Les persécutés de Mossoul
Jean-Michel Cadiot
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Jean-Michel a suivi de près, comme journaliste, l’évolution des persécutés de Mossoul. Voici ce qu’il nous en disait le 27 novembre 2014.


Le froid pour des millions d’Irakiens et de Syriens réfugiés ou déplacés

ombreuses villes irakiennes, et consolider son emprise sur l’est de la Syrie, c’est le début de l’hiver et du froid pour des millions de réfugiés, de déplacés irakiens et syriens, en particulier les minorités chrétiennes, yézidies, turkmènes et arabes chiites.

Malgré les efforts de l’UNICEF, de pays comme la France, de différentes églises, aucune solution n’est trouvée pour assurer le retour chez eux ou garantir un avenir en particulier pour 300.000 chrétiens reclus, entassés dans des églises ou des écoles du Kurdistan irakien, ou partis dans le sud du pays, et aux dizaines de milliers de Yezidis qui vivent dans des conditions effroyables dans les montagnes du Sinjar. Tous les jours, des femmes Yezidies - la religion yézidie, monothéiste, est inspirée de l’ancienne religion iranienne -, qui n’ont pu s’échapper, sont vendues à de soi-disant « djihadistes » qui ont droit de vie ou de mort sur elles.

A Mossoul, la ville de Jonas, tous les lieux de culte non sunnites, toutes les églises chrétiennes en particuliers ont été détruites ou servent de dépôt aux soldats de l’Etat islamique. Les femmes ne peuvent sortir que vêtues d’une burqa - inexistante sous Saddam Hussein - et accompagnées de leur mari ou de leur père. Il n’y a plus aucune vie sociale.

Toutes les minorités sont opprimées. Environ 30.000 chrétiens ont envoyé une demande d’asile. Près de 3.000 sont étudiées par la France. 400 visas ont été accordés. Le fait nouveau, c’est que des familles françaises, à Grenoble et à Lille notamment, se sont proposées pour accueillir de telles familles qui doivent réapprendre à vivre.


Une mobilisation internationale inadéquate

Ce qui se passe depuis le 10 juin, la prise de la seconde ville d’Irak, c’est l’épouvante, et la mobilisation internationale ne semble pas à la mesure de cette tragédie.

Les Etats-Unis qui, par la guerre de Bush en 2003, ont fait le lit d’Al-Qaïda - comme ils l’avaient fait en Afghanistan - ont décidé de réagir en août, en lançant des frappes massives avec le soutien de la France et du Royaume Uni et de quelques autres pays. Mais ces frappes n’ont jusqu’ici produit que très peu de résultats, si ce n’est la reprise partielle du barrage de Mossoul et d’un des 13 villages chrétiens - Telskoff - de la vallée de Ninive, conquise le 7 août, sans réaction aucune des peshmergas kurdes.

L’ambiguïté des relations avec le régime de Bacher el-Assad, qui est pourtant de facto devenu un allié, empêche toute action réelle en Syrie, que les Américains bombardent néanmoins.

L’émotion gagne l’opinion presque exclusivement quand se produisent d’effroyables décapitations d’otages occidentaux relayées dans les réseaux sociaux - cinq jusqu’ici, américains et britanniques, journalistes ou travailleurs d’organisations caritatives. Il en demeure une vingtaine, dont un prêtre italien. Cette émotion est d’autant plus forte que plusieurs milliers de citoyens occidentaux, dont un millier de Français, souvent des « convertis » selon le gouvernement, non seulement combattent, mais participent à ces exécutions.

Qui sont ces jeunes ? Nous en voyons venus de Normandie, élevés sans aucune référence musulmane, pas toujours repérés auparavant par la police. Ces jeunes, selon leurs proches, abasourdis, se sont lancés dans cette effarante aventure le plus souvent sans rien savoir de ce qui les attendait, après un lavage de cerveaux via les réseaux sociaux. Peu reviennent car ceux qui veulent s’échapper sont maintenant découverts et tués.

