Autour des lettres et des rencontres
Abdallah Akar
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D’origine tunisienne, Abdallah Akar pratique la calligraphie depuis 30 ans et il l’enseigne à l’Institut du Monde Arabe. Ses œuvres, connues dans le monde entier, sont l’occasion de rencontres interreligieuses importantes.


L’histoire de la calligraphie

Abdallah, tu es calligraphe. Qu’est-ce que la calligraphie ? Quelle en est l’histoire ?

La « calligraphie » : le mot signifie « la belle écriture ». C’est un art dont l’écriture est la base. Ce qu’on appelle « calligraphie » en français est désigné, en arabe, par le mot Khat qui signifie le « trait » ou « la ligne ». C’est un peu comme les traits d’un visage ou les sillons d’un champ labouré.

Parlons de l’histoire de la calligraphie.
D’abord, l’histoire de l’Écriture. Voici 5000 ans que l’écriture a été inventée, dans une région aujourd’hui complètement dévastée par les guerres pour sa richesse en pétrole, entre le Tigre et l’Euphrate. Un peuple, à Sumer, a trouvé les premiers signes de l’écriture. Au départ, il s’agissait de pictogrammes qui se sont transformés en une écriture appelée cunéiforme et qui est devenue l’alphabet. Celui-ci s’est diffusé par les Phéniciens autour de la Méditerranée : au nord, l’écriture grecque ; au sud l’hébreu puis l’arabe et enfin le latin. Une écriture alphabétique se développe.

D’autres écritures existaient auparavant :
- L’écriture chinoise, nettement postérieure à l’écriture sumérienne. Elle est restée inchangée.
- Les hiéroglyphes, à la fois pictogrammiques et alphabétiques, basés sur le son. Cette écriture égyptienne n’a pas survécu.
L’écriture alphabétique s’est répandue autour de la Méditerranée : étrusques, latins… Au Sud l’arabe, l’hébreu, le sanscrit, lybique.

L'Esprit et la lettre

Mais l’essentiel, à travers la diversité, c’est l’esprit de l’alphabet à partir des signes que sont les lettres. Ces lettres, à y regarder de près, sont issues des pictogrammes. Elles vont former tous les mots possibles et imaginables. En combinant les 26 ou 30 lettres (par 2,3,4 et ainsi de suite) on peut former une infinité de mots. On n’a qu’à voir les dictionnaires – latin, anglais, français et autres.

Il faut insister sur l’origine commune entre l’hébreu, l’arabe et le latin. L’alphabet arabe commence par « alif », « ba », « ta,  ». Le grec : alpha, be-ta. En français, on dit « alpha-bet ». En hébreu, les premières lettres, sont « aleph » et « bet ». L’aleph, c’est le bœuf : le premier animal ayant été sédentarisé et domestiqué. L’homme a commencé à écrire à partir du moment où il s’est sédentarisé, autour d’une ville. On peut faire le lien avec les bœufs de Lascaux : quand on a abandonné la chasse dont les dessins de la fameuse grotte sont la trace sont apparus les signes écrits. Le « bet », c’est la maison : « un carré ». A partir du moment où des hommes se sont fixés dans une cité, certains d’entre eux ont travaillé à l’extérieur, d’autres ont réfléchi et écrit l’histoire. La naissance de l’écriture correspond un peu à la distribution des tâches : laboureurs, ouvriers, écrivains. Les scribes apprennent à écrire.

Le message et la beauté

Quand on écrit, deux choses arrivent à l’esprit. La première consiste à marquer l’histoire, à transmettre un message. A cette dimension utilitaire s’ajoute la beauté. La forme des lettres est issue d’un dessin, par exemple la forme d’un animal. L’aleph, comme nous le remarquions, vient du dessin de la tête d’un bœuf stylisé et transformé. On peut en rester à la dimension utilitaire mais peu à peu, pour magnifier un texte, on va introduire la couleur sur les initiales, mettre du doré sur l’une des lettres, sur le nom d’une divinité ou sur celui de la personne aimée. Chaque fois que dans un texte le mot « Dieu  » est écrit on va le dessiner en lettres dorées pour attirer l’œil et le rendre plus majestueux.

L'écriture et le sacré

La calligraphie est un art universel mais enraciné dans la culture musulmane. L’islam interdit la représentation. Comment cela se fait-il ?

Dans l’Ancien Testament, il est interdit aux hommes de représenter quoi que ce soit de ce qui est sur terre, dans la mer ou dans les cieux. Ce rapport à l’image est propre à l’Orient où est né l’islam. Donc les idées iconoclastes de la Bible imprègnent l’islam. Toute l’histoire du christianisme est prise dans une contradiction. L’histoire du christianisme s’écrit par l’image. C’est sans doute qu’en prêchant le message de Jésus, on s’adressait à des gens qui ne connaissaient pas l’écriture.

