Dans un pays comme la France, les clochers dans les villages et les cathédrales dans les villes manifestent que la foi chrétienne peut être créative. L’apparition des mosquées fait peur ; pourtant elles peuvent être, elles aussi, des œuvres belles.
De la misère
à la beauté.
L’islam, à Gennevilliers, a une histoire très ancienne. Dans les années 30 Massignon venait y rencontrer des travailleurs marocains avec qui il priait. Aujourd’hui la mosquée En-Nour est une belle réussite architecturale. Mais son surgissement est un arrachement à un ensemble culturel particulièrement misérable.
En 1972 un imam avait demandé l’autorisation à un cafetier d’utiliser la cave de son établissement pour accueillir quelques musulmans. Pendant six ou sept ans quelques dizaines de fidèles, pour aller prier, traversaient la salle où étaient réunis ceux qui étaient venus boire. Le café a fait faillite ; le propriétaire a alors proposé d’aménager en salle de prière le lieu où on venait consommer. Plus de cent personnes s’y réunissaient dans les années 80. Elle a fonctionné jusqu’en 2000.
Dans ces années 80, l’État a voulu installer sur le Port de Gennevilliers une partie de la population du bidonville de Nanterre. Celle-ci, au départ, refusait l’implantation. Pour les convaincre on leur a construit une mosquée. Ensuite des salles de prière ont été aménagées dans tous les foyers de travailleurs : les habitants venaient y prier. Un appartement, au rez-de-chaussée d’un immeuble, a lui aussi été transformé. Dans les années 90, place Voltaire, un hangar de stockage est devenu salle de prière. En fin de compte les musulmans de Gennevilliers disposaient de six endroits pour se rassembler. La mosquée du port était très loin du centre-ville et mal desservie par les transports publics ; les salles de prière étaient très mal équipées.
A partir de 1995 nous avons négocié avec la Ville. Au départ celle-ci n’a rien voulu savoir : « débrouillez-vous ! » L’actuel maire, Patrice Leclerc, qui était alors Conseiller municipal, nous a alors beaucoup aidés. Son prédécesseur, Jacques Bourgoin, a reconnu que les musulmans priaient en des lieux insalubres. Comme je l’assurais que nous ne voulions pas de mosquée ostentatoire avec minaret, il a eu une belle réponse : « Quand je passe devant l’église, je la reconnais. Dans l’avenir, en passant devant la mosquée je veux aussi la reconnaître et dire que c’est la mosquée de ma ville. » Il nous a procuré un terrain avec bail emphytéotique en nous précisant un certain nombre de normes ; nous avons alors commencé à récolter des fonds.
Au fur et à mesaure des travaux
Le maire nous avait dit de ne pas commencer les travaux avant d’avoir récolté les fonds. Je lui ai répondu : « Commençons les travaux ; alors l’argent viendra et nous clôturerons le budget après. » Nous avons collecté l’argent au fur-et-à- mesure des travaux. On a souffert pour trouver ; on a traversé des périodes où il fallait interrompre les chantiers. Le mois de Ramadan était le temps où les fidèles étaient très généreux et permettaient que l’on reparte. En 2009 – 2010, quand on construisait, les gens étaient très fiers. Ils n’imaginaient pas que leur ville aurait une mosquée aussi belle. Aujourd’hui tous, en venant à la mosquée de Gennevilliers, se sentent chez eux.
Nous avons cherché un architecte qui saurait croiser l’architecture arabo musulmane et l’architecture occidentale. Nous étions autorisés à avoir un minaret et une coupole, des fenêtres cintrées et arrondies, des calligraphies avec les noms de Dieu. Dans l’architecture musulmane il n’existe aucune coupole en verre. En revanche les larges verrières qui font entrer les couleurs du ciel dans un espace clos caractérisent l’Occident. La verrière du grand palais en est un exemple. Nous avons demandé à l’architecte de concevoir une grande coupole en verre. L’architecture, grâce au croisement des cultures, répond au nom que porte notre mosquée : « Ennour » signifie « la lumière ».
Les bâtiments en façade sont occupés par la partie culturelle. Là encore nous avons veillé à ce que l’architecture s’intègre à l’environnement en même temps qu’elle comporte un portail ou des baies vitrées dans un style arabo-musulman.
