Les affaires "autour" de Tariq Ramadan

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S’il est un personnage qui soit à la fois contesté et adulé, c’est bien Tariq Ramadan. Le procès qui lui est fait suscite des réactions diverses ou même opposées. Nous avons réussi à nous parler de cette affaire en vérité avec une extrême bienveillance.
Cet échange a eu lieu avant la mise en examen de Tariq Ramadan.

On a voulu réduire Ramadan au silence

Claire : L’affaire « Ramadan », me semble-t-il, risque d’ébranler le monde musulman de France davantage que ne l’ont fait les attentats perpétrés par DAECH. En effet, l’ensemble de la population française sait que l’islamisme guerrier préconisé par DAECH ne représente qu’une infime minorité des musulmans de France. En revanche il me semble que l’islam tel que l’expose Ramadan représente ce que croient 80% des musulmans. Qu’en pensez-vous ?

Ibrahim : Je ne sais pas si Ramadan est ou non coupable des exactions sexuelles qu’on lui attribue. Mais, bien avant ces accusations, on voyait venir une « affaire Ramadan ». Depuis plus de vingt ans, il tenait des discours très écoutés par les musulmans de France. Il parlait sans précautions diplomatiques. Devant la liberté qui était la sienne, on attendait un événement qui le ferait tomber. Certains responsables du pays ont tout fait pour le réduire au silence ; on se souvient de cette émission de Télévision où Sarkozy reprochait à l’islam son comportement traditionnel à l’égard des femmes musulmanes. Ramadan commençait à réagir pour exposer sa position. Il s’apprêtait à dire les démarches qu’il avait entreprises pour mettre fin à la lapidation des femmes adultères dans certains pays, comme l’Arabie Saoudite. Sarkozy ne l’a pas laissé terminer sa phrase  ; il s’est lancé dans une critique véhémente sans entendre ce que son vis-à-vis voulait dire. Les journalistes ont appuyé celui qui était alors ministre de l’Intérieur en coupant l’antenne. Responsables politiques et pouvoirs médiatiques se sont mis d’accord pour discréditer l’islam. Il suffit de comparer les discours de Manuel Valls et de Caroline Fourest ; ils sont tous les deux protagonistes d’un même combat pour discréditer l’islam. Tous les deux étaient partis en guerre contre Ramadan. On ne peut pas ne pas faire le rapprochement entre leurs discours et cette affaire. Mais, évidemment, s’il est coupable de viol il doit être condamné.

Deux plans à distinguer

Jean : Quand on parle de Tariq Ramadan, à mon avis, il faut distinguer deux plans : d’une part l’intellectuel qui s’exprime sur l’islam, d’autre part l’affaire actuelle concernant son comportement aves des femmes.

On peut être d’accord ou non avec les idées de Ramadan sur l’islam. De son côté il a le droit de parler de l’islam comme il le fait. Mais, que l’on soit ou non musulman, on a le droit d’exprimer un accord ou un désaccord avec ce qu’il dit. On ne peut pas laisser entendre que le fait de ne pas être d’accord avec Ramadan est de l’ordre d’un complot, en France.

Il faut distinguer ce point d’un deuxième : Ramadan est accusé par plusieurs femmes de viols et d’agressions sexuelles. Là, c’est à la justice de déterminer si ces accusations sont fondées ou non. En attendant le jugement, il bénéficie comme tout le monde d’une présomption d’innocence. Il n’est pas vraisemblable que les pouvoirs en place, politiques ou médiatiques, aussi critiquables soient-ils, prennent le risque de porter une accusation fausse. La justice est indépendante ; elle fera son travail et si, dans cette affaire, elle découvrait une manipulation quelconque, elle ne s’y laisserait pas prendre. Les conséquences en seraient trop graves.

