Des avocats racontent...
J-L Rivoire, M. Cessieux et C. Morin
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Jean-Luc Rivoire, Maxime Cessieux et Christelle Morin
sont avocats au barreau des Hauts-de-Seine.
Ils sont amenés à écouter ceux dont la société a peur
et qui hantent les banlieues :
les jeunes délinquants et les immigrés sans papiers.


On entend dire que les banlieues sont des repaires de délinquants. Votre expérience confirme-t-elle cette conviction ?

Ceci est le discours du gouvernement. Quand on entend des discours aussi stigmatisants, on oublie qu'avant d'être un univers de garnements, les banlieues sont au croisement de tous les facteurs qui peuvent mener à la délinquance. Avant de parler de délinquance, il faudrait parler de la situation culturelle dans laquelle vivent ces populations. Les parents, souvent sans travail, parfois ne sont pas alphabétisés. Beaucoup de familles sont éclatées et des pères sont irresponsables. Entre eux, le communautarisme va bon train : Congolais contre Ivoiriens, Africains contre Maghrébins.

Malgré ce melting-pot, on n'est pas sur une poudrière. En France, plus qu'en d'autres pays, un Arabe, Français ou non, peut côtoyer un blanc, un noir ou un asiatique. Il arrive que des bandes rivales s'affrontent mais ce n'est pas tous les jours. La délinquance n'est plus le monopole des banlieues. A part la Grande Borne, dans l'Essonne, on ne trouve plus guère de zones dangereuses comme naguère au Val Fourré ou Vaulx-en-Velin. La délinquance se dilue et on trouve de la cocaïne chez les jeunes dans les quartiers chics de Paris.

Les prisons ne sont-elles pas le lieu où les jeunes venus de banlieue sont particulièrement nombreux ?

Il s'agit là d'un autre problème : les juges sont intervenus. Si un magistrat m'entendait, il protesterait violemment mais il est de fait que les jeunes de banlieue ne sont pas traités de la même façon que les autres prévenus.

Il y a d'abord une différence de comportement en fonction de la nationalité. Je défends un vieux Marocain, retraité, de passage en France : on l'arrête ; il est accusé par sa fille qui prétend avoir été violée par lui voici plus de 20 ans. Nul ne peut apporter la moindre preuve. On a rejeté la demande de mise sous contrôle judiciaire ; j'ai protesté et soulevé la colère des juges en faisant remarquer que si le prévenu avait été cadre d'une entreprise américaine, s'il avait été blanc, Suisse ou Norvégien, le verdict aurait été différent. Peine perdue : l'homme est en prison jusqu'à son procès ! On a peur que des gamins d'origine maghrébine, ayant double nationalité, retournent au bled : on les garde incarcère même pour le simple vol d'un kilo de pommes de terre sur le marché.

La différence de comportement n'est pas simplement d'ordre racial. Un cadre n'est pas traité comme un ouvrier, surtout si l'ouvrier est chômeur. Quand un jeune de banlieue est chômeur, aux yeux du juge, le comble est atteint ! Les juges vivent dans une bulle. Ces personnages privilégiés, issus de milieux privilégiés, ne peuvent pas se rendre compte. Ils sont incapables de comprendre des jeunes dont le comportement n'est pas le leur. J'intervenais un jour pour une affaire de drogue ; les prévenus, tous aux visages bronzés ou noirs, étaient nombreux et l'assistance aussi. J'ai éprouvé un choc : le juge était blanc, le procureur était blanc, les avocats étaient blancs ! Il est vrai qu'aucun de ces gens n'était trafiquant ; néanmoins on s'interroge : pourquoi se moquer des Américains sous prétexte que les noirs y sont jugés par des blancs ?


De quel type de délinquance s'agit-il ?

Dans les banlieues, c'est de la petite délinquance. J'ai le souvenir de jeunes ayant pénétré à 5 heures du matin dans une pizzeria où ils avaient repéré un coffre-fort. Le boulanger, qui les avait vus, a prévenu la police ; on les a coincés à la sortie avec un paquet d'autocollants et 56 euros ! On n'a trouvé sur eux ni perceuse ni tournevis. Il arrive qu'ils volent des scooters. La violence n'est pas rare. On trouve beaucoup d'affaires de drogue ; certains quartiers vivent en permanence de ce trafic mais ce ne sont  pas les gros fournisseurs ; généralement il s'agit de mineurs dont le casier judiciaire est vierge. Ceux qui sont en-haut ne sont pratiquement jamais pris ; ils font des remontées de 300, 700 kilos venus du Maroc et ils investissent dans des appartements. Quand, ce qui est rare, ils se font pincer, ils s'en sortent bien. Il faut dire que cela n'a rien à voir avec la délinquance habituelle ; ce sont des malins, très polis et très sympathiques. Ils ont en général des projets d'avenir. Quand les magistrats les ont sous les yeux, ils ne se rendent pas compte qu'ils ont devant eux les fournisseurs des gosses de banlieue qui peuplent les prisons.

