L'expérience d'une musulmane
Fatima Chbibane
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Enseignante et poète, Fatima prend conscience,
en faisant l’expérience du dialogue islamochrétien,
qu’il faut, devant autrui,
échapper à la tentation de paraître mieux que l’on n’est.


Sans mensonge ni hypocrisie

Lorsque Michel Jondot, mon ami du dialogue islamo-chrétien – dialogue mensuel commencé il ya trois ans entre quelques musulmans et chrétiens de Vanves et de Malakoff – m’a téléphoné fin septembre 2011 et demandé de lui écrire un texte ou un article dans lequel je devais répondre à la question «qu’est-ce qu’être vrai ?», il m’a aussitôt rappelé les questions philosophiques que me posait mon professeur de philosophie en classe de terminale quarante années auparavant. Certes, je sais pertinemment qu’il n’est nullement question d’une dissertation philosophique. En revanche, je crois que mon ami Michel Jondot attend de moi un point de vue de la femme musulmane que je suis. Je vais donc tenter de définir ce que représente pour moi « être vrai » dans la vie personnelle, dans les relations avec les autres. De même que j’essaierai de répondre aux questions suivantes : que nécessite « être vrai » ? Qu’exige cela de l’individu et de son entourage ? Est- il facile d’être constamment «vrai» ? Qu’apporte-t-il particulièrement à l’individu lui-même, aux autres et à la société en général ?

D’après la définition du dictionnaire le Petit Robert, le verbe être signifie avoir une réalité, c’est exister alors que l’adjectif qualificatif vrai désigne ce qui présente un caractère de vérité ; ce à quoi on peut donner son assentiment. La notion de vrai s’oppose à faux, illusoire ou mensonge. « Etre vrai » est, par définition, un état dans lequel l’individu ou l’objet existe tel quel dans toute sa vérité et dans toute sa réalité. Quand il s’agit d’un homme c’est un état où celui-ci avance sans voile, ni masque ou fard. Il se présente ainsi tel quel. Autrement dit, il est lui-même assumant ses failles, ses faiblesses et ses fragilités autant que sa force, sans jamais perdre de vue qu’il est un être humain et qu’en tant qu’humain, fait de chair et de sang, il est par essence faible.

En effet, être vrai c’est se présenter tel quel en toute authenticité, sans hypocrisie ni mensonge. Un individu est authentique quand il reste toujours égal à lui-même. Il demeure constant et surtout en accord avec lui-même ; en osmose avec sa façon d’être et de faire. En accord non seulement dans ses pensées, mais aussi dans l’ensemble de ses actes dans l’Ici et le Maintenant. Il assume naturellement ses décisions car elles correspondent profondément aux principes qu’il a établis dans sa vie. Ces principes émanant de son éducation, de ses croyances et de ses expériences personnelles et dont il est convaincu, lui garantissent une réponse qui sera toujours en accord avec ses valeurs morales. Elles lui permettent, par ailleurs, de réagir conformément à ce qu’il est en toute circonstance et de contribuer dans le cadre de ses valeurs. Il a un rapport défensif à l’égard de sa religion et de ses valeurs morales telles l’amour, le respect, la tolérance, l’honnêteté, et la justice.



Le rapport à la morale

Sachant que les religions nous dictent des comportements exemplaires inspirés des conduites des prophètes et basés sur la recherche du bien, la patience, la miséricorde et la maîtrise de soi face à la colère, à l’orgueil, à la vantardise et à la rancune, le croyant fonde ainsi toute sa spiritualité sur la recherche constante de la satisfaction divine, en tout acte. Dans ses relations avec les autres, il tente de viser l’excellence et de se purifier le cœur des biens matériels qui risquent d’altérer son cheminement spirituel. Pour atteindre cet état de perfection, le croyant musulman doit être vrai c’est-à-dire il doit rester lui-même et être honnête avec lui-même. Car il est impossible d’être honnête avec les autres si l’on n’est pas d’abord honnête avec soi-même. Pour y parvenir, l’individu doit accepter de tourner son regard vers soi et regarder ses propres angoisses et ses colères. Telles sont quelques parts sombres de soi qui dérangent et qui semblent les plus difficiles à accepter pour tout un chacun.

Le prophète Mohammed fait de la religion musulmane un comportement. Aussi, par comportement, il entend une bonne conduite, une bonne morale de vie. Tout ce qui fait d’un individu quelqu’un de «bon » et de vertueux et qui permet la vie en société.

De mon instruction religieuse à l’école primaire, je retiens l’idée que le mensonge est une maladie de l’âme que l’on attrape facilement si l’on ne craint pas Allah et que «Dieu ne dirige pas celui qui est pervers et menteur» (40l: 28 ) Et parmi les caractères nobles de l’homme est que tout musulman doit édifier sa vie autour de la vérité de sorte qu’il ne dise que la vérité et n’agisse que selon la vérité. Allah n’aime pas les menteurs ; il dit (3 :61 ) « La malédiction de Dieu tombe sur les menteurs».

