La responsabilité partagée
Mustapha Cherif
"... Contre le terrorisme" Page d'accueil Nouveautés Contact

« L’immobilisme des uns et l’arrogance des autres. »

Les liens historiques entre l’Occident et le monde musulman sont mis à mal. Alors que le futur de l’humanité dépend en partie de cette relation, le vrai dialogue multilatéral, pour construire ensemble un monde moins chaotique, juste, fraternel, existe peu. L’immobilisme des uns et l’arrogance des autres mènent à l’abîme.


Les impasses

Dans le cadre de la lutte contre toutes les formes d’extrémismes, il y a lieu de s’attaquer aux vraies causes, dans le cadre d’une coopération mondiale. Des discours cyniques accusent l’islam et les musulmans de tous les maux, au lieu de différencier, de distinguer, de ne pas confondre. Malgré des appels à la prudence, l’amalgame, l’essentialisme et la stigmatisation persistent. Les citoyens de confession musulmane sont sommés de se justifier, de s’assimiler, de se nier, alors qu’ils revendiquent avant tout leur citoyenneté.

En pays d’islam, après les indépendances, les politiques menées, malgré des acquis, n’ont pas réalisé toutes les promesses, telle la construction de l’État de droit et la justice sociale, dans le cadre de principes islamiques ouverts. Pourtant, articuler modernité et authenticité est légitime. La modernité peut se dire autrement que par la marchandisation, la déshumanisation et le désenchantement du monde.

En Occident, après la guerre d’Afghanistan contre l’empire soviétique et la chute du mur de Berlin en 1989, la propagande néoconservatrice désigne l’islam comme « l’ennemi », pour faire diversion aux problèmes politiques, économiques et éthiques et asseoir une hégémonie. « Le problème est l’islam  » est un message nihiliste qui déborde les cercles d’extrême droite.

Amplifié, le radicalisme, résultat des contradictions de notre sombre époque, joue le rôle d’épouvantail et suscite des réactions contre-productives. Des pamphlétaires, des néorientalistes et des dits intellectuels d’origine « arabe», impuissants à comprendre le Coran, préconisent la caducité de nombre de ses versets. Alors que chacun sait que la spiritualité n’a rien à voir. La confusion entre dénigrement et critique, entre laïcité et athéisme dogmatique, entre historicisme et théologie, fait le jeu des ennemis de la sécularisation, du respect du droit à la différence, du vivre ensemble.

Le musulman ne confond pas religion (sens) et politique (liberté) et ne les oppose pas. Le droit à critiquer l’islam, à le quitter sont admis. Ces droits sont donnés par le Coran. L’amalgame nie la cruauté du libéralisme sauvage et profite aux ennemis du vivre ensemble, de la démocratie, à ceux qui veulent les troubles, au milieu desquels nous sommes, et qui cherchent à imposer leur point de vue extrémiste, les uns sur la religion, les autres sur la laïcité.

Le Livre est au-dessus de tout soupçon et relève de l’interprétation humaine. Elle peut être salvatrice, ou témoigner d’une pathologie. Le radicalisme porte atteinte à ce qui est sacré : la vie humaine et trahit la lettre et l’esprit de l’islam. Le dévoiement de la religion est un masque. Les causes sont politiques et mafieuses. Depuis des années, preuves à l’appui, nous ne cessons de répéter l’évidence : tout comme l’inquisition n’est pas dans l’Évangile, ni le sionisme extrémiste dans la Thora, le radicalisme n’est dans le Coran.

Prés de deux milliards de citoyens musulmans, de multiples cultures, ethnies et nationalités, savent que les groupuscules qui usurpent le nom de l’islam, se conduisent en ennemis du modèle excellent le Prophète (sws), pas seulement de la démocratie. Des intellectuels occidentaux clairvoyants le savent et ripostent à la stratégie suicidaire de la diabolisation. Au nom de leur conscience, ils ne pratiquent pas l’essentialisme, déconstruisent les causes des problèmes, défendent le vivre ensemble et appellent à éviter les pièges tendus par tous les tenants de la haine. Les leçons de l’histoire de l’antisémitisme, analysées par Hannah Arendt, Rosa Luxemburg et d’autres penseurs vigilants, donnent mille raisons de le faire.

Le monde entier sait qu’une matrice idéologique, une hérésie, qui a eu l’appui du système colonial, sans lequel elle n’aurait pas pu proliférer à travers le monde, instrumentalise la religion et fait le lit de la violence aveugle. Hier, des penseurs, comme Jacques Derrida dans « Foi et savoir » et Jacques Berque dans « L’Islam au temps du monde », précisaient avec force et clarté que : « L’islamisme n’est pas l’islam ne jamais l’oublier » et « l’islamisme est l’anti-islam ». L’Émir Abdelkader l’Algérien disait : « Le musulman est parfois une manifestation contre sa religion. »


Ce qui reste à faire

Les citoyens de confession musulmane sont face à leur destin, pour assumer leur part de responsabilité, c’est-à-dire renforcer la ligne du juste milieu et libérer « l’islam » pris en otage par des sectes. Dans le cadre de la fidélité à leur patrimoine universel, ils n’ont le choix que de les combattre sur tous les plans, notamment médiatique et éducatif. D’autant que ces sectes sont le cheval de Troie du néocolonialisme. Les régimes rigoristes, à la posture schizophrénique, doivent changer d’optique. Face à la crise planétaire de civilisation, le monde musulman, attaché à la fois à la transcendance et à la justice, peut devenir un partenaire salvateur, et reprendre sa place dans le monde.

L’Europe, de son côté, est mise à l’épreuve face aux nouvelles minorités dans la Cité et au désordre mondial qu’elle a contribué en partie à susciter. Elle doit plus que jamais trouver les réponses démocratiques pour le bien commun. La prise de conscience semble réelle, pour mettre fin aux discriminations des quartiers défavorisés et à l’islamophobie. Reste, sur le plan international, à favoriser le règlement de la question palestinienne, le respect du droit des peuples de la rive Sud à disposer d’eux-mêmes et la réduction des inégalités Nord-Sud. Tarir les sources de la division, injustifiable, faire reculer la mondialisation de l’insécurité et construire un monde fraternel est possible. La responsabilité est partagée.

Mustapha Cherif philosophe,
auteur notamment «Le principe du juste milieu » édit Albouraq, Paris 2014


Retour au dossier "Musulmans et chrétiens contre le terrorisme" / Retour page d'accueil