Hama, Halabja.
Ces noms exotiques n’évoquent sans doute pas les grands drames qui ont suivi le 11 septembre, en effet, on a cherché à oublier, sitôt connus les massacres qui s’y sont passés. Je résume : en février 1982, en un week-end, l’armée de Hafez al-Assad a attaqué un bastion d’islamistes de la mouvance des Frères musulmans syriens et a fait environ 20 000 morts en deux jours, un nombre sans proportion avec les 100 000 victimes syriennes en deux ans dont les médias nous rabattent les oreilles pour diaboliser aujourd’hui l’ennemi de l’Arabie Saoudite. J’étais tombé à l’époque sur un reportage horrible de Libération, le seul journal qui avait un journaliste sur zone. On ne peut donc pas dire qu’il ne savait pas. Mais Assad père avait pour mission de faire respecter l’ordre et, comme Moubarak, Ben Ali et Kadhafi dans leur royaume respectif, d’empêcher toute percée de l’islamisme politique après la révolution iranienne de 1979.
L’Iran, lui aussi, alors en guerre contre l’Irak, a fait comme si rien ne s’était passé : l’alliance avec le seul pays arabe qui lui était resté fidèle était essentielle pour la jeune république islamique. La solidarité islamique en a fait les frais.
Halabja, mars 1988 : on est dans les derniers mois d’une guerre interminable dans laquelle le grand défenseur de l’Occident, Saddam Hussein, soutenu activement par la France, les Etats-Unis et la plupart des pays arabes et occidentaux, avait engagé son armée contre l’Iran. Pour en finir avec l’incontrôlable passoire qu’a toujours été la région kurde, dont la population montagnarde déborde d’un pays à l’autre, Saddam Hussein a employé massivement l’arme chimique. Les composants étaient livrés par l’Allemagne. Tous les pays occidentaux ont observé, avec leurs jumelles et leurs espions, en espérant encore sans doute que Saddam Hussein les débarrasserait de Khomeiny. Personne n’a rien dit. Ce sont les Iraniens qui ont découvert le charnier innommable, de dizaines de milliers de cadavres er de blessés qu’ils ont évacués vers les hôpitaux européens. Ils révélèrent au monde le génocide kurde opéré par l’armée, mais il fallut encore plus de deux ans aux occidentaux pour retourner leur alliance avec Bagdad, au prétexte de l’invasion du Koweit. L’horreur – oserais-je dire relativement mesurée – de l’insoutenable attaque chimique de Assad fils contre sa population fait suite à deux ans de bombardements par un tyran sur sa propre population. Tyran ? Celui qu’on a invité, il y a peu, à parader à la tribune d’honneur du 14 juillet...
Aujourd’hui l’émotion télécommandée dans nos médias a une réelle origine, mais on l’utilisa avec effroi : ce n’est plus le tyran d’hier contre une insurrection locale, ce n’est plus le gênant allié qui massacre ses kurdes, c’est l’allié russe et iranien qui se cache derrière les décombres des villes syriennes qui nous fait peur. Il est trop tard.
Yann Richard
Journal « Libération » du 3 septembre 2013
Dessin d'Adrian Frutiger