Approche historique
Charles Perrot
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Alors que les musulmans n'acceptent pas de soumettre
les affirmations du Coran sur Jésus au jugement des historiens,
l'Eglise laisse le champ libre au savant.
Ce dernier conduit le croyant
à distinguer l'histoire de Jésus et la foi au ressuscité.


Foi chrétienne et histoire

Question : Est-il vrai que les chrétiens n'ont pas le droit d'étudier scientifiquement les textes sacrés? Y a-t-il des contradictions entre ce que disent les historiens à propos de Jésus et ce que croient les chrétiens?

Au XIXè siècle s'est répandue la rumeur selon laquelle un chrétien catholique ne devait pas lire la Bible (Ancien Testament). Mais les Papes successifs ont réagi sur ce point, à commencer par Léon XIII (fin XIXè s.) et surtout Pie XII, en 1943, ouvrant largement la porte à une étude scientifique, littéraire et historique de l'Écriture, les Évangiles y compris. Depuis 1950 surtout, les études scientifiques abondent, et le Concile de Vatican II les a encouragées vivement, comme on peut le constater dans les nombreux livres d'exégèse parus dans les grandes collections scientifiques (Études Bibliques chez Gabalda et Lectio Divina aux éditions du Cerf). De ce fait, l'écart semblant exister entre, disons, ces textes anciens et l'histoire s'est singulièrement rétréci, et cela, d'autant plus que les fouilles archéologiques au Moyen-Orient se sont multipliées (par exemple effectuées par l'École Biblique et archéologique française de Jérusalem). De plus, la découverte des manuscrits en hébreu et en araméen sur les bords de la Mer Morte dans les grottes de Qumrân (entre 1947 et 1954) ont permis de mieux évaluer le type de langage employé à ces lointaines époques. Ces découvertes ont permis de mieux apprécier la manière d'écrire l'histoire dans le monde ancien ou encore, de mieux comprendre le langage imagé et poétique des orientaux pour exprimer des réalités profondes où l'homme entend se situer par rapport à Dieu, au cosmos et aux autres humains, hommes et femmes. Ces découvertes ont permis aussi de mieux comprendre le monde juif du premier siècle dans sa diversité, et par là de mieux situer Jésus et les premières communautés dans le contexte de l'époque. On peut dès lors affirmer qu'il n'y a pas de contradiction fondamentale entre la foi chrétienne et l'histoire, même si les approches sont alors différentes. Encore faut-il que l'historien, croyant ou non, sache bien apprécier le langage alors utilisé par les anciens auteurs (Un exemple, les exégètes ne cherchent plus à identifier le passage d'une comète à Bethléem, alors que dans le langage imagé de la Bible l'étoile veut d'abord signifier la royauté nouvelle de Jésus).

Jésus : le point de départ du christianisme

Quand les chrétiens peuvent-ils dire que le christianisme a commencé? Avec Jésus ou avec St Paul?

Avec Jésus évidemment, par sa présence, ses paroles et ses gestes de bonté à l'endroit des plus petits. Puis, les premiers groupes d'origine juive ou non qui le reconnurent comme le Messie de David et le Ressuscité de Pâques, surent adapter l'annonce de la « Bonne Nouvelle » du salut (= l'Évangile) aux divers peuples et cultures lors de leur mission. Paul est l'un d'eux, et lui aussi entend vivre de la vie même du Christ (lettre aux Galates 2, 20 : Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi'). Au fait le mot grec chrestianoi (chrétiens) signifie disciple/adeptes du Christ, et Paul est de ceux-là.

Les manuscrits des quatre évangiles

De quand datent les premiers manuscrits des Évangiles? Quand les Évangiles ont-ils été écrits? Qu'appelle-t-on «évangiles apocryphes»? Pourquoi ont-ils été rejetés par l'Église? Quand l'Église a-t-elle reconnu comme authentiques les Évangiles sur lesquels elle s'appuie?

Un fragment encore existant (actuellement au Bristish Museum) de l'évangile de Jean, écrit sur papyrus, date de l'an 125, un peu plus de 20 ans après la rédaction finale de cet Évangile, puis, du IIè-IIIè siècles au VIè les manuscrits abondent, en particulier le Vaticanus (actuellement à Rome) et le Sinaïticus (provenant du Monastère du Mont Sinaï, actuellement au British Museum). Sur la base des nombreuses traditions orales, les évangiles ont été successivement écrits  : par Marc, rédigé autour de l'an 70 de notre ère, lors de la guerre des juifs contre les romains (à cette époque, on écrivait surtout lorsqu'il y avait danger de voir s'effacer la ou les traditions orales à la suite des troubles et des guerres). Puis, Matthieu et Luc, indépendamment l'un de l'autre, ont été rédigés dans les années 80, et la rédaction finale de Jean, à la fin du premier siècle. D'autres écrits, à partir du IIè siècle, ont été rédigés, mais assez souvent par des groupes qui s'étaient plus ou moins détachés de la Grande Église, d'où leur nom d'apocryphes, c'est-à-dire cachés, ni reçus ni lus dans les églises. Parmi ceux ci relevons l'Evangile de Thomas (redécouvert en 1955 en Égypte). A partir du IIè siècle les chrétiens ont progressivement mieux distingué les écrits dits 'canoniques' (régulièrement reçus) des écrits dits apocryphes. Mais il faut attendre le IVè siècle environ pour que la liste de ces écrits soit acceptée dans toutes les églises orientales (grecques- syriaques - arméniennes) et occidentales (latines).

