Contre le prosélytisme

Les "Thés de Gennevilliers"
"Le prosélytisme" Page d'accueil Nouveautés Contact

Une douzaine de personnes musulmanes, chrétiennes et athées, ont participé au thé de Gennevilliers, fin octobre 2020. Les participants se proposaient d’échanger sur le prosélytisme des musulmans ou des chrétiens à l’égard de ceux qui n’appartiennent pas à leur religion. Leur débat a été infléchi par le dernier attentat islamiste que le groupe tout entier qualifie d’insoutenable et de monstrueux. .


Un cap a été franchi

Tous les participants sont abasourdis par l’assassinat d’un professeur à Conflans Sainte Honorine. Passée la stupéfaction devant l’horreur de cet attentat, tant du côté musulman que du côté chrétien ou athée, un sentiment de peur domine. « Si j’étais une musulmane voilée, aujourd’hui j’aurais peur ! Dans ma propre famille je vois des personnes jusqu’alors bienveillantes à l’égard des musulmans se mettre à les discréditer en bloc. » « Je suis doublement touché ; en tant que citoyen français, je condamne absolument cet assassinat sauvage. En tant que musulman, je suis lynché par les media : je comprends que ceux qui les écoutent en viennent à avoir peur de l’islam. »

Une chrétienne : « La frontière entre islam et islamisme n’était déjà pas évidente à faire avant, mais depuis cet attentat elle devient de plus en plus floue. Certes, les médias comme les discours officiels font toujours la différence mais des comportements qui n’ont rien à voir avec du djihadisme guerrier – comme le fait de ne pas écouter de musique profane ou de professer le créationnisme contre l’évolutionnisme – sont évalués comme des premiers pas vers le djihadisme. Les musulmans se sentent tous perçus plus ou moins comme de potentiels djihadistes. » Une musulmane : « L’islam est une religion de paix, paix intérieure avec Dieu et paix extérieure avec tout autre. Je le vis comme tel et c’est ainsi que je l’enseigne à mes enfants comme le font la plupart des musulmans. Mais j’ai un sentiment d’insécurité qui est nouveau pour moi. On assiste à une surenchère de violence de part et d’autre. Du côté des djihadistes : on se demande où ils vont frapper la prochaine fois. À cela répond une surenchère médiatique et politique : on en vient par exemple à remettre en cause Amnesty International. Je sens qu’on prend un virage dangereux. Jusqu’à ce jour, les lois françaises nous protègent mais j’ai peur qu’on en arrive à un remaniement des lois. Jusqu’à présent, je savais que le voile m’interdisait tout travail dans l’administration mais j’espérais trouver une place dans le privé. Maintenant les entreprises privées ont le droit de ne pas employer une femme voilée. Quels débouchés me reste-t-il ? Je ne peux plus qu’être auto-entrepreneur si je veux travailler. Je n’en ai pas du tout les compétences mais je vais les acquérir parce que je veux me battre jusqu’au bout pour trouver une place dans la société française. Mais quelle énergie il nous faut déployer et qui sera capable de le faire ? »

Une athée : « La nouvelle insulte est d’être traités d’islamo-gauchistes. Nous les communistes, nous sommes traités en plus de collabos ! On ne veut pas voir qu’on paye aujourd’hui une politique qui, depuis très longtemps, a mis dans les mêmes barres d’immeubles des personnes originaires d’un même pays et sans grande qualification professionnelle. Avec la crise, les inégalités s’accentuent. Aujourd’hui beaucoup de ces jeunes n’ont pas d’emploi, pas de logement, pas d’avenir. Ils sont extrêmement fragilisés. Qui s’intéresse à eux ? Pour lutter contre l’extrémisme religieux il faut que la société apporte des solutions d’avenir à ces jeunes. »