Qu'est-ce qui pousse les jeunes à la drogue ?

La drogue, dans un quartier, est un moyen de se faire des revenus. Nous sommes dans une société de consommation qui a perdu toute valeur de solidarité. Un jeune, comme tout le monde, lorgne sur les portables, les jeans, les baskets, les voitures. Pourquoi se casser la tête comme les parents ?

A quoi leur servirait de faire des études ? Je demandais à un de mes clients  : « qu'avez-vous comme diplômes ? » Il me répond : « J'ai mon permis de conduire ! » Evidemment, le permis lui permettait d'espérer devenir chauffeur-livreur. Quelle porte sur l'emploi leur ouvriraient des études à la Fac  ? D'ailleurs, lorsqu'on désire y aller, c'est que la famille est ouverte à la culture. Les familles d'immigrés ne connaissent qu'un travail pénible qu'on n'a pas envie de reproduire. Le père est rarement là : il travaille comme un chien pour un salaire de misère. Penser à faire une grande école c'est se ridiculiser dans les quartiers. Pour avoir accès à la consommation, reste la drogue.


Les quartiers, aussi pervers qu'ils soient, ne seraient-ils pas, à leur façon, assez également structurants ?»

Un jeune est au carrefour de trois univers : la famille, l'école et la rue. Ces trois mondes sont en conflit : chacun dénigre les deux autres ; l'école s'en prend à la famille ; la famille et l'école s'en prennent au quartier. Le système est compliqué pour eux et peu structurant. Je pense à une expérience menée avec des jeunes rejetés par toutes les structures. Une opération a été menée avec eux ; on les a fait travailler avec des photographes. Il a fallu tout un travail d'apprivoisement : prendre une photo leur était insupportable. On a pourtant réussi à les faire participer, à réfléchir sur la façon de faire le portrait et sur les lieux où les réaliser. En réalité, une moitié de ces photos était prise dans la chambre de ces jeunes et l'autre moitié dans leurs cités. Autrement dit, leur identité ne se conçoit qu'au pied de leurs immeubles.

On ne peut pas réduire le problème des quartiers à un seul facteur. On ne peut pas dire que c'est parce qu'il y a du chômage que l'on devient délinquant. Certes, souvent, les parents immigrés parlent mal le français et se trouvent sans pouvoir devant l'enfant scolarisé. Bourdieu l'a montré : le pouvoir est du côté de ceux qui possèdent le capital culturel ; certains parents sont laxistes mais on trouve des familles aimantes qui ont un réel souci d'éducation. Et puis, il y a quartier et quartier. On se rend compte que cela fonctionne différemment selon les lieux. Certains quartiers, très marqués par la drogue, n'avaient pas bougé pendant les émeutes de 2005. D'autres, au contraire, se sont énormément agités.

Entre les Hauts de Seine et les Yvelines, il y a bien des différences. Dans les Hauts de Seine, la société est très urbanisée : les cités sont quand même insérées dans la vie sociale. Dans certains coins des Yvelines, les cités sont entourées par la campagne. Les problèmes de sécurité ne sont pas de même nature ici et là.


Quel rôle joue l'islam au milieu de ces jeunes de banlieues?

Les jeunes que je rencontre en parlent peu. Au pénal nous n'y sommes qu'assez peu confrontés. C'est pour eux un élément qui leur permet d'affirmer une identité. Comme les quartiers auxquels ils appartiennent, l'islam est un repère. L'islam leur permet de se dire : « je fais partie d'une communauté ».

Il est vrai que leur appartenance à l'islam révèle la contradiction entre deux cultures. Dans leur milieu, l'alcool est interdit ; ils ont conscience que l'alcool est dangereux et conduit à la violence et pourtant il est autorisé dans la société. En revanche on est très répressif sur le cannabis qui n'est pas dangereux. Ils ne comprennent pas la législation.

