Du séparatisme ou des communautés séparées ?
Hedwig Reyntjens
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Hedwig Reyntjens est un prêtre catholique que nous connaissons bien, membre des Focolari. Il nous livre ici deux expériences, l’une en Belgique, l’autre au Maroc, qui lui donnent d’espérer que les « séparatismes » n’auront pas le dernier mot !


WILLEBROEK

C’est une commune flamande d’environ 25 mille habitants, dans la région bruxelloise. Située au bord du canal Bruxelles-Anvers, différentes industries s’y sont installées au siècle dernier. Aujourd’hui, ma commune, comme les deux grandes villes (à taille provinciale !) à ses côtés, est marquée d’une grande diversité de population et de croyances. Au centre de la commune se trouvent trois mosquées : une marocaine, une turque et une troisième regroupant des musulmans provenant du monde entier. Il y a aussi une église protestante et - au centre - une seule église catholique. Par rapport aux autres édifices religieux, cette dernière ne date pas du siècle dernier, mais du 12ième ! Qu’elle en a vu passer, des transformations de société !

La communauté catholique de Willebroek se compose aujourd’hui de fidèles d’origine flamande et de fidèles d’autres provenances qui, eux, forment bien souvent la moitié de l’assemblée du dimanche. Le néerlandais semble une langue difficile à apprendre, et il est bien souvent un obstacle pour l’intégration de ces derniers dans la communauté catholique, comme dans la commune elle-même. Même défis, donc, pour les musulmans, qui ne sont d’ailleurs plus une petite minorité, mais par leurs trois mosquées entre autres, bien visibles dans la vie quotidienne de la commune.

Les élus locaux ont très bien compris qu’il faut sans cesse investir dans l’apprentissage du néerlandais pour les nouveaux arrivés, tout âge confondu. Plusieurs paroissiens s’engagent alors comme bénévoles dans des parcours divers et variés, et donnent des coups de main aux fonctionnaires de la commune qui encadrent les activités. Des représentants des différentes mosquées qui parlent bien le néerlandais, font de même. C’est ainsi que j’ai connu Fatima, mère de quatre jeunes enfants, épouse du président de la mosquée marocaine.


ARGOS asbl

L’épicerie sociale ARGOS est un autre carrefour de cultures et de religions à Willebroek. Une asbl (Association Sans But Lucratif) qui a été fortement soutenu par la commune en ces temps de Covid. Fondée par des religieuses il y a quelques décennies, ARGOS est aujourd’hui un nom de marque, connu par tous les habitants de la commune. L’asbl compte des personnes de toutes convictions parmis ses bénévoles engagés, aussi beaucoup de musulmans de différents horizons. Chaque famille ou personne isolée est aidée. La preuve : une expérience que j’ai pu vivre le 31 décembre dernier. Fatima m’avait invité à participer à une action particulière.

Plusieurs grandes surfaces avaient été sollicitées pour faire un effort supplémentaire, et elles avaient donné beaucoup de nourriture et de décoration festive, des jeux pour enfants, etc.

Il fallait donc plus de chauffeurs que d’habitude pour accompagner les visiteurs d’ARGOS à la maison. Aussi plus de ‘chargeurs de véhicules’. Des jeunes bénévoles avaient été invités pour aider les 120 familles et personnes isolées qui se sont manifestées ce jour-là. Entre autres, trois jeunes musulmans que je ne connaissais pas auparavant et qui ont rempli plusieurs fois ma voiture.

A la fin de l’activité, c’était encore Fatima qui a pris le temps de me présenter ces jeunes, qui ont ainsi découvert qu’ils avaient participé à une journée bien spéciale du prêtre de la paroisse. Ce fut un très beau moment, d’autant plus, quand Fatima a ajouté une phrase qui m’a fortement touchée en convaincu  : « ceux-ci sont des jeunes de la paroisse… » Elle voulait dire : ils habitent ici, dans les rues de la commune. Ils habitent autour de la mosquée comme autour de l’église, ils prient Dieu et s’engagent dans le vivre ensemble au service des gens qui sont dans le besoin…

Fatima a un grand respect pour la société belge, et pour les croyants d’autres religions. Sur le coup, je sentais en moi un mélange de sentiments. Une vraie joie, et aussi une vague tristesse : une vraie joie d’avoir fait la connaissance de ces jeunes musulmans généreux, qui répondent à l’appel de leur foi, et qui veulent être des citoyens à part entière, vivre et construire leur pays où ils sont nés, ensemble… Et aussi une tristesse... Je n’avais pas pu présenter des jeunes catholiques à mes nouveaux amis…

Murat, maire-adjoint turc qui avait également participé à la journée, m’a dit par la suite que ces jeunes musulmans, ils étaient une quinzaine en tout, ont été très contents. Ils ont montré une profonde gratitude d’avoir été invités pour cette action de solidarité : ainsi ils avaient vécu une expérience d’être ‘utiles’, de ‘servir’, de pouvoir ‘participer à la vie de la commune’. Ce sont leurs expressions qu’il ma transmises.

