La vie est dure !
Kenza
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Quand on a une fille à éléver et qu' on ne dispose que de 560 euros par mois,
comment peut-on vivre ?
Kenza, une maman de 37 ans a répondu à nos questions.


Peux-tu te présenter et nous dire quels sont tes revenus ?

Je m' appelle Kenza, je suis maghrébine et je vis en France depuis 1992. J' ai une fille de 11 ans. Je suis séparée du père de ma fille. Elle est avec moi en semaine et elle voit son père le week-end. Ma fille me rend très heureuse.

Jusqu'au mois de mars dernier je vivais avec le RMI, 560 euros par mois. Depuis mars 2008 je travaille à l' association « Mes-tissages » à la Caravelle. J' entretiens le matériel et je fais le ménage des deux locaux. Je travaille 13 heures par semaine et je gagne environ 450 euros net par mois. J' espérais trouver un autre travail pour compléter mon salaire mais je n' y suis pas encore arrivée. L' Etat me donne le complément pour que j' aie l' équivalent du RMI, soit environ 100 euros par mois. J' ai donc toujours 560 euros par mois, comme avant. Mais je travaille et pour moi c' est très important. Certaines femmes disent : « ce n'est pas la peine de travailler parce qu'on ne gagne pas plus et on perd des avantages comme par exemple les transports gratuits.» Moi j'aime travailler. Je me sens comme tout le monde et je préfère.

Je ne touche pas de bourse pour ma fille. C'est son père qui la reçoit. Je fais des démarches pour la toucher mais je ne suis pas sûre d'y arriver parce que je ne comprends pas toujours bien tout ce qu'on m'explique.

Pour le logement, j'habite une ville du 92 avec ma fille dans un petit studio d'environ 20m². J'ai les « allocations logement » mais il me reste à payer 210 euros par mois. Je suis contente d'avoir trouvé cet appartement même si c'est cher pour moi. Voilà avec quoi ma fille et moi nous vivons.

Peux-tu nous dire comment tu gères ton budget ?

Je paye toujours d'abord mon loyer parce que c' est juste, soit donc 210 euros. Il faut ajouter le gaz, l'eau et l'électricité soit en moyenne 100 euros par mois. Je dois aussi payer 25% de la carte orange, ce qui fait 18 euros par mois. Et aussi la cantine de ma fille, 30 euros par mois en moyenne. Alors, tu fais le compte : j'ai tous les mois 210 euros + 100 euros + 18 euros + 30 euros de dépenses fixes. Ca fait 358 euros. Sur les 560 euros que je gagne, il me reste 202 euros pour deux personnes.Ca fait 3,30 euros par jour et par personne pour tout le reste, sauf les jours où ma fille est chez son père parce qu'alors il la nourrit. Avec cette somme il faut manger, s'habiller, payer des produits pour l'entretien du linge et de la maison.

Et comment fais-tu pour t'en sortir ?

Je me débrouille mais c'est très dur. Avant l'euro ça allait mieux. Surtout depuis un an, tout a beaucoup augmenté.

Mais je voudrais dire d'abord que je ne me plains pas. Il y a des gens beaucoup plus malheureux que nous. Moi, j'ai un toit sur la tête. Tiens, il y a quelques jours par exemple, j'ai parlé dans la rue avec un Français qui n'avait même pas de maison. Il était jeune pourtant ; il a divorcé et tout s'est cassé pour lui. Maintenant il a perdu son emploi et il a déposé les affaires qui lui restent dans une église à saint Denis. Il dort dans la rue et il ne peut même pas se laver. Moi je suis maghrébine ; j'ai tous mes papiers en règle mais la France n'est pas mon pays et je me dis que c'est moi qui ai fait le choix de venir. Lui, il est français ; il n'a pas ailleurs où aller. Je trouve que ce n'est pas juste ce que fait la France pour lui.

D'autres sont plus malheureux, peut-être.
Mais toi, comment arrives-tu seulement à manger avec si peu d'argent ?

Quand je vais au marché et que je vois le prix des fruits et des légumes, je passe des heures à voir s'il n'y a pas un marchand qui est moins cher et, la plupart du temps, je ne trouve pas. Alors je rentre avec mon sac vide mais je suis heureuse d'avoir vu de beaux fruits et légumes bien frais même si je n'ai pas pu les acheter. Je retourne ensuite à la fin du marché, quand on commence à ranger, parce qu'alors il reste des aliments qui ne sont pas beaux mais qui sont vendus moins chers. Par exemple, en fin de marché, on peut trouver des petites barquettes d'oignons ou de pommes de terre à 1 euros. On peut trouver aussi des poireaux abîmés. Mais les commerçants ne donnent jamais rien ; ils baissent seulement les prix et, comme ils me connaissent maintenant, j''arrive à leur faire baisser encore un peu plus. Quand je rentre chez moi, j'enlève ce qui est mauvais, je fais cuire et je congèle. Ca fait des petits sachets de soupes pour deux ou trois jours.

Ta fille et toi, vous ne mangez que de la soupe ?

Ma fille mange à la cantine le midi; le soir je fais tout ce que je peux pour elle. Moi je mange la soupe, mais elle est bonne !