L'islam est très présent dans les prisons, c'est vrai. Mais il faut voir ce qu'est une prison d'arrêt : on doit rester alité quinze heures par jour tant la cellule est étroite; on ne peut y être debout ensemble. Dans un cadre pareil, la religion peut aider à vivre malgré tout ; elle est une activité comme une autre. Les détenus d'origine maghrébine y sont si nombreux qu'une conversion, pour un blanc, s'avère un refuge et que des courants incontrôlables peuvent s'y infiltrer.

Au pénal, nous ne sommes pas confrontés à l'islam. Quand on a un délinquant à défendre, il n'est jamais question de religion et rien ne nous permet de voir quelle influence celle-ci peut avoir sur la moralité. En revanche, nous voyons des personnes qui s'islamisent beaucoup trop, en particulier chez les personnes à qui on refuse le renouvellement de la carte de séjour. D'un seul coup, ils perdent tout et se font récupérer ; on leur dit : « La France fait ton malheur ». J'en ai connus qui étaient parfaitement intégrés mais qui, récupérés par certains courants musulmans, peuvent devenir dangereux. Je pense à quelqu'un dont j'ai pu gagner le procès administratif. Quand je l'ai revu, au bout de trois ans, il m'a présenté son épouse qui était complètement voilée. Il a refusé de prendre la main que je lui tendais (un bon musulman ne touche pas la main d'une femme). Je les ai reçus et ensuite j'ai demandé à la dame de sortir pour dire à mon client que je n'étais pas contente. Il m'a alors avoué  : « Quand j'ai traversé les difficultés que vous savez, je n'ai trouvé que deux personnes à qui faire confiance : vous et un musulman de mon quartier. J'ai suivi ses conseils. »


Vous venez de faire allusion aux problèmes administratifs auxquels sont confrontés les étrangers. Je suppose que, dans les banlieues, la question des « sans papiers » est aiguë.

Les sans-papiers ne sont pas forcément dans les banlieues. Les personnes en situation irrégulière sont partout. Certaines habitent dans le 16ème arrondissement mais dans des situations de logement particulièrement précaires. Ils travaillent surtout sur Paris où les risques de contrôle sont moins nombreux. En revanche, dans les banlieues ils trouvent un véritable soutien ; se vit là une solidarité merveilleuse non seulement au niveau familial : le voisin du village est vraiment comme le frère. Cette solidarité n'est pas à sens unique. Dès que celui qui arrive a trouvé un travail au noir, il trouve un logement et vient en aide à tous les autres.

Avec la question des sans-papiers se pose le problème du travail au noir. Que pouvez-vous en dire ?

Le mythe des sans-papiers paresseux vivant aux crochets de la société française est insupportable. Ils travaillent et rendent service aux entreprises : il n'y a pas de charges, on les licencie quand on veut sans courir le risque qu'ils aillent se plaindre. Je viens de recevoir un client qui s'est acheté des papiers pour avoir un travail régulier : « Quand tu es sans papiers, le patron te paie quand il veut ! Ma femme est enceinte, j'ai besoin d'avoir un vrai salaire ».

Je suis engagée dans une association de Défense du Droit des Etrangers (DDE)  : on essaie d'organiser une grève de tous les sans-papiers de sorte que, pendant une journée, on s'aperçoive qu'on ne trouve personne dans les cuisines des restaurants, personne pour garder les personnes âgées ou les enfants, personne pour faire les travaux publics. Dans les grandes brasseries parisiennes, tous sont d'origine hindoue ; à la plonge, ils sont tous Maliens.

A propos des grèves de sans-papiers, on peut s'étonner des tensions chez les politiques : les communistes luttaient pour réserver le travail aux Français. Quand Arlette Laguiller défendait les travailleurs, il s'agissait des travailleurs français. La CGT, il faut le reconnaître, a défendu l'emploi du travailleur étranger mais du travailleur en situation régulière. La solidarité internationale a des limites : le sans-papier en est exclu.


Ces sans-papiers ont souvent une famille. Comment la législation trouble-t-elle la vie des parents ou des enfants ?

Le problème des familles est délicat. La politique actuelle peut être considérée comme antifamiliale ; elle veut qu'on arrête toute régularisation. On nous dit que les actes de naissance ne prouvent pas qu'il s'agisse des enfants que les parents veulent faire venir : on remet en cause les liens de filiation  ! Des familles tout entières sont là, parents et enfants : on ne les régularise qu'à titre exceptionnel. Des personnes de la même famille sont empêchées de vivre ensemble ; on ferme les portes de partout.