Un pas à ne pas franchir :
toucher le droit au blasphème

Un chrétien : « Ce dernier assassinat - comme ceux de Charlie Hebdo - est lié aux caricatures de votre Prophète. Une caricature heurte nécessairement. Il y a, du côté musulman, des pressions venant de l’extérieur et de l’intérieur de la France pour interdire le « droit au blasphème ». Là c’est, à mon avis, un cap à ne pas franchir. Si on revient sur ce droit, il n’y aura plus d’expression libre. L’État se doit de maintenir ce droit. » Une musulmane : « Il faut le maintenir mais aussi l’expliquer en particulier aux enfants. Comment un enfant peut-il de lui-même comprendre que Celui qui est honoré à la maison est ridiculisé sur la place publique ? Cela demande une éducation de la part des parents et tous n’y sont pas aptes. Par ailleurs, attention à la surenchère : si toutes les religions sont caricaturées, les enfants ne vont pas se sentir visés. Il ne faut pas que la liberté d’expression vise davantage une communauté qu’une autre. » Une chrétienne : « Dans le christianisme aujourd’hui, des gens peuvent être profondément choqués quand on caricature leur religion mais personne n’en vient pour autant à commettre un assassinat. Cela n’explique-t-il pas que le droit au blasphème pointe aujourd’hui en direction des musulmans ? »

Une enseignante (chrétienne) : « Comme il a été dit, tous les parents ne sont pas aptes à expliquer à leurs enfants que la liberté d’expression, dans un État laïc comme la France, inclut le droit au blasphème et les caricatures des religions. C’est au corps enseignant de prendre le relais. Mais ce n’est pas simple à faire. La plupart des professeurs pensent qu’il faut montrer les caricatures. Je n’en suis pas sûre, au moins en un premier temps. À mon avis, il faut tenir compte du récepteur : si des jeunes sont profondément heurtés, ils ne recevront rien. » Une athée  : «  Si les professeurs n’enseignent pas que la liberté d’expression en France va jusque-là, les enfants vont recevoir ces caricatures dans la figure, par exemple dans la rue, sans apport pédagogique, sans esprit critique. S’ils ne regardent que BFM TV, ils vont se sentir attaqués directement dans leur foi. » Une chrétienne : « La liberté d’expression va jusqu’à supporter des caricatures de ce qui nous tient le plus à cœur. Mais elle devrait aussi aller jusqu’à permettre que ceux qui sont blessés puissent l’exprimer. Or aujourd’hui, moi qui suis catholique, à la rigueur je peux le faire : je risque seulement d’être traitée de «  ringarde ». En revanche, si un musulman exprime publiquement sa souffrance (sans remettre en cause pour autant le droit au blasphème), aujourd’hui on va l’accuser de faire le lit du djihadisme meurtrier. La liberté d’expression, oui mais sans discrimination. »


Des politiques discriminantes

Un musulman : « Il y a en France une justice à géométrie variable chez les politiques. Nous ne sommes pas traités comme une communauté parmi d’autres. Un exemple, la seule piscine qui a eu des horaires pour les femmes se trouve à Sarcelle. Ce sont des femmes juives qui l’ont demandé et cela leur a été accordé. Quand des musulmanes de Sarcelles ont demandé de pouvoir bénéficier de ces mêmes horaires, le maire a dit qu’il allait y réfléchir. Puis sa réponse a été négative parce que les juives l’ont refusé.(1) » Un autre musulman : « Les lois en France discriminent les musulmans. Certes on dira que la loi est la même pour tous. Mais concernant celle sur le port du voile à l’école, par exemple, même si elle est pour tous, personne n’est dupe : la kipa n’avait jamais gêné, c’est à cause du voile que cette loi a été promulguée. Je serais de tout cœur soumis aux lois, même si elles sont contraires à celle de ma religion, mais à condition qu’elles soient les mêmes pour tous. »