A « Mes-tissages », il y a des gens qui ont un jardin à la campagne. Ils n'y vont pas souvent mais quand ils le peuvent, ils me rapportent des haricots verts, des carottes, des poireaux. En plus, c'est bio ! Alors là, c'est la fête et la soupe est vraiment très bonne ! J'achète très rarement de la viande ou du poisson et c'est surtout pour ma fille. Je n'achète jamais de beurre, des oeufs de temps en temps, pas souvent. Je ne mange jamais de fruits, même les bananes c'est trop cher. Parfois j'achète une barre de gâteau pour ma fille ou du jus d' orange (on en trouve à 1 euros dans une grande surface) pour offrir à la petite ou à des voisines qui viennent me voir. Mais c'est très rare. Je ne peux pas faire plus. D'ailleurs ce n'est pas bon pour le régime de manger trop de sucre !

En plus de la nourriture,
il faut bien que tu t'habilles et que tu habilles ta fille.
Comment fais-tu ?

Je n'achète jamais aucun habit neuf. Je vais dans des friperies où on trouve des vêtements usagés, parfois un peu sales, qui viennent du monde entier.

On trouve presque tout à 1 ou 2 euros : des draps, des serviettes de toilette, des chaussettes, des robes, etc. Après, je rentre à la maison, je lave et je répare.

Pour moi, ça va mais ma fille n'aime pas trop. Parfois elle me dit : «  Maman qu' est-ce que tu m' as rapporté là ! ». Elle aimerait que j'achète dans un vrai magasin mais ce n'est vraiment pas possible.

Alors je lui explique qu'il y a des gens plus malheureux que nous. D'ailleurs elle m'entend parler avec mes voisines qui ont parfois des difficultés encore plus grandes que les miennes. Alors elle constate qu'on n'est pas les seules à vivre ainsi. Elle apprend la vie et elle comprend, même si quelquefois elle n'est quand même pas bien contente que la vie soit comme ça !

Quels sont les autres dépenses que tu dois faire ?

Les produits d'entretien, je n'en achète jamais. Je prends du savon de Marseille à 2 euros. Je fais tout avec, la toilette, la lessive, le sol, la vaisselle. C'est très efficace ce savon là ! Parce que chez moi, j'aime bien que ce soit propre !

Je n' achète jamais de parfum ni de maquillage. Mais je les connais pour les avoir vus dans les magasins. Des fois je rentre dans une grande surface près de chez moi, je n'achète jamais rien mais je regarde et c'est un peu comme si ce que je vois était à moi. Ca me fait plaisir de regarder.
Il y a aussi les frais de médicaments. J'ai la CMU mais tous les médicaments ne sont pas remboursés. Quand je vais chez le médecin et qu' il me fait une longue ordonnance, je dis parfois de faire plus court parce que je ne pourrai pas payer le pharmacien. Parfois, je le laisse faire mais je sais que je ne pourrai pas acheter.

Parfois l'école de ma fille organise des voyages et la plupart du temps je ne peux pas payer, même si on me fait un prix. Ma fille ne part pas. Elle est triste mais je lui dis : « Regarde dans le monde, il y a des gens qui n' ont même pas d' eau. Ne regarde pas ceux qui ont plus que nous mais tous ceux qui ont moins et tu verras que, même si c'est dur, on n'est pas à plaindre. »

A Noël, j' ai touché une prime pour ma fille de 161 euros et j'ai payé un voyage d'école pour elle. Il a fallu acheter un maillot de bains, un blouson, des chaussures, une serviette. Ca coûte vraiment cher. J'ai du ajouter 6 euros à la prime reçue. Pour moi, c'est beaucoup.

En dehors de ça, je ne fais jamais aucun voyage, ni chez mes parents au Maghreb, ni chez mon frère dans le sud de la France. Je suis allée trois fois voir mes parents en 17 ans, c' était à une époque où j'avais trouvé du travail. Mais maintenant je ne peux plus.

J'ai un téléphone portable mais je ne le charge pas souvent. Je m'en sers pour « bipper » des amies et elles me rappellent ; ainsi je ne paye pas la communication.

Je n'achète jamais ni assiettes, ni casseroles, ni rien de tout ça. Quand c'est abîmé, je demande à des amies de m'en passer. Mais d'ailleurs, c'est si petit chez moi que, même si j'avais de l'argent pour en acheter, je ne saurais pas où les ranger.

Tu parles de ta vie avec humour et en gardant le sourire.
Est-ce tous les jours ainsi?

J'ai toujours de la joie parce que je me dis « je vis et c'est un cadeau de Dieu ». J'aime la vie. Mais parfois le stress me gagne et l' angoisse, surtout quand je ne vois plus du tout comment y arriver. Si j'étais seule, je supporterais mais je vois que ma fille en souffre. Par exemple elle me dit : « Tous les autres enfants ont internet, j'en ai besoin pour le travail. » Et je dois lui répondre que je ne peux pas. C'est très dur !

Quand on vit avec si peu on est obligé de tout compter. Par exemple, je mets une veilleuse dans la pièce plutôt que d'allumer la lampe du plafond parce que ça consomme moins. Il faut faire attention à la moindre dépense. Parfois je le prends en riant, d'autre fois ça me pèse. Mais toujours je dis : « Merci mon Dieu, je vis ! » Je mange quand même et je m'habille. Dieu m'aide. Je lui demande de ne pas m' abandonner. Parfois je lui dis « Au secours, à l'aide ! » et toujours « Merci, mon Dieu, je vis et ma fille aussi ! ».

Kenza




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