La tradition musulmane sur Jésus

Les historiens suivent-ils les affirmations des musulmans selon lesquelles Jésus aurait révélé un texte (l'Évangile) que les premiers chrétiens auraient falsifié? Ce que dit le Coran à propos de Jésus ne correspond pas à ce qu'en disent les chrétiens. Comment expliquer ces divergences? Les historiens peuvent-ils porter un jugement sur ce que dit de Jésus la tradition musulmane?

A partir de ce que disaient certains sectaires d'Arabie, détachés de la Grande Église, les musulmans du VIIè siècle et après, ne voulurent désigner Jésus que comme un prophète prenant seulement la suite des prophètes jalonnant l'histoire d'Israël. Et surtout, ils refusaient le récit de la Passion et de la Croix de Jésus : selon eux, comment un protégé de Dieu pourrait-il mourir d'une mort aussi honteuse, celle réservée aux esclaves ? D'où la rumeur que les quatre récits évangéliques avaient été falsifiés (par exemple, au dernier moment, un passant du nom de Siméon aurait été mis à mort à la place de Jésus). Mais ce genre d'affirmations, émises d'ailleurs tardivement - sept siècles après Jésus - ne correspond pas à ce que disent les anciens manuscrits dont il a été plus haut question. Ce qui sépare fondamentalement un musulman d'un chrétien est bien cette reconnaissance de Jésus en tant que crucifié et ressuscité à Pâques. Et si un musulman déclare aussi que le prophète Jésus reviendra lors du jugement de la fin des temps, le chrétien confesse non seulement ce retour de Jésus au terme de l'histoire humaine, mais aussi sa divinité en tant que Fils de Dieu, toujours vivant auprès du Père et avec ceux qui croient en Lui.

Peut-on retracer l'histoire de Jésus ?

Les historiens peuvent-ils accorder quelque crédit aux événements rapportés dans les Évangiles? Peuvent-ils scientifiquement retracer l'histoire de Jésus? Entre le départ de Jésus et la reconnaissance des Évangiles, que s'est-il passé? Comment les historiens peuvent-ils affirmer que Jésus a vraiment été crucifié? A-t-on des preuves historiques de la Résurrection?

Ces questions sont considérables, et je me permets de vous signaler mon petit livre «Jésus» (dans la collection Que sais-je ?, Presse Universitaire de France, Paris 1998). Plus haut, j'ai déjà signalé combien les découvertes archéologiques et autres ont permis de mieux situer Jésus et les siens dans le cadre juif de leur temps. Les paroles et les gestes de Jésus [y compris les miracles, ces gestes de bonté à l'endroit des plus démunis] résonnent parfaitement dans le milieu juif de l'époque, bien différent du monde gréco-romain. Il est donc possible de les situer historiquement, sans pour autant qu'on puisse en rédiger une biographie à la manière moderne, respectant une chronologie stricte (à l'époque on ne racontait pas l'histoire en suivant l'ordre chronologique, mais en ramassant les faits et gestes ou les parole par thèmes ou motifs apparentés - par exemple, les paraboles sont réunies ensemble, sans tenir compte du moment où Jésus les a énoncées durant son ministère ). Le terme du ministère et de la vie de Jésus n'en est pas moins fortement mis en relief. L'événement de la croix est historiquement situé, et qui irait d'ailleurs désigner son héros subissant le supplice de la croix, alors réservé aux esclaves rebelles ? Quant à l'événement de la Résurrection il ne relève pas de l'histoire de la même manière, car il faut la foi - et donc la force de l'Esprit Saint qui nous la donne -, pour la proclamer, même si les témoignages sont nombreux dès les premiers temps de l'Église, et particulièrement ceux de Pierre, de Jean et Paul, rapportés dans les quatre évangiles (sur le tombeau ouvert/vide et les premiers récits sur la rencontre des disciples avec Jésus après sa Résurrection) et les lettres de Paul.

Fils de Dieu ?

On trouve dans les Évangiles l'expression « Fils de Dieu » appliquée à Jésus. Quelle signification les historiens lui reconnaissent-ils ?

L'expression a plusieurs niveaux de sens. Dans l'Écriture elle peut s'appliquer aux anges, ou encore au Peuple d'Israël ou à son roi. Dans le Nouveau Testament, chez Marc et les trois autres évangélistes, puis, chez Paul, l'expression est prise au sens fort pour dire le lien particulier qui unit Jésus à Celui qu'il nommait le Père, son Père. A la question que Jésus pose à ses disciples, et donc à tout homme aussi : 'Et vous, qui dites-vous que je suis ?' (Marc 8,27s), c'est à chacun de répondre sous la mouvance de l'Esprit Saint, avec la conviction pour un chrétien de désigner Dieu comme étant notre Père celui que Jésus nomme son Père.

Charles Perrot,
Professeur honoraire de l'Institut Catholique de Paris.


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