Laïque et musulman
Mohammed Benali
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Mohammed BENALI n'est pas seulement responsable de l'association En Nour.
Ce Marocain est aussi cadre commercial et père de famille.
Vivre la laïcité en France n'est pas un problème pour ce musulman pratiquant.



Le musulman face aux lois de la république

On dit souvent que l'islam confond religion et politique. Qu'en penses-tu ? Quels problèmes cela soulève pour les musulmans ?

Quand on dit qu'on sépare la religion de la politique, on semble insinuer que la religion doit rester à la mosquée sans intervenir sur le comportement civique. Un musulman doit accepter les principes de l'Islam dans tous les domaines de la vie. Ceci pose le problème du respect des lois de la République quand elles semblent contredire les préceptes du Coran. Pour ma part, en tant que musulman, je pratique ma religion sans m'être jamais senti en contradiction avec les lois françaises. Prenons l'exemple du voile islamique. Le voile n'a jamais été une condition indispensable pour définir qu'une femme est musulmane. Une femme qui respecte les cinq piliers, en France, se doit d'enlever son voile pour aller au lycée: l'instruction est un devoir plus important que le port du voile. Il y a des priorités entre les obligations. Le savoir est prioritaire sur le voile. Bien sûr, la vie quotidienne pose des problèmes de conscience. Ceci est vrai pour toute personne humaine  ; ces problèmes ne sont jamais insolubles.

Il est inacceptable d'imposer la charia

Quand on pose la question du rapport « religion/politique », on ne songe pas seulement à la morale individuelle, mais au rapport avec le pouvoir. La sharia ne confond-t-elle pas les domaines ?

Dans certains pays musulmans on invente des lois selon les intérêts ou les fantaisies des dirigeants et on met cela sur le dos de la sharia. C'est vrai que lorsqu'on se sert de l'Islam à des fins purement politiques, c'est une catastrophe pour l'Islam. De même utiliser la politique pour des fins religieuses est une catastrophe pour un pays.

On parle de la sharia à propos de l'exercice du pouvoir dans un pays.
Si une loi régissant un pays musulman est conforme à la sharia, cela ne me gêne que si elle est injuste et si elle n'est pas ratifiée par le peuple.
En revanche j'estime inacceptable d'imposer la sharia à un peuple. La sharia n'est concevable que dans la mesure où un peuple vote pour l'accepter. C'est le cas par exemple en Iran. Les députés sont élus et votent les lois.

A propos de la sharia, prenons garde d'éviter les confusions ; elle peut prendre plusieurs formes en fonction des interprétations de chaque pays et de chaque école. Le code de la famille marocain, par exemple, s'inspire de la sharia. Des ajustements y ont été apportés récemment. Ils ont été votés par le Parlement. En Algérie, le code de la famille, lui aussi, se réfère à la sharia. Cela ne veut pas dire que celle-ci régente tout en ces pays. Les entreprises font appel aux banques bien que le prêt à intérêt soit interdit en Islam.

Un parti politique est nécessairement laïque

Comment se situent les différents partis politiques par rapport à ces questions du pouvoir en islam ?

Pour ma part, je suis opposé aux partis politiques qui se prétendent les porte parole de l'Islam. Un parti politique doit considérer qu'il est laïque, même s'il s'inspire de principes religieux. Aucun parti ne peut dire qu'il est le parti de l'Islam. Au Maroc comme en Algérie, certains partis ont compris cela. J'ai beaucoup d'estime pour le PGD en Turquie. Le parti repose sur les principes de l'Islam, mais il ne l'affiche pas. Il respecte la laïcité du pays et n'impose pas les principes de la sharia mais il en garde l'esprit en intégrant un certain nombre de principes : solidarité, justice sociale, droit à l'emploi ou au logement. Je pense que l'islam peut apporter sa contribution positive dans une société ; certains partis politiques l'ont compris.

En réalité, beaucoup de gens parlent de la sharia et la bafouent. La sharia pousse à faire de la politique et à approfondir les notions de paix, de solidarité ou de justice sociale. Elle invite à travailler à la cohésion sociale, à permettre qu'on vive mieux ensemble. Le premier but de la sharia est de garantir une vie décente à tous les citoyens. En Algérie, au début de l'indépendance, des gens se ruaient sur les biens abandonnés par les Français ; un ami me disait : il faudrait appliquer la sharia et leur couper la main. Je lui ai dit : si tu veux appliquer la sharia, tu dois d'abord faire en sorte que chacun ait la sécurité, un toit, du pain, l'éducation et la santé. C'est d'abord cela appliquer la sharia. En réalité dans un régime où règnerait la sharia, rien de ce qui est spécifiquement musulman n'est imposé aux autres. L'Islam ne s'écarte pas, quand il est bien compris, de la justice sociale. Il ne fait pas de différence entre le musulman et le chrétien ou le juif. Les uns payent la zakat, les autres paient l'impôt en échange de la protection qui leur est accordée. Il faut ajouter que le sommeil des musulmans pendant cinq siècles n'a pas été suivi d'un véritable réveil.

Je ne crois pas que la sharia puisse servir de programme à un parti. Si quelqu'un veut appliquer la sharia, c'est chez lui, dans sa maison. Pour le reste, étant donné les contraintes internationales, la sharia n'est qu'une illusion. Je ne vois aucun rapport entre la sharia aujourd'hui et l'exercice d'un pouvoir politique. Je peux faire de la politique en restant imprégné de mes convictions mais, contrairement à ce que disent les Frères Musulmans en Egypte, je ne pense pas que « l'Islam est la solution ». Je le répète : utiliser l'Islam à des fins politiques conduit à la catastrophe. Tous les musulmans ne seront pas d'accord avec moi mais, pour ma part, je suis musulman et laïque.

