Le purgatoire aujourd'hui
Christine Fontaine
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Dans les Évangiles, Jésus parle du Ciel (ou plutôt des Cieux) et de l’enfer mais il n’est pas question du purgatoire. Cette notion a émergé au cours de l’histoire dans l’Église catholique. Elle a pris une grande place dans cette spiritualité à partir du XIIème siècle. Nos grands-mères y croyaient encore hier. Elles considéraient le purgatoire comme un lieu de souffrances, plus ou moins grandes selon le bien et le mal commis durant leur vie terrestre. Aujourd’hui un grand nombre de catholiques refusent l’idée même de purgatoire : elle leur semble induire que Dieu serait davantage le Juge Suprême qu’un Père qui pardonne. Peut-on croire au purgatoire aujourd’hui ? Telle est la question que se pose Christine Fontaine.


« Père pardonne-leur »

On attribue au Pape François des propos sur l’enfer qui ne sont probablement pas de lui mais qui pourraient aller dans le sens de son orientation générale. Il aurait déclaré récemment : « L’Église ne croit plus en un véritable enfer où les gens souffrent. Cette doctrine est incompatible avec l’amour infini de Dieu. Dieu n’est pas un Juge mais un ami et un amant de l’humanité. Dieu ne cherche pas à condamner, mais seulement à embrasser. (…) L’enfer est simplement une métaphore de l’âme isolée, qui, comme toutes les âmes, seront finalement unies dans l’amour avec Dieu. »

On peut légitimement douter que le pape ait tenu des propos qui semblent aller contre l’existence de l’enfer maintenue traditionnellement dans l’Église. Cependant notons que s’il est traditionnel de parler de l’enfer, il n’en est pas moins traditionnel – dans l’Église catholique – de croire qu’il peut être vide. Pour ma part, je crois qu’aucun être humain ne peut être voué à des tourments éternels. Je le crois à cause de la parole de Jésus qui, juste avant de mourir, s’écria « Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » L’enfer est le lieu de ceux qui aiment faire mal en prétendant que c’est bien et qui agissent ainsi en toute connaissance de cause. Or c’est de ceux-là dont Jésus parle lorsqu’il déclare « qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ». L’enfer est vide, je le crois, parce que Jésus a imploré le pardon de son Père sur tous les pervers narcissiques. Jésus connaît le cœur des hommes et il sait que nous ne savons pas ce que nous faisons en aimant ce qui cause notre malheur ou en prenant Dieu pour le démon !


Par-delà notre mort

À la déclaration (prétendue) du Pape François, certains ont répondu : « En tous cas, les petits-enfants des déportés qui conservaient l’espoir qu’il y ait au moins un Dieu juste Juge sont déçus. Dieu ne jugera pas... et même pas Hitler. » Effectivement, s’il n’y a pas d’enfer pour Hitler qu’en est-il de lui après sa mort ? Va-t-il directement au ciel, dans ce lieu de bonheur sans fin comme s’il n’avait rien fait ? S’il en est ainsi les actions d’un homme ou d’une femme n’ont aucune importance. Nos actes, nos choix, nos désirs et nos amours n’auraient alors aucun poids et notre existence terrestre deviendrait totalement inconsistante. Si l’enfer est vide, le purgatoire redonne de la consistance à nos existences humaines. Grâce à la notion de purgatoire, ce que nous faisons durant notre vie terrestre n’est pas insignifiant.

Selon moi, le temps de la vie terrestre est celui où nous avons la liberté de dire oui ou non à Dieu c’est-à-dire à l’Amour. Ce peut être le temps du déni où nous nous aveuglons sur nous-mêmes. Après notre mort Dieu reprend la main : nous ne pouvons plus ne pas voir. Autrement dit, après notre mort Dieu ne change pas. Il demeure Père. Affirmer qu’il est Juge, c’est apprendre à bien juger par nous-mêmes et grâce à lui ; c’est-à-dire à discerner les moments où nous avons pris la route de la vie et ceux où nous nous sommes trompés – sciemment ou non – de chemin. Thérèse de Lisieux demandait à Dieu de ne pas lui laisser le choix de lui dire non pendant sa vie terrestre. En effet, elle aimait la liberté et elle avait découvert que refuser Dieu – ou refuser d’aimer en vérité – c’est être esclave de soi-même. Parler de purgatoire – en christianisme – c’est affirmer un temps – hors temps - où Dieu ne nous laisse plus la liberté d’être les esclaves de nous-mêmes. Le purgatoire, en ce sens, est la première marche du ciel. Il appartient au ciel puisqu’il atteste de la victoire ultime de Dieu sur toute existence humaine.

Le purgatoire est-il un lieu ou un temps de souffrance ? Il me semble que la question est mal posée. Reprenons l’exemple d’Hitler. Pendant toute sa vie terrestre, il s’est déclaré le chef incontestable d’une race supérieure. Il trouvait alors sa joie dans sa toute puissance et la moindre contestation de son pouvoir le faisait souffrir. Après sa mort, il entre dans le temps de Dieu : il ne peut plus ne pas reconnaître sa perversion et les millions de morts qu’il a faits avec ses acolytes. Il souffre enfin d’avoir tant fait souffrir et devient reconnaissant pour ceux qui lui ont résisté. Il passe alors d’une souffrance mortifère à une souffrance vivifiante. Dieu ne lui demande pas de réparer le mal commis, il répare Hitler en ne l’autorisant plus à ne pas voir quel malheur il a suscité.