On ne peut pas laisser entendre qu’il s’agirait d’un « complot » fomenté par les médias et des politiques en France contre Ramadan et donc contre l’islam qu’il représente. Que les médias s’emparent de cette affaire, que certains disent leur désaccord avec l’islam de Ramadan, c’est un fait. Mais c’est aussi leur travail. On peut être en désaccord avec les propos des médias mais on n’a pas le droit de les empêcher de s’exprimer. La liberté d’expression fait partie des Droits de l’homme, tels que la France les conçoit ; elle doit être respectée.

Ibrahim : Les accusations portées contre Ramadan sont peut-être justes. La justice en décidera. Mais, ce qui est sûr, c’est que les musulmans de France trouvaient, en sa personne, une personnalité de valeur. Philosophe, Professeur d’Université, même s’il était souvent critiqué, il était pris au sérieux par des intellectuels comme Edgard Morin ou par Edwy Plenel. On n’a plus de personnalité importante dont on puisse être fier.

Ramadan est dangereux !

Pierre : Mais Ramadan n’est-il pas quand même un personnage dangereux pour la France ? Il plaide pour un islam de France très ostentatoire dans la société, alors que la laïcité française considère que la religion doit se pratiquer dans la sphère privée. En fait, Ramadan vise à faire advenir en Europe un islam régi par la Shari’a. C’est d’ailleurs ce qui fait naître chez beaucoup de Français une certaine angoisse. Il donne l’impression de vouloir que toute la France devienne musulmane et se soumette à la Shari’a. Le roman de Michel Houellebecq a beaucoup de succès. Il imagine qu’en 2022, un musulman sera élu à la Présidence de la République française. L’université où il enseignait devient une institution islamique ; la Shari’a s’impose à tous, la polygamie est autorisée, le vêtement des femmes fait l’objet d’une législation sévère. Pour pouvoir garder son poste, il est contraint à la conversion. Au moment des élections présidentielles, Ramadan a recommandé aux musulmans de s’abstenir et leur a annoncé la création dans l’avenir d’un parti musulman. Il est vrai qu’il y a eu en France la « démocratie chrétienne ». Mais que recouvre, dans l’esprit de Ramadan, un « parti musulman » ? Sera-t-il démocratique ou utilisera-t-il la démocratie pour d’autres fins ?

Ibrahim : Les musulmans de France sont sans cesse suspectés de chercher à prendre le pouvoir. Or c’est totalement faux. Hormis quelques personnes dont le nombre est insignifiant, nous sommes tous d’accord pour défendre la laïcité française, c’est-à-dire la séparation des pouvoirs entre politique et religion.

Farid : Vous parlez de la Shari’a comme nous l’entendons tous à travers les médias et aussi de la bouche de certaines personnes musulmanes (surtout) ou non musulmanes. Les deux types de personnes sont malheureusement ignorants des cinq objectifs de la Shari’a (en arabe : maqacidou achriaa) qui sont : Le droit de croire ou de ne pas croire / Le droit à la vie / Le droit à la propriété privée / Le droit d’être intelligent en accédant à des études comme tout le monde / Le droit à la succession de l’espèce.

J’ajoute que la majorité des pays musulmans n’applique pas ces objectifs, pour ne pas dire aucun pays. Dans notre pays la France l’applique quand elle est en cohérence avec ces valeurs et avec elle-même.

Ibrahim : il n’est pas exact de dire que Ramadan vient convaincre les musulmans de se soumettre à ses pensées. S’il fascine les musulmans, c’est parce que ceux-ci pensent ce qu’ils entendent de sa bouche. Ils ne se soumettent pas à lui, ils se reconnaissent en lui ; ce qui n’est pas la même chose.

On est tombé sur lui

Djamel : Je voudrais relativiser le phénomène TARIQ RAMADAN. Il est vrai qu’il est apprécié par une grande majorité de musulmans et d’autres d’ailleurs. Cependant il serait faux de lui attribuer un rôle ou fonction hors normes. Celui-ci, dans le microcosme intellectuel musulman, ne fait pas l’unanimité. Quant au complot à titre personnel et comme d’autres je n’adhère pas à cette défense mesquine. Cependant, il est vrai que l’occasion de lui tomber dessus n’a pas manqué. Mais j’attends de la justice qu’elle fasse la lumière. Si les accusations sont avérées par voie judiciaire, vu leur gravité, pour ma part la crédibilité de Ramadan sera moindre et il perd sa légitimité.