Il est important de signaler que l’islam n’a pas interdit l’image. Le Coran ne contient aucune condamnation de cette sorte. Mais l’islam a pour base l’écriture. La première parole qui a fait naître le Coran est IQRA, c’est-à-dire « Lis ». Ceci fait de l’écriture le sacré. Par ailleurs, Dieu est invisible. Puisqu’Il n’existe ni dans l’espace ni dans le temps on ne peut pas le représenter. S’Il existait quelque part, Il aurait été enfanté, avec une origine dans le temps et une origine dans l’espace. Dieu est invisible. Le représenter ou le fixer par un dessin ou une peinture, c’est donner sa vision personnelle de Dieu. Le Coran insiste : « Dieu n’a pas été enfanté et n’a pas enfanté. » C’est dire qu’il ne peut être rendu visible. Représenter Dieu serait représenter un imaginaire humain et fausser son message.

Il est interdit également de représenter Mohammed. Le Prophète est un homme qui a été choisi parmi les hommes. Dessiner le prophète, c’est lui donner plus de pouvoir qu’il n’en a. Il n’est qu’un messager. Faire son portrait revient à oublier Dieu. A partir de là, toute image devient suspecte. Ceci dit, l’image a toujours existé. Nombre de miniatures persanes en sont la preuve.

L'amour et l'écriture

Faire une image de Dieu serait une projection de mon imagination qui interdirait à toute autre image d’exister. Lorsque quelqu’un raconte une histoire, par exemple dans une veillée, chacun imagine les personnages et éprouve des sentiments personnels au milieu des intrigues. Mais, faites un film et vous imposerez des images précises : vêtements, cheveux, visages. Donc le spectateur suit l’imaginaire du cinéaste et non pas le sien.

En ce qui me concerne, la calligraphie est pour moi avant tout une pratique artistique. Pour ma part je pratique la calligraphie par amour de l’écriture et d’une langue à laquelle je m’attache et que je magnifie. À cela s’ajoute, l’esthétique, la beauté, une certaine vision du monde.

Ne crois-tu pas qu’il est important que les jeunes Maghrébins aient accès à cette culture ?

Les jeunes Maghrébins et les autres : je ne fais pas la distinction. C’est un art que j’essaie de transmettre à tous les jeunes quels que soient leur origine ou leur milieu social ; c’est un art de vivre et une respiration.

J’ai été enseignant de mathématiques dans un lycée professionnel. Quand je sentais que les élèves décrochaient, je leur faisais des cours de calligraphie. En classe de CAP, j’ai remarqué un garçon mal dans sa peau. Mais, dans cette démonstration de calligraphie, je sentais dans son regard qu’il était touché. Peu de temps après, il a cessé de venir en cours. Trois ou quatre ans plus tard, je reçois un SMS : « Bonjour ! Je m’appelle Fabien. J’ai été votre élève en CAP. Vous nous avez fait un cours de calligraphie qui m’a beaucoup marqué. J’ai eu mon bac très tard et maintenant j’entre à l’école des Beaux-Arts de Beauvais. » J’ai été très ému par cette histoire.

La poésie et le Coran

Peux-tu nous parler de ton œuvre ?

Mon œuvre consiste surtout à travailler avec les poètes et pour la poésie. Je considère comme importante une œuvre que j’appelle « Poèmes suspendus ». Il s’agit de textes venus de l’Arabie à l’époque précédant l’islam (mouallkat). On les suspendait autour de la Kaaba. J’ai effectué ce travail il y a plusieurs années pour la médiathèque de ma ville, Saint Ouen l’Aumône. C’était intéressant de lier l’histoire d’une poésie au lieu où je réside. La création de cette œuvre a fait beaucoup de bruit. Elle a voyagé à travers le monde.

Une autre œuvre a été importante. Elle m’avait été commandée par le diocèse de Pontoise. On avait demandé à huit artistes de s’exprimer autour du thème : « l’homme et la lumière  ». L’idée était d’exposer les œuvres dans les églises des villes où nous habitions. Il s’agit de sept panneaux de verre sur lesquels est écrite la sourate dite de « La Caverne ». La légende parle de quelques jeunes gens chrétiens persécutés au 3ème siècle. Ils se sont endormis dans la caverne où ils s’étaient réfugiés pour ressusciter plusieurs siècles après. Ces sept stèles ont été exposées dans différentes églises.

Par ailleurs j’ai composé quatre panneaux de bois à partir de la sourate sur Marie. Je les dispose en forme de croix. Elles ont trouvé leur place dans une exposition dite « Les lieux saints partagés »au MUCEM à Marseille, puis au musée du Bardo à Tunis. Je pourrais parler de nombreuses œuvres du même genre. J’ai aussi réalisé des sculptures en métal : la rigidité du fer alliée à la légèreté du mot et la lumière. Ces œuvres ont été exposées, entre autres, en 2013 à la cathédrale d’Evry.

Je conçois l’ensemble de mon œuvre autour du mot et autour de rencontres et de valeurs communes.

Abdallah Akar


Oeuvres de Abdallah Akar

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