Ce drame a des implications multiples. Aux yeux des puissances occidentales, c’est la « lutte contre le terrorisme », bien sûr légitime, mais sans aucune prise en compte de l’expérience, dans l’incompréhension totale des réalités politiques et humaines qui se sont manifestées notamment par la dissolution de l’armée irakienne et de l’interdiction de Baasistes dans la Fonction publique.

Ces mesures de l’administrateur américain Paul Bremer, en mai 2003, ont totalement ruiné les capacités du pays à se reconstruire et à se défendre. Elles ont permis à Abu Bakr al-Baghdadi, un homme autrement cultivé et stratège que Ben Laden - et riche aussi par ses prises de guerre - de s’assurer une certaine complaisance de grandes familles sunnites en Irak tant les sunnites y avaient été spoliés et sous l’occupation américaine et sous le régime mis en place à Bagdad en 2003. Devenu le 29 juin, à Mossoul, « calife Ibrahim » il applique les méthodes les plus atroces qu’ait connues l’Irak.

Pour sa « coalition », et c’est une des grandes contradictions de ce conflit, une des impasses, les Etats-Unis s’appuient politiquement surtout sur leurs alliés arabes traditionnels, notamment l’Arabie saoudite... Or, ce que fait l’Etat islamique - décapitations, refus de toute pratique religieuse non-musulmane, absence de droit des femmes, application stricte d’une « charia » version salafiste, sans rapport avec le véritable islam - c’est exactement ce que prône et pratique l’Arabie saoudite.


Une nécessaire coalition

Ce « califat », autre aberration, parvient facilement à exporter le pétrole via la Turquie. C’est comme si le brigandage était combattu en aidant le brigand !

Il faut donc plus que jamais une vraie mobilisation, à laquelle soient associés notamment, non seulement les alliés arabes des Occidentaux, mais l’Iran dont les frontières sont, quels que soient les torts du régime, le rempart contre l’Etat islamique, et encore la Russie, malgré le différend sur l’Ukraine. L’enjeu est mondial. Mais il ne semble pas, étrangement, que les libérations de Mossoul et de Raqqa - en Syrie - soient une priorité pour les Occidentaux. Car la situation politique empire de jour en jour. Maintenant, malgré le départ d’al-Maliki, l’ancien Premier ministre chiite très communautariste, l’Irak vit une situation d’épouvante. Bagdad est menacé. Des attentats s’y produisent quotidiennement. Et surtout les villes de Falloujah, Ramadi et Samarra ainsi que de Tikrit, proches, sont occupées ou encerclées par les soldats d’al-Bahgdadi. En Syrie, l’Etat islamique a pris nettement le pas sur le Front al-Nosra, «  officiel » héritier d’Al-Qaïda, mais dont la plupart des « militants » ont rejoint al-Baghdadi. Les combats entre ces deux groupes ont fait 8.000 morts ! C’est désormais la minorité kurde qui est particulièrement frappée.

Le conflit ne se limite plus au Proche-Orient. L’Etat islamique a désormais des affidés en Egypte et en Algérie - où un otage français a été assassiné. Et au Nigeria, le groupe Boko Haram, qui fait régner la terreur au nord-est du pays, enlevant des centaines de lycéennes, mariées elles aussi de force, a montré, sinon son allégeance du moins sa « sympathie  » pour l’Etat islamique.

La guerre est aussi médiatique. L’occasion est trop belle chez certains pour faire porter à la religion musulmane elle-même le poids de cette monstruosité. Or al-Baghdadi ne retient aucune des nombreuses sourates du Coran appelant à l’entente avec les non-musulmans, au pardon, au respect de l’autre. Son « islam » est condamné par toutes les écoles musulmanes du monde, excepté quelques imams salafistes.

Cette tragédie doit justement être une occasion pour les croyants de se rapprocher contre cette nouvelle « bête immonde » qui s’est propagée au su et au vu de tous.

Jean-Michel Cadiot


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