Un chrétien : « Il ne faut pas confondre le fait que des partis politiques utilisent l’islam comme argument électoral, les pratiques administratives avec les lois. Quand on autorise l’ouverture de piscines aux femmes juives et pas aux femmes musulmanes, il s’agit d’une décision de ce maire et non d’une loi. Les lois françaises ne sont pas si mauvaises que cela. Elles permettent l’expression des musulmans dans l’espace de la laïcité. Faites pour l’ensemble des français, elles tendent à faire place aux particularités de chacun dans le respect des autres. Vous devriez être derrière la loi et travailler avec d’autres à ce qu’elle permette de mieux vivre ensemble. » Un autre chrétien : « La loi sur le foulard à l’école vise à répondre à une problématique nouvelle créée par la présence de musulmans en France. Le fait qu’elle s’applique à tous manifeste qu’il y a bien une égalité devant la loi. Je comprends que vous vous sentiez visés mais les lois ne sont pas pour autant discriminantes. » Un musulman : « C’est vrai. Sauf qu’il y a un concept peu connu, reconnu par la cour européenne des droits de l’homme, qui s’appelle la discrimination indirecte. Si je dis « toutes les personnes de moins d’1 mètre 71 n’ont pas le droit de travailler, c’est égalitaire. Mais sociologiquement, je discrimine. Qui ? Les femmes parce qu’elles sont en général plus petites que les hommes. Cette loi contre le port du voile à l’école discrimine les musulmans puisque les juifs et les catholiques ont leurs écoles mais pas les musulmans. Les autres, dans ces écoles, peuvent porter un signe religieux. Conclusion : ceux qui doivent faire l’effort de ne pas montrer leurs signes religieux sont, dans une écrasante majorité, les musulmans. »

Une chrétienne : « Il existe bien sûr aujourd’hui dans la société française un risque de dérive et de stigmatisation. Mais il y a quand même une réalité : les pressions salafistes dans les écoles, les mosquées et sur l’ensemble de la société. Cette réalité pèse en premier lieu sur vous. Mais il faut tenir compte en même temps du risque de stigmatisation et du danger réel de cet islam politique financé de l’extérieur. La loi sur le voile, celles sur le « séparatisme » de Macron, ont peut-être leur part de maladresse mais elles cherchent à régler des situations réelles. Reconnaissons qu’il y a un vrai problème en France qui ne naît pas seulement de préjugés contre l’islam. J’ai entendu un jeune musulman me dire : ‘Il y a 7 ou 8 ans, j’aurais demandé à l’État de nous laisser tranquilles, de nous laisser régler nos problèmes nous-mêmes. Aujourd’hui, il y a une telle puissance derrière l’islam politique que nous avons besoin de l’État pour nous aider à freiner ces groupes.’  » Une athée : « Il est vrai qu’on ne peut pas mettre le mouchoir sur quelque chose qui existe. Il faudrait qu’il y ait du côté des musulmans une ligne officielle et cohérente. Mais vous n’avez pas de hiérarchie représentative de l’islam en France. Est-ce pour autant une raison pour demander aux musulmans de se justifier ? Ils ne sont pas responsables de ces actes barbares. On leur demande d’aller manifester dans la rue contre cet islam politique mais personne n’a demandé aux catholiques d’aller manifester publiquement contre les prêtres pédophiles. Tout le monde sait que ce n’est pas la même chose. Il faut qu’il y ait une unité des citoyens contre ces actes ignobles mais qu’elle s’exprime avec les musulmans et non contre eux. »


Comment faire front commun
contre le prosélytisme islamiste ?

Un chrétien : « J’entends lorsque vous dites que l’islam est une religion de paix et je suis témoin que vous le vivez ainsi. Mais j’ai du mal à comprendre que vous affirmiez que l’islamisme meurtrier n’a rien à voir avec l’islam. Si, au nom de la Bible, des chrétiens commettaient des actes d’une telle violence, je ne pourrais pas dire que ces actes n’ont rien à voir avec le christianisme. Le terroriste pense que c’est l’islam qui le conduit à poser de tels actes. Vous ne pouvez pas vous situer seulement du côté des victimes (sans nier pour autant que vous l’êtes). On attend que vous preniez vos responsabilités, que vous vous organisiez pour faire front commun. Il est vrai que cette fois le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) a fait une déclaration forte, que Tareq Oubrou entre autres a parlé. Mais d’une part, ils ne sont pas forcément représentatifs et d’autre part on attend des actes, pas seulement des paroles, qui manifestent que vous luttez contre le prosélytisme islamiste. » Un autre chrétien : « Autour de nous, le nombre de personnes qui déclarent que l’islam est un danger pour la république augmente considérablement. Vous en êtes victimes mais cette position victimaire est-elle productive ? De mon côté, ma foi chrétienne m’aide à être un véritable citoyen dans un pays comme le nôtre. Je suis persuadé que vous, musulmans, vous apportez quelque chose dans la citoyenneté française. L’important est qu’on puisse dire que la pratique de votre religion n’est pas contre la société, qu’au contraire elle est pour elle et pour la république. » Un autre chrétien : « Vous ne pouvez pas nier que dans des quartiers il y ait un prosélytisme islamiste (et pas évangélique). Comment pouvez-vous faire et pouvons-nous vous aider à faire pour valoriser l’apport de votre religion ? »