La laïcité me permet de vivre en musulman

Crois-tu qu'en France on peut être à la fois fidèle à l'islam et à la laïcité ?

Oui, en France, j'adopte les principes de la laïcité. J'y vois une garantie pour pouvoir pratiquer ma religion. La laïcité me protège. Elle me donne la chance de vivre l'islam dans les meilleures conditions. Parfois on trouve des extrémistes qui, sous prétexte de laïcité s'en prennent aux religions et sombrent dans l'islamophobie comme dans l'anticléricalisme. Partout on trouve des intégrismes. Certains laïcards n'échappent pas à la tentation du fondamentalisme. Il s'agit là d'une dérive qui ne remet pas en cause la pertinence des principes.

Je pense que la majorité des musulmans de France pensent comme moi. La laïcité me permet de vivre vraiment en musulman. A charge pour moi de la défendre. A charge pour moi, bien sûr, de respecter les autres sensibilités. La liberté, c'est vrai, a des limites. Ma liberté de musulman s'achève là où commence la liberté de l'autre.

En France, les salafistes n'ont pas de projet politique

Beaucoup de musulmans ne pensent pas comme toi ; je songe, en particulier, à ceux qu'on appelle les salafistes. Quelle est leur position en politique?

Le premier principe des salafistes consiste à ne pas rester en France. Celui qui accepte volontairement d'y demeurer alors qu'il a les moyens de partir vivre dans un pays musulman, est un impie. On n'a pas le droit de vivre dans un pays non musulman. Il s'agit pour eux de pratiquer l'Islam à la manière des ancêtres, les contemporains du prophète. (Le mot « ancêtre » traduit le mot arabe « salaf » qui a donné salafisme). Il faut s'habiller, se nourrir comme les ancêtres ; l'Islam demeure un à travers les temps. Si on ne peut pas vivre comme aux premiers temps à Médine, on doit quitter le pays. On appelle cette fuite « hijra » c'est-à-dire « hégire » ; le mot rappelle la sortie du prophète fuyant l'impiété de La Mecque. Celui qui ne fait pas l'hijra, au jour du jugement, d'après eux, sera mis au rang des habitants des pays où il a choisi de vivre. Ils prétendent que l'Arabie saoudite est le pays où le genre de vie est le plus proche de celui du prophète. En France, ils n'ont aucun projet politique. Ils critiquent beaucoup les Frères musulmans et les autres tendances ; ils leur reprochent de diviser les musulmans ; ils sont contre la création de partis politiques. En Arabie saoudite, il n'y a pas de partis politiques.

Les gouvernements n'ont pas su aider les enfants

Comment des parents musulmans peuvent-ils éduquer leurs enfants dans un pays sécularisé ?

Tariq Ramadan, un homme que je respecte, a abordé le sujet. Je suis d'accord en particulier sur ce qu'il dit de l'intégration des enfants. Il critique le fait qu'en Europe on a toujours marginalisé les jeunes issus de l'immigration ; on n'a pas su leur donner une vraie place. Les parents ne sont pas les seuls responsables. Les gouvernements ont leur part de responsabilité. Les parents sont analphabètes ; ils n'ont pas les outils pour aider leurs enfants. Les gouvernements européens n'ont pas su aider les enfants. Les événements de 2005 et ceux de Villiers le Bel ont montré que c'était catastrophique. Je dis à mes enfants : « ton pays c'est la France ». Je leur apprends La Marseillaise. « Ton avenir est en France ; tu dois travailler à la prospérité de ce pays. Si ce pays connaît la prospérité, cela te profitera à toi aussi ».

Une idéologie à l'état pur

Que penses-tu des menaces que fait peser Al Qaïda ?

J'en parle en citoyen français. Je suis menacé comme toutes les autres personnes de ce pays. Les terroristes ne font aucune différence entre un musulman et un non musulman. Poser une bombe, se retirer avant qu'elle ne saute, se protéger en se moquant des victimes et prétendre que c'est au nom de l'Islam ? Quelle hypocrisie ! Leur seul but, c'est la vengeance parce que la société, d'après eux, aide les mécréants hostiles à la Palestine. Ils s'étendent. Le Maroc est menacé. Pourquoi dans les pays musulmans, parlent-ils de régimes corrompus. L'Islam interdit les kamikazes. Le suicide conduit directement en enfer. Ces jeunes qui se transforment en bombe, quelle folie ! Remarquez qu'ils sont issus de quartiers défavorisés. Les attentats du 11 septembre ont fait apparaître que de hauts cadres ont été au point de départ. A la suite de cela, ils essaient de recruter dans les milieux les plus fragiles. Il s'agit de déstabiliser l'Occident et les pays arabes qui pactisent avec lui. Ils n'ont pas de nationalité : ils habitent une idéologie à l'état pur. Ils trouvent refuge en Afghanistan, au Pakistan.

En réalité, la racine du mal est à chercher chez les Américains. Ben Laden était le bras droit des Etats-Unis. Dans la guerre contre l'Union Soviétique, les Etats-Unis ont donné tous les moyens à Ben Laden qui servait d'intermédiaire entre les moudjahidin et eux. Ils l'ont armé jusqu'aux dents. « La magie, comme on dit en arabe, s'est retournée contre le magicien ». Bush, malheureusement, est venu à un moment où les Américains avaient peur du monde musulman. Il a su utiliser cette situation pour son projet. Il a lui aussi utilisé la religion à des fins politiques !



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