Du déni à la reconnaissance

à la reconnaissance. Chacun est en même temps dans la joie de voir enfin clair et dans la souffrance de devoir sortir d’une folle inconscience. Les saints partagent la souffrance des pécheurs et les pécheurs se réjouissent avec les saints. Au bout du compte, chacun de nous sera l’enfant prodigue qui découvre, en entrant dans la Demeure de Dieu, que son Père et ses frères du ciel n’ont fait qu’espérer sa présence et qu’ils l’attendent pour célébrer le festin !

« Au ciel, disait Thérèse de Lisieux, nous découvrirons que nous nous entre-devons tous quelque chose. » Et nous nous en réjouirons enfin ! Entre le moment où nous croyons que le bonheur consiste à ne dépendre de personne et celui où nous découvrons que nous ne vivons pas sans les autres ni sans l’Autre dont le nom – pour les croyants – est Dieu… il peut se passer un certain « délai ». Ce temps peut être celui de la vie terrestre. Mais malheureusement pas pour tous et pas toujours. Le purgatoire nous permet de sortir de ce malheur. Il nous permet d’entrer dans le temps de Dieu, le temps du « jamais les uns sans les autres » représenté par le ciel !


Justice-miséricorde

Dans le temps des hommes, nous avons une certaine notion de la justice et nous en avons également une de la miséricorde. Mais nous avons du mal à ne pas les opposer. Ou plutôt à les penser ensemble. Nous pouvons concevoir qu’il y ait un temps pour la justice et un temps pour la miséricorde mais ces temps, dans notre esprit, sont différents. Selon notre conception du bonheur – ou selon les injustices que nous subissons – certains sont portés à espérer que le dernier mot revienne à la Justice de Dieu, d’autre à sa Miséricorde. Si le dernier mot de Dieu est à sa Justice, il est normal de croire que l’enfer n’est pas vide et qu’il est au moins réservé à des personnes comme Hitler. Si Dieu est d’abord miséricorde, il est normal de croire que tout le monde va au ciel directement. Le purgatoire est une tentative pour penser l’impensable pour nous : la Justice et la Miséricorde en même temps et non successivement. Dieu est en même temps Justice et Miséricorde, il est par-delà leur opposition sans nier leur contradiction ! Impensable pour nous ! Toute tentative d’en parler sera toujours à côté et pourtant nous ne pouvons pas ne pas nous parler : la parole échangée entre nous, cette parole qui cherche à faire la vérité sans jamais l’atteindre, fait la grandeur de l’humanité. Elle est, pour les croyants, passage de Dieu – mais d’un Dieu qui nous échappera toujours – au milieu de nous.


Par-delà le temps des hommes

Que dire du purgatoire si ce n’est qu’il signifie le lieu-hors lieu et le temps hors temps où nous entrons dans le temps de Dieu : celui où Justice et miséricorde diffèrent en même temps qu’elles sont liées. La dernière parole de Jésus en croix - « Père pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font » - est peut-être celle qui nous permet d’approcher au plus près de ce « par-delà justice et miséricorde  » que nous appelons Dieu. En effet, serait-il juste de condamner définitivement des personnes qui en vérité sont au moins partiellement inconscientes de ce qu’elles font ?

En résumé je dirais que le purgatoire appartient à ce qu’évoque la métaphore du ciel puisqu’il fait entrer dans le « hors temps » de Dieu. Il est l’un des cieux dont Jésus-Christ parle au pluriel quand il déclare : « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux. » Mais surtout, au bout du compte, je crois que tout ce que nous pouvons dire du ciel, du purgatoire et de l’enfer est de l’ordre de l’imaginaire, nécessairement mythique. Ce qui ne veut pas dire que ce soit faux. L’imaginaire des hommes est intimement lié à la conception du monde qui se forge dans une société particulière. L’imaginaire du Moyen Âge n’est pas le même que le nôtre. Cette différence oblige les croyants à repenser leur foi avec les concepts forgés par la société dans laquelle ils vivent. Ce que nous pouvons dire aujourd’hui du purgatoire est à la fois lié à et profondément différent de ce qu’on pensait à l’époque médiévale. On penchait alors davantage vers la Justice en Dieu sans pour autant nier la miséricorde. Nous penchons probablement aujourd’hui davantage sur la miséricorde quitte à oublier la justice. D’autres viendront après nous qui tenteront à leur tour de dire l’indicible, de penser l’impensable de notre Dieu Juste et Miséricordieux…

Par-dessus tout, je crois - avec les générations qui nous ont précédés et avec celles je l’espère qui suivront - que ce que nous découvrirons après notre mort dépasse tout ce que nous pouvons en dire, en imaginer ou en concevoir… Je fais confiance à Dieu pour nous donner infiniment plus que ce que nous imaginons… sinon il ne serait pas le Dieu de la Bonne Nouvelle en qui nous croyons !

Christine Fontaine

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