Un musulman : « Pour avoir une position cohérente et représentative des musulmans de France contre le prosélytisme islamiste, il faudrait que les mosquées ne soient pas dépendantes et financées par les pays d’origine. Le CFCM n’est pas représentatif parce que ses membres représentent leur pays d’origine. Il y a un jeu d’influence pour faire passer les positions de la Turquie, de l’Algérie, du Maroc, de tel pays d’Afrique, etc. Le CFCM ne représente pas les musulmans de France. Au niveau de la base, dans les mosquées, c’est le même jeu. A Gennevilliers, nous avons financé la construction de la mosquée en refusant tout apport extérieur. Cela nous rend libre aujourd’hui car un État ne finance pas sans exiger d’exercer son influence en retour. Le recteur de la grande mosquée de Paris représente l’Algérie. Tareq Oubrou, jusqu’à très récemment, était la voix des frères musulmans. Les musulmans de la base n’ont aucune instance de représentation qui soit libre d’influences étrangères. Comment, dans cette situation, poser des actes communs alors que nous n’avons même pas la possibilité de forger entre nous une parole commune ?

Nous sommes nombreux à attendre une aide de l’État français. Il faut qu’il pose des actes forts et courageux. Nous attendons qu’il fasse une loi pour interdire les financements venant de l’étranger et qu’il mette en place des instruments de contrôle. Tant que nous n’aurons pas cette base commune, nous ne pourrons qu’agir en ordre dispersé. Il faut également interdire que des imams, formés à l’étranger, dirigent des mosquées. Quant à d’autres lois - même si le Président de la République ne dit plus qu’elles seront « contre le séparatisme » - je pense qu’il y en a déjà suffisamment. Effectivement, elles concourent toutes à permettre l’expression de religions ou de convictions différentes dans un État laïc. Je dis toujours que la laïcité est vraiment une chance pour notre religion.

Une musulmane : « Pour lutter contre le prosélytisme islamiste, il faudrait que les musulmans aient une formation sur leur propre religion. Or il n’en existe pratiquement pas. J’ai souvent envié les petits chrétiens qui ont plusieurs années de catéchisme. Nos enfants n’ont rien  : l’enseignement dans les mosquées consiste à leur apprendre l’arabe et à lire le Coran. Il n’y a aucun enseignement sur les dogmes ni sur l’histoire de la religion et de la civilisation musulmanes. Du côté des adultes, nous avions un seul lieu pour suivre un cursus sur l’islam  : l’Institut Européen de Sciences Humaines (IESH) à Saint Denis, avec un centre en province. Je suis ces cours et j’y ai appris qu’il existe différentes écoles en islam. On m’a enseigné à comparer leurs contenus et donc à pouvoir me situer. On m’a appris l’histoire de l’islam. Tout le monde, évidemment, ne suivra pas ces cours qui demandent un investissement important. Mais le fait que certains les suivent pourrait influencer l’ensemble et permettre au plus grand nombre d’avoir des arguments fondés contre le prosélytisme islamiste. Tant que nous n’avons pas cette formation, nous savons du plus profond de nous-mêmes que ce qui est appelé « islamisme », ce n’est pas cela l’islam. Que l’islam est une religion de paix. Mais nous n’avons pas les arguments pour le démontrer.

Selon moi, on trouve des enseignants très ouverts à l’IESH, de grands intellectuels qui sont dans l’islam modéré. Pour moi, ils permettent une éducation au vivre ensemble. Mais l’État soupçonne cet institut d’être affilié aux frères musulmans et menace de le fermer. Que nous restera-t-il ? Absolument rien comme lieu de formation… et pas grand-chose d’autre que notre foi profonde pour lutter avec tous les citoyens français, selon ce que notre religion peut apporter, contre le prosélytisme islamiste !

L’équipe des « Thés de Gennevilliers »


Retour au dossier "Le prosélytisme" / Retour page d'accueil