Dernièrement, j'ai vu une dame, réfugiée du Nigéria ; il s'agit d'une personne intéressante qui peut être précieuse pour le pays, auteure de plusieurs livres. On lui a refusé la venue de son enfant de 8 ans, dans le cadre du regroupement familial, sous prétexte que l'acte de naissance était faux. La vraie raison du refus : si l'enfant rentrait en France avant l'âge de 13 ans, il aurait ses papiers en règle à l'âge de 18 ans. Par ailleurs, elle avait fait une demande de naturalisation : on la lui a refusée au motif que son fils habitait l'étranger.

La France est capable de refuser la régularisation d'une femme qui a des enfants nés en France de parents en situation régulière. On reproche à des parents de s'être mariés ! Je conseille à des couples de ne pas se marier ; le mariage bloque la régularisation : si l'un des deux est en situation irrégulière il ne pourra faire une demande de regroupement qu'à condition de retourner au pays et entreprendre des démarches qui prendront un an et demi; une demande de regroupement sur place est illégale. Evidemment les couples refusent pareille séparation. Les valeurs familiales sont pourtant importantes chez ces personnes ; elles sont très fières de me présenter leurs enfants. Mais, pour sauver une famille, il faut se battre ! Heureusement qu'à cause de la « Convention des Droits de l'Homme » on dispose d'une jurisprudence à laquelle on peut se référer et tenter de sauver ce qui peut l'être.


Que ce soit dans les banlieues ou ailleurs, la politique vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière est-elle en mesure de sécuriser la société ?

Loin de là ! Les interventions gouvernementales créent des tensions qui se répercutent dans les milieux immigrés. Le Président ou Monsieur Besson font de beaux discours sur les étrangers bien insérés et bien intégrés. Mais les beaux discours ne font pas loi. Ils suscitent des espoirs injustifiés. Dès que paraît une circulaire, on a afflux de clients. Des rumeurs circulent sur le travail, l'insertion et chacun pense qu'il est concerné. Mais, en même temps, les gens sont morts de peur ; ils craignent des arrestations, des visites à la maison, la prison. Quand il est question d'aller à la Préfecture, ils ont peur d'y aller seuls. Il y a eu des arrestations ; on a sorti une circulaire alléchante et beaucoup ont mordu à l'hameçon. Ceux qui se sont présentés, alors qu'ils faisaient l'objet d'une décision de sortie de séjour ou de reconduite, ont été arrêtés. Cette insécurité est contagieuse et se propage dans l'entourage de leurs familles ou amis.

Par ailleurs, l'accueil de ceux qui viennent déposer leurs dossiers est difficilement supportable. Pour faire des demandes, ils sont sur place depuis la veille à minuit. On leur présente des formulaires ; s'ils ne savent pas les remplir on les renvoie ; ils doivent revenir avec quelqu'un pour les accompagner. Ils vont se trouver devant des agents de Préfecture plus ou moins bien lunés : on ne peut prévoir leurs réactions. J'ai vu le cas d'un frère et d'une soeur qui avaient le même dossier, le même avocat et la même Préfecture. Elle a été régularisée mais pas lui. ; chacun est dépendant de la fantaisie d'un fonctionnaire. J'ai honte pour mon pays quand je vois ce comportement à l'égard des étrangers. Le mépris dont ils sont l'objet est intolérable.

Peut-on vraiment faire confiance aux avocats lorsqu'ils reçoivent un client en recherche de régularisation ? Ne profitent-ils pas de ces situations pour se faire une clientèle alors qu'ils savent que la démarche est vouée à l'échec ?

La demande des étrangers est bien particulière ; ils s'imaginent qu'en payant l'avocat, ils obtiendront leur titre de séjour. Ils pensent en termes de relations interpersonnelles ; ils n'ont pas le sens, la plupart du temps, de l'objectivité de la loi.

Je ne sais pas comment font mes confrères mais quand ils sortent de chez moi, ils savent très bien ce qui peut marcher ou non. S'ils me disent : « Tu as réussi pour mon voisin », je prends le temps de comparer les situations.

Mais je prétends qu'un avocat est utile. On peut interpréter la loi : ce n'est pas aussi carré qu'on pourrait le penser. Malgré toutes les difficultés, j'ai des résultats et je gagne. Chaque fois que je réussis, je suis fière et c'est une joie !

Propos recueillis par l'équipe de rédaction



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