Rachid : Je voudrais faire remarquer que Tariq Ramadan n’est pas français mais suisse. Les musulmans ont de grandes difficultés à trouver un (ou plusieurs) portes parole de la communauté qui ait grandi, vécu en France et qui soit de nationalité française.

Paul : Quels sont selon toi, les facteurs pouvant être la cause de ce problème ?

La place des médias

Rachid : À mon (humble) avis les médias y sont pour beaucoup. Ils sont souvent qualifiés de 4ème pouvoir. Dans un monde idéal, ils devraient délivrer les informations de façon neutre et les interpréter de manière équilibrée. Mais ces médias appartiennent d’une part à une minorité de milliardaires, d’autres part ils sont souvent déficitaires. Ceux qui y investissent, n’étant pas des philanthropes, cherchent à avoir un retour idéologique sur investissement. Je sous-entends, bien évidemment, que la plupart des médias sont loin d’être pro-musulmans et que par le passé nous avons eu droit à de belles campagnes contre nous ! Ce facteur me semble le plus massif. Je reste persuadé que beaucoup de médias influencent l’opinion publique et pour une communauté jeune il est difficile de faire le poids face à cela (néanmoins je dois avouer et je le dis souvent que cela s’est bien calmé).

Francis : Je trouve que vous vous déresponsabilisez peut-être un peu facilement en accusant une fois de plus les médias. Mais plus fondamentalement, pourquoi les musulmans ont-ils besoin d’un leader pour se reconnaître ? Ne feraient-ils pas mieux de s’organiser à la base, de créer un réseau entre les mosquées ?

Ibrahim : Au niveau local nous n’avons pas besoin de leader il suffit d’avoir de bonnes relations avec la municipalité comme c’est le cas à Gennevilliers. Quand des problèmes se posent autant du côté musulman que du côté de l’ensemble des citoyens, nous en parlons avec les représentants de la municipalité. Nous réglons les problèmes au cas par cas. Ceci n’est possible que parce qu’il y a une grande confiance entre eux et nous.

Mais au niveau national, ce n’est pas si simple. Plusieurs associations se sont constituées au fil des 20 ou 30 dernières années et se sont affiliées dans un pays où l’islam n’était pas encore reconnu. Elles se sont regroupées en fonction de leurs origines ethniques. Les Algériens se sont retrouvés autour de la Grande Mosquée de Paris, les Marocains autour de la Fédération Nationale des Musulmans de France ; les Africains, eux aussi, ont leur fédération, ainsi que les Turcs. L’Union des organisations Islamiques de France (UOIF) réunit des associations diverses, venues de diverses régions. Toutes ces institutions sont soumises à des influences contradictoires venues des pays d’origine. Quant à l’UOIF, elle est associée aux Frères Musulmans.

Savoir se regrouper

Francis : Les protestants non pas plus de hiérarchie que les musulmans. On a plusieurs courants dans le Protestantisme  : Luthériens, Réformés, Évangélistes, anabaptistes… Ils réussissent à se mettre d’accord, malgré leurs différences, pour se regrouper au sein d’une même structure, l’ERF (Église Réformée de France). Entre vous tous, existent des points communs permettant de faire naître une plateforme commune. Pourquoi ne pas s’organiser pour regarder ensemble une situation qui vous concerne tous ?

