François faisait entendre que l’islam n’est pas source de violence. Il en appelait aux responsables de tous les pays musulmans pour qu’ils fassent entendre leur voix ; ils ont à désolidariser leur religion des courants alimentant le terrorisme. Ce disant, il se faisait l’écho de notre ami Mustapha Chérif ; ce dernier s’exprime depuis le début des persécutions qui abîment le Proche-Orient. Mustapha parle clair et fort pour protester contre ceux qui confondent le prétendu djihad et la religion musulmane. Le mot «  médian » (1) qu’il utilise, désigne le dépassement « des postures contradictoires pour choisir toujours l’ouvert sur le fermé ». Ce mot, si nous le comprenons bien, est la clef qui résume sa pensée. Il désigne, semble-t-il, une brèche dans la totalité. L’Algérien s’en prend au philosophe Abd-El-Nour Bidar qui reproche à ses coreligionnaires de se tenir à l’écart de la modernité occidentale. Il refuse de se confondre avec ce système qu’on appelle « globalisation » et qui enferme la planète dans un modèle unique. L’argent y commande les relations entre les humains plus sûrement que les causes dominent les effets qu’elles produisent. Le monde ne peut, sans risque de se détruire, s’enfermer dans cette totalité qu’il désigne par le mot « amalgame ». Plutôt que de chercher la « totalité », visons l’universalité au sens que nous avons dit : l’ouverture de la vie dépassant les frontières qui nous enserrent et promettent des temps nouveaux. A ce propos, l’auteur précise que « le Prophète prône une fraternité universelle sans discrimination »(2). Il ajoute : « L’universel est notre horizon. » (3)

Le philosophe algérien est-il conscient que, prononçant ces mots, il est dans la cohérence du Dieu d’Abraham tel qu’en parlent la Bible et le Coran ?

Découvrant que IHWH n’est pas enfermé dans les frontières d’une nation, les exilés de Babylone le conçoivent, en même temps, comme le Dieu de leur père. L’histoire d’Abraham, en effet, illustre la pensée de Mustapha Cherif. Le récit de la Bible dit ce qui sépare le Patriarche de son pays et de sa famille d’une part et le pays qu’il doit rejoindre, d’autre part. Le chemin qui joint les deux lieux est assez semblable à la distance spirituelle qui, au Proche-Orient, sépare la maison d’une famille sunnite et celle d’une famille chrétienne ou chiite. Le respect de cet écart n’est-il pas la condition de la paix que, pendant des siècles, les uns et les autres ont respectée ? Nous avons constaté, dans l’acte de création, l’importance de la parole  : elle ouvre l’avenir. Cette ouverture est le point-de-vue à partir duquel l’horizon s’élargit aux dimensions de l’universel. Elle est peut-être aussi celle qui permet d’espérer le surgissement des générations. La Bible comme le Coran insistent sur la place du fils d’Abraham, Ismaël ou Isaac. La mort les menace mais la promesse l’emporte : « Je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable qui est sur le bord de la mer »

« Le Prophète prône une fraternité universelle sans discrimination »... «  L’univers est notre horizon »...Comment ne pas voir, dans les paroles du musulman, un écho du livre des Juifs ? Comment oublier que les chrétiens font leurs les pages de la Genèse ? Juifs, chrétiens et musulmans affirment croire au Dieu unique référé à Abraham.

Ils sont frères, d’une certaine façon. Mais pourquoi ont-ils si souvent vécu en frères ennemis ? Pourquoi aujourd’hui le terrorisme fait-il des ravages, au Proche-Orient ou en Palestine? Sans doute parce que le mot « Dieu » est mal compris. Cette incompréhension tient à la confusion entre ce qu’on appelle « universel » et ce qu’on appelle « totalité ». L’universel ouvre à ce qu’on ne connaît pas encore et qu’il faut tenter de rejoindre non pour l’annexer mais pour le découvrir, l’entendre ou l’appeler. La vie et la vérité de Dieu ne sont jamais dans un camp mais dans le passage d’un camp à un autre : dans le lien qui les joint et qui est appelé à devenir amour.

A bien y réfléchir, le drame du « califat » tient au fait qu’on a rendu confessionnel un conflit. Aux politologues de nous dire s’il a des raisons d’être. Mais si les moyens de régler les problèmes consistent à annexer, si les armes et la violence se déploient, ce ne peut jamais être au nom de Dieu. Si nous croyons en Dieu, soyons humains, simplement humains. Etre homme c’est aimer. Aimons selon nos moyens ; tournons-nous les uns vers les autres. Sans doute, ce faisant, nous arrivera-t-il de trouver la haine et l’injustice mais en cherchant les moyens de nous rejoindre sans recourir à un Dieu justicier, nous échapperons aux dangers d’un «  monothéisme » qui fait de Dieu un être imaginaire et cruel.

Michel Jondot


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