Dans mon expérience personnelle des rencontres islamo-chrétiennes au sein du groupe de Malakoff Vanves, j’ai noté, avec regret, qu’il y avait au tout début quelques mensonges de part et d’autre. Cela me parut évident et normal car personne ne connaissait l’autre et sa religion comme il le faut. Par ailleurs, quelques participants essayaient de démontrer que leur religion et ses pratiques étaient les meilleures ; d’autres critiquaient soit des rites soit des comportements ou même le code vestimentaire de certains musulmans par exemple. Mais, lorsque nous avons tous compris que nous nous rencontrions pour mieux nous connaître et notamment parce que nous avions la foi en Dieu - quel que soit le nom qu’on lui attribue - que nous étions tous des enfants d’Abraham et que la base de notre spiritualité était la même, c’est-à-dire la recherche constante du Bien, le dialogue - un dialogue à cœur ouvert, empreint de vérité, d’honnêteté, de sincérité et de respect mutuel - est alors devenu possible et la rencontre aussi.


Un retour sur soi

Evidemment, c’est grâce à la vérité et à la sincérité que les hommes peuvent dialoguer, se connaître, échanger et construire des liens solides ; le mensonge ne peut que fausser la donne. D’autre part, très souvent, un regard à l’intérieur de soi, une bonne introspection et une bonne connaissance de soi, de ses propres sentiments et de ses propres limites permettent à l’être humain de surmonter la crainte, la honte ou la peur par exemple et de réussir à créer une vraie rencontre avec soi et avec autrui.

En effet, la connaissance que l’on a de soi, de ses pensées, de ses actes et de ses sentiments est ce que l’on appelle la conscience. Cette capacité de faire retour sur soi-même est aussi et toujours conscience de soi. Cette conscience de soi fait de l’homme un sujet capable non seulement de penser la réalité du monde qui l’entoure mais aussi de distinguer le Bien du Mal et d’apprécier moralement ses actes et ceux d’autrui. D’où découle la conscience morale. Manifestement, quand il y a concordance entre ce dont on a conscience, ce que l’on éprouve et le message que l’on transmet à l’autre, on peut dire que l’on a atteint cet état de vérité qui est proche de la probité et de l’intégrité.

En outre, être vrai repose sur le respect de soi et le respect des autres. De même qu’il repose sur le fait d’éviter de faire du mal ou de porter des jugements hâtifs ou sans fondement et aussi sur le fait d’aimer pour autrui ce que l’on aime pour soi. Le respect consolide les relations humaines et les enrichit. Il y a conviction que la vérité, le respect et aussi l’amour et la tolérance sont des valeurs sûres qui permettent la transcendance et la plénitude de même qu’elles favorisent le vivre ensemble et vivre intensément nos sentiments et pouvoir réinventer nos relations.

Certes, être est le contraire de paraître. Un musulman qui ne prie ou jeûne par exemple que pour que les autres perçoivent une bonne image de lui n’est pas un vrai croyant en ce sens qu’il n’est pas convaincu. Etre vrai pour moi, c’est présenter, à juste titre, une image conforme de soi en se montrant assidu et spontané même si dans la spontanéité l’être risque des déconvenues sociales. Etre vrai c’est apprendre le langage de la vérité, celui aussi du dialogue serein. C’est apprendre l’alphabet de la communication sans mensonge, débarrassée de toute violence, de toute offense et de tout mépris. Ecouter l’autre et accepter qu’il exprime ses opinions et ses émotions. Créer un espace où circulerait une parole libre, franche et sincère entre moi et ceux que je côtoie. Etre vrai c’est être dans un état particulièrement favorable puisque nourrissant pour l’individu et la relation qu’il tente de tisser. L’individu atteint cet état quand il ya concordance entre ses actes et ses pensées.

Choisir la vérité

Il y a indéniablement un certain bonheur, une joie à être vrai dans la mesure où cet état enrichit et simplifie la vie de l’individu et de son entourage. Cette façon d’être, cette façon de voir et de faire, pousse les autres à faire autant. Si l’on est vrai, ce n’est pas pour obéir à un dogme ou à quoi que ce soit. On est vrai parce que c’est un choix personnel de vie simple et harmonieuse. Simplicité d’abord de pouvoir vivre dans la société sans charge sur les épaules et surtout sans hypocrisie et sans être obligé de recourir au mensonge ou de se mettre dans des situations inconfortables. Et harmonie car, en étant vrai, on a cette capacité d’aimer et la possibilité d’être aimé en retour. On ne colporte pas de grief sérieux mais, en revanche, on entretient des relations amicales et familiales heureuses, respectueuses et surtout authentiques.

Fatima Chbibane




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