Au croisement des cultures
Quand on franchit l’entrée, nous nous trouvons dans un large espace lui aussi recouvert d’une verrière. Au milieu se trouve une belle fontaine. Parmi les hommes qui viennent faire la prière il y a un artiste qui construit des sculptures stylisées. Il nous a proposé d’en installer une sur la fontaine. Cette sculpture métallique n’a pas d’équivalent dans l’art musulman mais la cour intérieure avec sa fontaine est traditionnelle en islam. C’est le lieu de l’hospitalité pour tous. Les gens, qu’ils soient ou non musulmans, peuvent y rester, se parler, boire un café ou un thé. On y vient d’un peu partout. Certains fidèles y restent entre deux prières. On y voit passer des « sans-papiers ». C’est un abri pour des gens de passage qui n’ont nulle part où demeurer. Pour ceux-là nous préparons de quoi manger et nous leur donnons du thé. Les boulangers des alentours nous apportent gracieusement tous les jours des pains au chocolat ou des croissants. Nous avons deux gardiens qui accueillent et des bénévoles qui les assistent. Le cadre est particulièrement beau et apaisant. Il était très important pour nous que la beauté ne soit pas réservée aux privilégiés mais que les plus démunis puissent s’y reposer. La dimension esthétique de ce patio dépasse tous les clivages sociaux, culturels ou religieux.
La mosquée comporte deux minarets visibles sans être ostentatoires. Le lieu de prière proprement dit est très vaste, avec un très large espace sans piliers au-dessous de la coupole. Nous avons particulièrement soigné la décoration intérieure. Nous tenions à ce que Dieu soit honoré par la beauté du lieu et que les musulmans, pour prier, se sentent dans un espace culturel et religieux dont ils soient fiers et qui leur soit familier. La calligraphie et les mosaïques sont traditionnellement les deux arts utilisés pour l’intérieur des mosquées.
Nous n’avons trouvé aucun artiste, en France, suffisamment exercé dans ces deux arts pour décorer une surface si importante. Aussi avons-nous fait appel à deux entreprises du Maroc : une venue de Fez pour le « zelidj » (la céramique et la mosaïque) et une autre de Casablanca pour les calligraphies sur le plâtre. Les ouvriers ont travaillé sur place. Nous avons installé un petit atelier à l’intérieur de la salle de prière. Ils ont placé le plâtre sur les murs et calligraphié les 99 noms de Dieu. Un artiste était avec les ouvriers : leurs travaux se sont étalés sur près de neuf mois.
Voir et entendre
En ce qui concerne le zelidj il a fallu tout rapporter de Fez ; impossible de trouver ici le matériel qui convient. Il s’agit d’un travail très minutieux pour composer des étoiles, des carrés, des triangles avec de petites pierres. Elles ont été cassées et travaillées à Fez. Elles nous sont arrivées dans des sachets préparés en fonction des différentes couleurs et des différents motifs. La réalisation a eu lieu sur place. Le zelidj a été installé sur les piliers et sur les murs. Le minhbar, le lieu où l’on fait les sermon (khodba), le mihrab, c’est-à-dire le lieu où on se met pour guider la prière, ont fait l’objet d’une attention particulière.
Mais l’architecture et la décoration intérieure ne sont pas les seuls éléments où peut s’inscrire la beauté d’un lieu de prière. Depuis le début de notre projet, nous avons pensé que le culte, dans une belle mosquée, supposait que la psalmodie du Coran soit portée par une belle voix. Rachid, malgré sa jeunesse, était connu au Maroc pour son talent de chanteur. Nous lui avons proposé d’être imam. Nous l’avons inscrit à une école pour qu’il parle français et très vite il est devenu capable de prêcher en français. Il a une très belle voix que tout le monde apprécie. La beauté de la psalmodie répond à la beauté du lieu.
« Dieu est beau et il aime la beauté » : disait le Prophète. Les chrétiens ont construit au fil des siècle de très belles cathédrales. Les musulmans aussi ont besoin de beauté pour honorer Dieu et pour prier. La mosquée Ennour manifeste que les arts arabo musulmans peuvent s’intégrer dans la culture occidentale. La beauté de la mosquée Ennour est offerte à tous et pas seulement aux musulmans. Peut-être est-ce le signe que la beauté transcende les religions.
Mohammed Benali
Mosquée Ennour de Gennevilliers