Ibrahim : Entre autres raisons de se concerter, il faut souligner la nécessité de se situer par rapport aux pouvoirs politiques. Les différents ministères de l’Intérieur se sont efforcés de créer des institutions représentatives. Cela a commencé avec Louis Joxe, sous l’ère de François Mitterrand. Charles Pasqua a lancé l’idée d’un « Conseil représentatif de l’islam de France  ». Chevènement a lancé une consultation (Ischitirat) qui a jeté les bases du « Conseil Français de Culte Musulman ». C’est avec Nicolas Sarkozy qu’il fut mis en place. Il est composé de personnalités élues au plan national et au plan régional. Le mode d’élection est assez original : le nombre des électeurs est fixé en fonction de la surface des lieux de culte. La question de la présidence a fait difficulté. Au départ, il y avait une certaine rivalité entre la Grande Mosquée et l’UOIF. Celle-ci s’est retirée en 2013 : ceci est d’autant plus regrettable qu’elle est la structure qui fédère le plus grand nombre de musulmans. Elle essaie de réintégrer le CFCM.

Face aux pouvoirs politiques

Francis : Tout cela c’est de l’institutionnel. Ce n’est pas à ce niveau-là que peut se régler le problème.

Claire : On peut se féliciter que des relations se tissent entre musulmans et avec les pouvoirs publics à un niveau local. Mais il me semble absurde de penser que tout peut se résoudre à ce niveau. C’est un peu comme si tu disais qu’il suffirait que des associations locales luttent contre l’ultra libéralisme pour que celui-ci disparaisse. Il est évident que les musulmans sont pris dans des relations nationales et internationales qui les dépassent et qui empêchent que se forge un islam de France venant de la base.

Farid : Dès qu’on dépasse le niveau local, on est bien obligé d’envisager quelque chose d’institutionnel pour assurer la représentativité de la communauté musulmane en France. Et là, des tensions existent avec les pays d’origine qui veulent avoir de l’influence, que ce soit la Turquie, l’Algérie, le Maroc, etc.

Claire : Et quand le Président de la République décroche des contrats avec le Maroc, il décroche aussi… la formation des imams au Maroc !!! C’est vrai pour l’Arabie Saoudite, le Qatar, etc.

Rachid : J’ai fait partie de la consultation du ministre de l’intérieur de l’époque de M.CHEVENEMENT qui a vu naitre l’idée du CFCM. Il fonctionne « mi-figue mi-raisin » mais il a le mérite d’exister. Cependant il représente peu les musulmans. Une évolution dans la manière dont on élit ses représentants, entre autres, serait à revoir.

L’exemple de la mosquée En Nour

Ibrahim : C’est vrai, il faut le reconnaître : l’existence du CFCM ne règle pas les problèmes de l’islam de France. A Gennevilliers, nous n’avons guère recours à lui, même si nous respectons ses décisions, par exemple pour la date d’entrée en Ramadan.

En réalité rien ne peut se faire sans une volonté commune à la population musulmane et au pouvoir politique. L’existence de l’association Ennour de Gennevilliers est un bon exemple de ce à quoi on peut aboutir. Malgré des différences entre nous, on peut s’entendre et organiser notre vie religieuse dans les meilleures conditions. Ceci est le fruit d’un travail de plusieurs années. On avait sept salles de prière marquées par des histoires, des origines et des sensibilités différentes. Il a fallu créer une double concertation : entre les fidèles et avec les responsables municipaux. Il fallait d’une part savoir ce que nous attendions et le faire connaître ; par ailleurs il nous a fallu faire face à des responsables municipaux qui ont su nous écouter, nous comprendre et nous rejoindre.

À un niveau national, on ne trouve guère de responsables ayant le souci d’entendre la communauté musulmane dans sa diversité. On écoute seulement des personnages qui se plient à la volonté des autorités et adoptent un comportement moins dicté par leurs appartenances que par souci de plaire au pouvoir. Le comportement du responsable de la Mosquée de Drancy, l’Imam Chalghoumi, illustre bien ce phénomène. Les médias lui donnent la parole à propos du moindre événement concernant la communauté musulmane alors que les fidèles ne se reconnaissent pas en lui, dénoncent son incompétence en matière religieuse et sont honteux d’être représentés par un personnage grotesque et incompétent. Certes, les musulmans de France ont des difficultés à se regrouper mais il faut reconnaître que tout irait mieux si on cessait d’être trop souvent les mal-aimés du pays.

L’équipe des Thés de Gennevilliers

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