Alors, ‘séparatisme’ vous me dites ? Comme je suis heureux de vivre dans une commune à grande diversité, et de pouvoir y vivre aux côtés des musulmans qui prient Dieu, qui s’engagent dans la société, qui m’invitent à me joindre à eux dans des actions de solidarité, et qui sont d’une grande importance pour l’intégration aussi bien de leur communauté que des gens pauvres qui habitent depuis déjà longtemps dans la commune. Ils m’aident en plus à vivre mon engagement de chrétien dans les rues où j’habite. Inutile de dire que je vois dans ce type de rencontres et d’engagements un nouveau futur pour ma paroisse catholique.


RABAT

« Il y a quelques années, j’accompagnais au Maroc une délégation composée de juifs, de chrétiens et de musulmans. Nous avons rendu visite à quelques communautés juives et à des hauts responsables de l’islam. Nous avons aussi rendu visite à l’archevêque de Rabat. Inutile de préciser que, dans ce pays musulman, la communauté chrétienne est très petite. L’archevêque évoqua les conditions limitées dans lesquelles l’Eglise peut exercer sa mission. Il y est né et c’est son pays. Mais il n’a pas la nationalité marocaine parce qu’il est chrétien. Telle est la société lorqu’une religion a le statut de religion culturelle. La communauté chrétienne qui se réunit le dimanche rassemble quelques centaines de personnes, surtout des jeunes originaires de l’Afrique subsaharienne qui étudient à Rabat.” C’est le cardinal Joseph De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles qui raconte, dans son dernier livre ‘foi et religion dans une société moderne’, Editions Salvator 2021, p.63-64.

“L’archevêque est président du ‘pouvoir organisateur’ d’un bon nombre d’écoles catholiques. Dans ces écoles, les directions, professeurs et élèves sont tous musulmans, et aucun cours de religion n’est donné. Mais chaque année, l’archevêque organise dans les écoles une journée de réflexion destinée aux directions et enseignants avec pour thème l’importance de l’engagement en faveur de l’éducation des jeunes. Je me rappelle encore très bien que je me demandais quel sens pouvait avoir une école catholique dans ces conditions. On m’a fait comprendre que cela ne posait aucun problème. Car les chrétiens, au Maroc, aussi minoritaires qu’ils soient, sont citoyens de ce pays. S’ils ont des écoles, ce n’est pas par goût de pouvoir ou pour des raisons de prosélytisme. C’est tout simplement une façon d’apporter leur contribution à la construction d’une société plus humaine et plus fraternelle. En tant que chrétiens, et en répondant à l’appel de leur foi, ils veulent être des citoyens à part entière, vivre en construire leur pays ensemble.”

“Une question me rongeait cependant : quel sens la présence de l’Eglise peut-elle avoir dans un pays où les possibilités pastorales sont aussi limitées ? La réponse qu’a alors donnée l’archevêque m’a fortement touché en convaincu. Il m’a dit : ‘pour montrer qu’il y a d’autres chemins vers Dieu’. Il ne voulait pas dire : pour montrer aux musulmans que nous avons raison et qu’eux ont tort. Il s’exprimait d’ailleurs avec beaucoup de respect pour son pays et pour les croyants musulmans. Il voulait simplement dire ceci : ce n’est pas bon pour notre pays qu’il n’y ait au plan religieux qu’une seule voie possible. Ce n’est bon ni pour le Maroc ni nulle part d’ailleurs. Il ne le disait absolument pas pour défendre les droits de l’Eglise. Il soulignait plutôt ce que la modernité et la sécularisation nous ont appris comme un grand bien.”

Concluons ensemble. Je note deux choses :

- Du séparatisme ou des communautés séparées ? Les musulmans de Willebroek et les chrétiens de Rabat donnent un témoignage du contraire. En les écoutant comment ils vivent leur engagement de croyant, chacun dans sa société environnante, culture religieuse ou société moderne, le séparatisme est un virus dangereux. Vaccin conseillé : le respect mutuel et le dialogue interreligieux. Seul moyen pour offrir à nos sociétés des chemins vers Dieu de façon humble et ouverte.

- J’ai côché la date du 31 décembre 2021. Je m’engage dès à présent, à participer à nouveau à l’action de solidarité de fin d’année de l’épicier social ARGOS. Mais cette fois-ci, et c’est écrit, je m’engage aussi à susciter la participation d’ au moins quelques jeunes catholiques de la paroisse.

Hedwig Reyntjens


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