A la suite du baptême de Magdi Allam, la nuit pascale, par Benoît XVI,
Mustapha Chérif a écrit au pape la lettre suivante pour sauver le dialogue.
« Je viens d'apprendre avec étonnement Saint Père, Benoît XVI, que vous avez baptisé, de manière spectaculaire,
pendant la vigile pascale un musulman converti au christianisme, journaliste italien d'origine égyptienne.
Je défends la liberté de conscience, que l'islam respecte, sans aucune ambiguïté, contrairement aux lectures fermées.
Mais une nouvelle fois, je suis consterné, par le fait qu'en personne vous baptisiez un individu qui depuis des années
est connu pour ses attaques virulentes et haineuses contre l'islam, pas seulement contre les dérives des extrémistes.
Pour preuve, il poursuit publiquement ses diatribes violentes le lendemain même de sa conversion.
Je pensais que l'on devenait chrétien pour apprendre à aimer tous les frères comme Jésus.
Je crains une nouvelle affaire qui donnera de l'eau au moulin de tous ceux qui veulent opposer et diviser
les hommes de bonne volonté et les peuples et conforte ceux qui prétendent que le dialogue sert à justifier
des postures de diversion et de puissances hégémoniques. Pourtant le dialogue est fondé sur le bon sens;
pour être à la hauteur de ce que nos sources de vie exigent. Certains partisans du dialogue désespérés vont
se demander si cela vaut la peine de continuer à oeuvrer dans le domaine du dialogue islamo-chrétien.
Alors que depuis l'audience privée que vous avez eu la générosité de m'accorder, des progrès substantiels
ont été enregistrés, comme votre visite réussie en Turquie; votre sage décision de rétablir le Conseil
pontifical pour le dialogue interreligieux; et la décision, sans précèdent, commune avec notre groupe
des 138 savants musulmans, d'instituer un Forum de concertation, dont la première réunion aura lieu au Vatican
en Novembre prochain. Et depuis lundi dernier cette initiative positive du Roi d'Arabie,
annoncée à Riad en ma présence et d'autres théologiens, d'organiser au niveau de l'ONU une rencontre
mondiale interreligieuse pour unifier nos positions face aux défis communs. A chaque fois qu'on remonte
une pente, une nouvelle maladresse vient remettre en cause ce qu'on avait péniblement reconstruit.
Notre destin est il celui de Sisyphe?
Pourquoi Saint Père, alors que je reste convaincu de vos louables intentions, vous donnez parfois
l'impression que nous entrons dans une nouvelle "guerre de religions" où le nombre de convertis servira
de comptage des points. Cet egypto-italien a tout à fait le droit de vouloir devenir catholique et l'Eglise se doit
d'accueillir cette recherche: mais de là à ce que ce soit le souverain Pontife qui le baptise,
en sachant sans doute sa ligne de conduite, il y a la un signe fort inquiétant.
Des croyants musulmans et chrétiens, vont penser que c'est une forme de provocation délibérée.
Une, ou cent, ou mille conversions ne sauront masquer les problèmes de fond que vit l'Eglise
en particulier et d'autres soucis que connaît chaque communauté. En ce qui concerne la musulmane,
près d'un milliard et demi, les mosquées ne désemplissent pas, mais je reconnais ses difficultés
et le fait qu'elle n'est pas aujourd'hui à la hauteur de l'Appel qui la fonde.
Cependant, se pose la question de confiance : ne concevez vous les relations avec les musulmans
qu'en termes au mieux de compétition et au pire en termes d'affrontements ?
Ou bien voulez vous vraiment, comme je le crois, non pas favoriser la polémique stérile,
la confrontation, la fuite en avant, mais vous placer sur le terrain des échanges,
du dialogue franc et respectueux; voire la saine altercation, pour assumer les difficultés, avec discernement,
faire reculer les discriminations ; les préjuges et les violences visibles sous des formes flagrantes
ou insidieuses au Nord comme au Sud , et partant contribuer à apprendre à tous à relever les défis du vivre ensemble ?
La grandeur de votre fonction suppose que vous donniez l'exemple sur la scène historique au sujet
de la relation entre les grandes communautés abrahamiques. Sachez Saint Père que rien ne saurait
entamer notre détermination à accueillir l'autre sans conditions. Des Musulmans, des juifs,
des chrétiens et des humanistes, à mon avis la majorité silencieuse, savent qu'il n y a pas
d'autre alternative sage à la coexistence; au commun qui nous précède et nous interpelle.
En notre époque qui est marquée par des risques sans précèdent de déshumanisation.
En réaction, des dérives sectaires prolifèrent ainsi que la folklorisation de la religion.
Aucune communauté ne peut à elle seule rouvrir l'horizon. Rien n'est donné d'avance et la complexité
de notre temps est comme insaisissable. Mais si nous savons être ensemble à l'écoute, il reste un avenir. Haute considération,
Mustapha Cherif,
ancien ministre algérien, penseur, partisan du dialogue interreligieux et des civilisations. »
Vendredi 28 Mars 2008